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CHAPITRE II.

Alexis Orlof. Intelligences des émissaires Russes avec les Grecs. Manœuvres politiques de Catherine II.

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- But qu'elle se proposait. Provoque la guerre que les Turcs lui déclarent. -Erreur funeste des Grecs, leur aveuglement sur le compte du cabinet de Pétersbourg. Réputation usurpée d'Alexis Orlof. Ses querelles avec Janaki Iatrani, bey du Magne. --Arrivée de la flotte russe en Morée. Débarquement opéré à OEtylos. - Insurrection de 1770. Dissensions entre les

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Grecs et les Russes — qui abandonnent les insurgés. — Désolation du Péloponèse. - Apparition du Béotien Andriscos. -Ses exploits et ceux de ses compagnons d'armes. - Ravages des Schypetars;-leur révolte; sont exterminés par Hassan pacha. - Arrivée d'Ali pacha dans la Thessalie, racontée par lui-même. Manière de se faire une réputation; origine des armatolis; - s'attache Paléopoulo.-Chefs des armatolis;nombre de leurs capitaineries. Mort de Khamco; testament. Ali nommé au sangiac de Janina.- État de cette ville à son avènement. Inconvénients attachés à sa pro

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motion; sa conduite artificieuse;

movo.

son

attaque et détruit Cor

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· Première campagne d'Ismaël pachô bey. Inquiétudes d'Ibrahim, pacha de Bérat; marie une de ses filles à Mouctar, fils d'Ali. Empoisonnement de Sépher bey, frère du visir Ibrahim.

TANDIS

ANDIS que ces choses se passaient dans l'Épire, les émissaires de Catherine qui se trouvaient à Venise, s'épuisaient en combinaisons pour soulever la Grèce dans l'intérêt de la Russie; car ce cabinet ne voulait qu'opérer une diversion, afin d'arriver à ses fins particulières. Porter une armée formidable

sur le Danube, faire révolter les Grecs, menacer Constantinople par mer, afin d'obtenir la cession de la Crimée, sous un titre quelconque, tel était le secret de Catherine II. Assistés par Maruzzi, banquier, natif de Janina (1), les insurrecteurs expédiaient fréquemment à Souli, dans l'Acrocéraune, et en Morée, des munitions de guerre, des armes, de l'argent, qui étaient distribués par des agents secrets, jusqu'aux armatolis du Pinde et du Parnasse. Un aventurier, nommé Tamara, enthousiaste des Grecs, ou plutôt désireux d'arriver à la fortune par l'intrigue, s'était abouché de son côté avec toutes les tribus guerrières de la Hellade et du Péloponèse, auxquelles il avait persuadé que l'auguste Catherine voulait enfin leur rendre la liberté. Il s'était rencontré dans ses excursions politiques, avec le thessalien Grégoire Papadopoulo, diplomate ambulant, qui s'était traîné depuis les antichambres des ministres de Pétersbourg, jusqu'aux foyers de tous les couvents répandus dans la Romélie. Les deux émissaires, qui avaient tout à gagner et rien à perdre dans une révolution, s'accordèrent à penser, à dire et à démontrer par des mémoires, qu'il fallait insurger la Hellade, sans s'inquiéter des malheurs qu'ils allaient attirer sur ses habitans.

(1) Et non pas de Larisse, comme le dit Rulhières. Il existe encore à Venise un Maruzzi, parent de celui qui s'était associé aux Orlof, qu'on a fait comte à cause de ses richesses, et dont la fille unique a pour parrain l'empereur de Russie.

Ils entraient ainsi dans les vues de Catherine qui, après avoir imposé des lois à la Pologne, traité avec l'Autriche, la Prusse et l'Angleterre, caressait toutes les autres cours de l'Europe en attendant le moment de s'en faire craindre. Réduite à flatter les conjurés auxquels elle devait le trône, elle sentait, comme tous les usurpateurs, qu'elle ne pouvait régner qu'au milieu des armes; et l'imprudence des Turcs, excités par le comte de Vergennes, ambassadeur de France à Constantinople, provoqua l'évènement qu'elle souhaitait le plus pour sa gloire.

L'impératrice venait, en 1768, de faire entrer de nouvelles troupes en Pologne ; les confédérés de Bar s'étaient adressés une seconde fois à la Porte ottomane pour lui demander des secours, lorsque le comte de Vergennes, instruit de ces démarches, détermina le sultan à s'opposer aux projets des Russes. L'Europe, dans son intérêt, aurait dû alors adhérer aux plans du cabinet de Versailles; mais, déjà, le système fatal de la politique des convenances, avait prévalu sur les principes éternels du droit public (1)!

A la nouvelle de l'arrestation de son ambassadeur, qui fut renfermé au château des Sept-Tours, Catherine II fit publier à son de trompe la guerre

(1) C'était vers ce temps que Catherine disait au prince Henri de Prusse: Je flatterai l'Angleterre; chargez-vous d'acheter l'Autriche, pour qu'elle endorme la France. Qui s'est maintenant chargé d'endormir la Russie?

dans Pétersbourg, et les hostilités s'étendirent bientôt des rives du Danube aux rives du Kouban. Cependant l'Europe, attentive à ce spectacle, y semblait encore indifférente, lorsqu'elle apprit qu'une escadre, sortie de la Baltique, entrait dans la Méditerranée (1). Elle était commandée par Spiridof, ou plutôt par ce soldat qu'un attentat avait élevé au rang de général, Alexis Orlof, à qui l'audace tenait lieu d'expérience et de talent. Maruzzi, décoré du cordon de Sainte-Anne, et devenu marquis, lui avait ouvert un crédit de trente-cinq millions. D'autres emprunts, formés à Livourne, à Gènes, à Lucques et à Amsterdam, le laissaient sans inquiétudes sur ses ressources; les Grecs devaientils l'être également sur leur avenir?

S'il avait existé parmi ceux-ci un homme versé dans la connaissance des affaires publiques, il lui aurait été facile de démontrer à ses compatriotes, ainsi que le prouve maintenant la correspondance entre Voltaire et le roi de Prusse, que cette princesse ambitieuse était loin de s'être élevée jusqu'à la pensée de tendre une main libératrice aux Grecs. Si un semblable projet avait existé, ne devait-elle pas porter ses forces au midi de son empire, atta

(1) La première division de l'armée navale russe se composait de quinze vaisseaux de ligne, six frégates, et de transports sur lesquels on avait embarqué des galiotes à bombe, des galères démontées et quelques troupes. Elle fut jointe ensuite par cinq vaisseaux et deux frégates aux ordres du contre - amiral Elphingston.

quer son ennemi de ce côté? Alors elle vengeait l'affront du Pruth sur les rives du Bosphore; et, maîtresse de Constantinople, elle brisait les fers des chrétiens orientaux. C'était donc une déception destinée à masquer d'autres vues, qui avait fait détacher une escadre de Cronstad ( port éloigné de la Turquie de tout le diamètre de l'Europe), obligée d'effectuer une longue navigation, avant d'attaquer le Grand Turc. Cette réflexion ne fut pas faite, et la flotte russe avait passé l'hiver à Livourne, avant que ceux qui la commandaient eussent arrêté sur quel point de l'empire ottoman ils frapperaient le premier coup, lorsque les Grecs décidèrent la question.

Grégoire Papadopoulo, qui était venu s'établir à OEtylos, après sa conférence avec Tamara, n'avait pas eu de peine à faire entrer dans ses idées Janaki Mavro Michalis bey du Magne, père de celui qui combat maintenant à la tête des Grecs (1). Ses capitaines, qui étaient alors au nombre de quatorze, ainsi que Bénaki, l'un des plus riches propriétaires de Calamate, ayant accédé à ce projet, on adressa aux généraux russes, à Livourne, un plan d'insurrection, aussi détaillé que

(1) La plupart de ces détails m'ont été confirmés par M. Bénaki, fils de celui dont il est ici question, que j'ai connu consul général de Russie à Corfou. Depuis ce temps, il n'avait jamais cessé d'entretenir le feu sacré parmi les Grecs. Il est mort dernièrement à Naples, où il était consul général, estimé de tous ceux qui l'ont connu.

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