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de demander Parga, objet d'une négociation que le consul français de Janina eut le bonheur de faire échouer, et il se mit à parcourir ses états.

Le satrape était sans cesse en mouvement; et tel que Genséric, appareillant du port de Carthage, il aurait pu répondre à ceux qui lui demandaient de quel côté il voulait tourner ses pas : Vers ceux sur lesquels la colère de Dieu veut s'appesantir (1).

Ce fut sous cette influence sinistre d'agitations et d'intrigues que j'eus occasion d'accompagner Ali pacha, dont je vais faire connaître les mœurs et les habitudes, telles que je les observai à cette époque, où je dressais l'acte d'accusation historique du moderne Jugurtha. Ce tableau servira également à dévoiler à quel degré de malheur les Grecs étaient descendus à cette époque, sans exemple dans les annales du monde.

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(1) Anλovóti ¿p' pûç Oròç Öpɣioтai. PROCOP., Bell. Vandalic., lib. I, c. v.

CHAPITRE III.

Idée générale des voyages du satrape dans ses états.

lice. Son avidité. Ses exactions.

teurs. Audiences. Intérieur du séráil.

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Espions.

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Opérations fiscales et usuraires.
Serviteurs, gardes, pages.

du tyran. Superstitions.

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Terreurs

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Son amour pour Vasiliki, devenue son épouse.

TOUT prend, a dit un auteur moderne (1), un as

pect menteur en présence des souverains. Les routes sont jonchées de fleurs; les villes et les hameaux, se décorent, et le peuple se pare de ses habits de fête. Dans la Turquie, au contraire, on tremble à la simple annonce du passage d'un de ses satrapes (car les sultans vivent maintenant cloîtrés dans leurs sérails), et des provinces entières fuient dès que quelque visir fait publier qu'il entrera en campagne. En vain Ali se faisait précéder de manifestes d'amour, pour déclarer aux habitants de tel ou tel canton qu'il portait dans son cœur, qu'à une certaine époque ils auraient le bonheur de se prosterner sur la poussière de ses bottes d'or; on criait miséricorde à la nouvelle d'une semblable faveur. Le canton menacé de la visite du bon maitre se rassemblait, se cotisait et députait vers lui, afin de se racheter de l'excès d'honneur dont on se disait indi

(1) Le prince de Ligne, témoin du voyage de Catherine II en Crimée.

gne, et pour le prier de changer sa gracieuse résolution. De pauvres gens comme nous, seigneur, disaient-ils, méritent-ils les regards de ton Altesse?

?

Si l'avidité trouvait leurs raisons irrésistibles, la partie était ajournée ou bien le tyran changeait de direction, et les paysans étaient dans l'allégresse, car c'est fête pour eux quand ils peuvent manger en paix le pain acquis au prix de leurs travaux et de leur larmes. Mais si l'orage ne pouvait être con'ne' juré, on prenait ses mesures pour parer à ces inconvénients. On déménageait, comme aux approches de l'ennemi, ce qu'on avait de plus précieux; et les prêtres, attachés à l'autel par la sainteté de leur ministère, restaient avec quelques hommes couverts de haillons, pour faire les honneurs de leurs villages. Au lieu des acclamations solennelles qui annoncent la présence des princes pasteurs des peuples, on n'entendait alors que des voix basses, qui s'avertissaient pour éviter l'approche du despote: Sauve-toi, le visir va te dévorer; et quand on était admis à baiser ses pieds, ce n'était qu'en tremblant et la mort au fond de l'ame qu'on s'approchait de l'autocrate au regard homicide (1).

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(1)

1

<< Veux-tu connaître, disait-il alors à un de ses courtisans, « la supériorité de mes prérogatives? lève les yeux au ciel et vois l'aigle fondre sur la colombe; abaisse-les sur la terre et re«< garde le cerf déchiré par les lynx du Pinde; contemple au sein « des mers la dorade qui poursuit la sardine, dévorée à son tour par le requin. Tout, dans la nature, annonce que la faiblesse est «la proie du puissant; la force et l'autorité, étant un don du « ciel, légitiment les plus audacieuses entreprises. Mes raïas ne

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Je n'ai jamais suivi les chemins que tenait Ali pacha dans ses voyages, sans remarquer quelque fosse nouvellement recomblée, ou bien des malheureux pendus aux arbres. Ses pas étaient empreints de sang. Accoutumé à devancer l'aurore, quand il partait de Janina, le soleil, qui se levait derrière les tourbillons de poussière de ses gardes, éclairait les crimes de la nuit, et pour laisser l'épouvante à sa place, les gibets sortaient du sein de l'ombre, chargés des victimes de sa fureur! Qu'ils me haissent, s'écriait-il comme Tibère; mais qu'ils me craignent! La terreur était son élément; et la mort des hommes riches, la pauvreté du peuple, ses grands principes de gouvernement (1).

« possèdent et n'existent que sous mon bon plaisir. » Tel est partout le despotisme sous l'empire du droit divin, que des insensés n'ont pas craint de vouloir ériger en maxime d'état, sans craindre la foudre de celui qui seul est grand.

(1) On serait tenté de croire qu'Ali pacha avait eu connaissance de certaines réflexions sur la cinquième des Politiques, texte II, dont Machiavel n'a été que le commentateur mitigé, si on ne savait pas qu'il devinait par instinct la tyrannie.

« Tu vois, » me disait-il dans un de ses voyages, tandis que nous étions assis au bord de l'Aréthon, avec mon frère, « ces * pages (1) qui m'environnent (il y en avait plus de trente); ch bien, il n'y en a pas un seul dont je n'aie fait tuer le père, le frère, l'oncle ou quelque parent. Et ces mêmes individus, repartis-je, « vous servent et passent les nuits auprès de votre «lit, sans qu'aucun ait jamais songé à venger ses parents?

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Venger leurs parents! ils n'ont que moi au monde. Exécu

(1) Au nombre de ces pages se trouvait Odyssée, fils d'Andriscos, dont il sera parlé dans la suite.

Le plus grand des maux, lorsqu'on réfléchit aux discours d'Ali pacha, est moins la destruction que l'immoralité causée par son influence despotique. On en peut dire autant de ses excursions qui n'étaient qu'une calamité passagère, comparées à son administration, pareille à une carie rongeante (1). Levé avant le soleil, tous les jours de sa vie désastreuse, il prenait connaissance des dépêches, des requêtes et des nombreuses dénonciations qui lui étaient adressées par des misérables qu'il avait dépravés. Renfermé ensuite avec ses secrétaires, il inventait des opérations fiscales; et il croyait ne pas avoir vécu le jour qu'il aurait passé sans commettre quelque concussion. Accablant d'impôts, de corvées et de réquisitions, les villages, il les forçait de se vendre comme tchiftliks, pour les réunir à son domaine privé. S'il soldait ses troupes, c'était avec des pièces rognées dont il haussait le cours à volonté; et son trésorier avait constamment de la fausse monnaie en réserve pour

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<< teurs aveugles de mes volontés, je les ai tous compromis; et plus les hommes sont avilis, plus ils me restent attachés. Je « les éblouis; les Schypetars, prosternés devant moi, me regar« dent comme un être extraordinaire; et mes prestiges sont l'or, <«<le fer et le bâton; avec cela je dors tranquille. Mais votre <«< conscience! » Il partit d'un éclat de rire, en disant que j'étais un bon homme, ἀπλὸς ἄνθρωπος.

(1) C'est la connaissance de ces vieilles monarchies de l'Orient qui a fait dire à Salluste: Regibus boni quam mali suspectiores sunt, semperque his aliena virtus formidolosa est.

(SAL. CATILIN. VII. )

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