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CHAPITRE VI.

Corruption de l'Épire. — Campagne de Russie. Paix entre

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cette puissance et la Turquie. Différends, survenus entre

le satrape et le consul de France, terminés. major Andruzzi.

- Prise de Moscou. Parti

en tire pour sauver la famille du major. de Scodra, épouse la fille aînée de Véli. nales.-Terreur subite d'Ali, causée par

Assassinat du

que

le consul

Moustaï, pacha

Noces. Saturl'assassinat manqué

de Pacho bey.—Inceste du satrape avec sa belle-fille Zobéide. Demi-confidence de ce crime, faite dans son embarras.

Exil d'Ali. Lettre du duc de Bassano.

Discussion plus que politique entre le tyran et le consul de France.

Le méchant qui persiste dans le crime parce qu'il s'y plaît, ne peut regretter la vertu : elle est sans charmes pour son cœur dépravé. Cependant un secret instinct lui crie que sa plus cruelle punition sera de déplorer le malheur de l'avoir abandonnée. Ali n'avait plus affaire à ces fiers mahométans qui juraient autrefois par l'unité de Dieu, ni à ces chrétiens vaincus, mais fermes dans la foi, qu'un parjure effrayait plus que la mort. Tout était perdu sous ce rapport en Épire, comme dans les pays où la religion, ayant consumé sa force dans les petites choses, n'en a plus pour les grandes. Des cérémonies, des rits, en remplaçant les devoirs les plus essentiels de l'homme, avaient affaibli les remords et la conscience qui les donne. On peut tout oser avec un peuple superstitieux. Nous avons vu

le satrape entouré de derviches, lorsqu'il était en proie aux maladies, se recommander alors aux prières des chrétiens; et parmi cette foule de lâches attachés au culte du Christ et de Mahomet, qui adressaient des voeux au ciel pour celui que la foudre aurait dû écraser, un seul homme austère osant se lever pour lui reprocher en face les crimes de sa vie..... mais à peine le cheïk Jousouf fut-il rentré dans sa cellule, que le tyran, qui avait redouté sa présence, passa de la consternation où il l'avait laissé dans l'habitude de ses occupations et de ses déréglements.

L'année 1812, qui vit éclater la dernière lutte entre la France et la Russie, avait accéléré les négociations entamées à Bukarest. Démétrius Morousi, qui était investi de pleins pouvoirs, séduit par l'espoir d'être nommé hospodar, tout en faisant céder à la Russie, dont il était la créature, la partie de la Moldavie, située entre le Dniester et le Pruth, conserva au sultan, Jassi et la Valachie entière (1).

(1) La Russie conclut de cette façon un traité plus qu'avantageux, vu la position critique dans laquelle elle se trouvait. Il n'est pas douteux que si D. Morousi avait insisté sur la restitution intégrale des deux principautés, elle aurait été consentie par les plénipotentiaires russes. La complaisance du prince grec était si évidente, que ses reconnaissants amis lui conseillèrent de se réfugier en Russie. Il hésitait, lorsque rassuré par les promesses de Galib effendi, son co-négociateur, il se détermina à rentrer sur le territoire ottoman. A peine arrivé à Choumlé, sur la rive droite du Danube, Morousi fut massacré à l'entrée de la tente du grand - visir, qui envoya sa tête à Con

Dès-lors la Porte Ottomane ne songea plus qu'à observer une stricte neutralité entre les puissances chrétiennes, résolue d'attendre les événements, pour savoir, non le parti qu'elle embrasserait, mais l'attitude qu'elle devait tenir au milieu des grands événemens qui s'annonçaient. Elle avait été informée des menaces de l'empereur Napoléon contre le visir de Janina; elle condescendit à lui donner quelquesunes de ces satisfactions évasives, en usage dans la diplomatie de Péra, où l'on crie victoire quand on n'est pas battu.

Au moment où le midi de l'Europe, conduit par Napoléon, s'ébranlait pour marcher contre la Russie, un Kodja-khian de la Porte Ottomane, nommé Gélal Effendi, chargé de mettre un frein aux scandales d'Ali pacha, arriva à Janina. C'était l'espèce de moyen terme qu'on avait cru devoir prendre, pour ne pas éprouver un déni complet de justice, depuis que la guerre contre les Moscovites était résolue. Ainsi le consul se félicita de n'avoir pas ouvert un foyer de calamités dans la Grèce, en rompant intempestivement l'état de paix existant entre la France et la Turquie. Le Kodja-khian était porteur de quarante-deux firmans énonçant une foule de griefs susceptibles de faire connaître aux moins clairvoyants la félonie du satrape, ses liaisons de tous les temps avec les ennemis de l'état,

stantinople, où on l'exposa à la porte du sérail avec celle de son frère Panagioti, injustement accusé de complicité dans sa trahison envers le sultan.

et le fond de sa politique. Des conférences s'ouvrirent; le consul obtint, selon l'usage, satisfaction pour des affaires de peu d'importance, tandis qu'on remettait sans cesse à lui faire droit, relativement à la violence du pavillon sous lequel Ali avait enlevé le major Andruzzi, son fils et son neveu. On objectait que ces trois militaires étant nés dans l'Acrocéraune, la Porte, et par conséquent son visir, ne pouvaient jamais perdre à leur égard le droit de souveraineté. La question de naturalisation ni celle de violence ne pouvant prévaloir contre ce dogme, celui qui voulait à tout prix sauver trois chrétiens consentit, afin de ménager la suprématie ottomane, qu'il était en droit de décliner, à ce qu'on laissât évader Andruzzi des prisons. Ce biais politique fut suggéré par le Kodja-khian de la Porte, avec promesse qu'aussitôt après l'élargissement du major, on rendrait les deux autres captifs. Cette bizarre capitulation de l'orgueil prouvait que le cabinet ottoman, comme tous les gouvernements théocratiques, ne fait jamais de concession sur ce qu'il nomme ses droits; mais combien on était éloigné de prévoir la trame déloyale que le crime préparait à la faveur d'une vaine concession.

Toutes les négociations étaient terminées après six semaines de colloques argutieux, lorsqu'on fut informé que le major Andruzzi avait été trouvé assassiné en dehors de sa prison, sous les fenêtres d'une chambre réservée aux détenus de distinction, c'est-à-dire à ceux qui paient largement les geoliers. Dix minutes après, on apprend qu'on

portait son cadavre au cimetière; et mon frère, courant aussitôt à une galerie qui donnait sur la rue, voit passer ces restes dégouttants de sang.... nous demeurons anéantis.... puis, en nous interrogeant mutuellement, nous nous demandons si ce crime est l'ouvrage du visir, et nous décidons de feindre d'ignorer une atrocité qui se passe sous nos yeux.

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Mille pensées se présentent à notre imagination: serions-nous à la veille d'une guerre avec la Turquie? Nos armées auraient-elles éprouvé quelques désastres en Russie? Nous nous perdions en conjectures, lorsqu'à midi un courrier du gouvernement nous apporta, avec la nouvelle de la victoire de Borodino, celle de l'entrée de Napoléon dans Moscou. Ali pacha venait de recevoir les détails officiels des mêmes événemens; il m'invite à monter au sérail, et mon frère s'y rend à ma place. Le criminel le comble de caresses; il veut entendre de sa bouche le récit des hauts faits de nos armées, qu'il écoutait d'un air préoccupé, en essayant de trouver moyen d'interrompre la narration.

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« Voilà d'admirables choses.... Tu ne sais rien de

plus?

<«< rien?

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Rien. — Et dans la ville, que dit - on?

-

«< -Je l'ignore. C'est possible: cependant ? Quoi! Mais... - Dis. - Eh bien! on prétend « que le major Andruzzi est mort. — Oui; est-ce « tout? Non; et qu'il a été assassiné. — Par qui << ton frère croit-il que ce coup a été fait? - Par << votre ordre, visir. Hélas! il n'a que trop raison <«< de l'imaginer. Tout dépose contre ma fortune

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