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coutumes des tribus schypes (1), par Éminé, épouse vertueuse du plus criminel des hommes. Il fut stipulé qu'Ali garderait ses conquêtes, qui seraient considérées comme la dot de la fille aînée d'Ibrahim, qu'on donna en mariage à Mouctar, son fils aîné. Celui-ci s'empressa de répudier une Turque de Janina, qu'il avait épousée au Capin (espèce de mariage à terme), qu'on donna pour femme à Démir Dost, avec une somme provenant des contributions de guerre. Les chefs des armatolis et leurs soldats reçurent des esclaves, de l'argent, et dès lors (2) les voluptés, et l'insatiable cupidité, qui pousse ordinairement la jeunesse à servir les tyrans et à opprimer les peuples, rendirent le dévouement des Schypetars au satrape tel, qu'ils n'y mirent plus de bornes. Ils auraient marché à la conquête du monde, si un autre Pyrrhus se fût réveillé dans l'Épire, avec autant de zèle qu'ils manifestaient d'indifférence en égorgeant leurs propres compatriotes; tant la démence égare les esclaves dressés au carnage par un chef ambi

tieux.

Les noces qui scellèrent le traité garant de la tranquillité des Albanies étaient à peine finies, qu'on vit éclater une discorde nouvelle entre les familles de Bérat et de Janina. Des lettres ano

(1) Voyez la partie du Voyage intitulée : Mœurs des Schypetars. Tome II, chap. LXIII, et suiv.

(2) Eschin. in Timarch., p. 290. A. orat. vet., Steph. 1575. in-folio.

nymes, mystérieusement adressées et remises à Ibrahim pacha, le prévenaient que son épouse cherchait à l'empoisonner, dans l'intention de se marier à Ali pacha, qu'on accusait de lui avoir suggéré ce dessein. Le prétendu complot était masqué des couleurs les plus spécieuses; et auprès de tout autre Turc, une pareille révélation devenant une réalité, aurait été, sans examen suivie d'un arrêt de mort. Mais Ibrahim démêla les projets de son ennemi ainsi que l'innocence de celle qu'il voulait perdre, à cause de la fermeté de son caractère.

Cette intrigue ténébreuse, dont la prudence avait dévoilé l'iniquité, demeura ensevelie dans le secret de la famille. Mais si Ibrahim eut le bonheur de se garantir d'un crime qui aurait fait le malheur de sa vie, car cet homme juste craignait Dieu et respectait la justice, il ne put prévenir une autre embûche de son implacable ennemi. Ali avait trop bien apprécié la faiblesse de celui auquel il venait d'arracher d'importantes concessions, pour le redouter; mais il voyait avec inquiétude Sépher Bey, frère d'Ibrahim, et il entreprit de s'en défaire; chose d'autant plus difficile que celui-ci était sur ses gardes.

On sait (1) que le Zagori est de temps immémorial en possession de fournir des médecins à une grande partie de la Romélie. Ce fut à un des

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(1) Tome I, ch. x11 du Voyage dans la Grèce.

charlatans de ce pays qu'Ali pacha eut recours afin d'exécuter son projet, en lui promettant quarante bourses s'il parvenait à le débarrasser de Sépher Bey. Pour masquer sa démarche, aussitôt que l'empoisonneur eut pris la route de Bérat, le pacha l'accusa d'évasion et fit arrêter comme complices de ce délit sa femme et ses enfants, qu'il retint, en apparence en qualité d'otages, mais pour gages du secret de l'attentat qu'il était chargé d'exécuter. Sepher Bey informé de cet acte de rigueur par les lettres d'Ali, qui écrivait au visir Ibrahim de lui renvoyer son transfuge, ne doutant pas qu'un homme persécuté ne méritât sa confiance, le prit à son service. Ce premier pas étant fait, l'assassin, aussi souple que perfide, s'avança tellement dans les bonnes graces de son protecteur, qu'il devint son apothicaire, son médecin, son confident; et à la première incommodité, il lui administra la potion fatale. Dès qu'il aperçut les symptômes du poison, il prit la fuite, et favorisé par les émissaires d'Ali, l'homicide arriva à Janina pour recevoir le prix de son forfait. Il fut félicité sur sa dextérité; Ali l'adressa à son trésorier pour toucher le prix du sang; et au sortir du sérail, afin d'effacer l'unique témoin de son crime, il fut étranglé par des bourreaux qui l'attendaient au passage.

Le satrape, habile à rétorquer les crimes les plus révoltants contre l'innocence même, tira avantage du supplice de ce médecin, en disant qu'il avait puni l'assassin de Sépher Bey, et en publiant le récit de son empoisonnement, dont il laissa planer le

soupçon sur l'épouse d'Ibrahim pacha, qu'il accusait d'être jalouse de l'ascendant que son beau-frère exerçait dans sa maison. Il en écrivit dans ce sens à ses créatures, à Constantinople, et partout où il avait intérêt à décrier une famille dont il avait juré la perte. Il se doutait bien qu'il ne serait pas cru de tout le monde; mais il savait que si les blessures faites par la calomnie guérissent, leurs cicatrices sont ineffaçables! A la faveur de ces bruits qu'il propageait, il armait, disait-il, pour venger la mort de Sépher Bey; et sous ce prétexte, il se proposait de nouveaux envahissements, lorsqu'il fut arrêté dans ses projets par Ibrahim pacha, qui fit agir la ligue du Chamouri ou Thesprotie.

Les beys de cette contrée mirent aussitôt en avant les Souliotes, qui avaient eu récemment quelques communications avec des émissaires étrangers. Tel fut le motif de la première guerre des chrétiens indépendants de la Selleïde contre Ali pacha, guerre entreprise pour seconder les projets de la Russie, qui agitait de nouveau la Hellade, afin d'appuyer les vues ambitieuses de Catherine II.

CHAPITRE III.

Patriotisme. Vœux, espérances des Grecs. —Projets de Catherine II et de Potemkin. Correspondance entre Catherine

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Portrait

et Voltaire. - Naissance d'Alexandre Petrowitz. de Potemkin. Inquiétudes qu'il cause aux Turcs. Enthousiasme des Grecs pour la Russie.-Naissance du grandduc Constantin. - Concession arrachée au divan.-Voyage de l'impératrice en Crimée.-Entrevue avec Stanislas, roi de Pologne. Arrivée de Joseph II.—Son séjour à Kerson.— Fêtes, déceptions.-- Guerre entre la Russie et la Turquie.— Intrigues du cabinet moscovite.-Émissaires Grecs à Pétersbourg. Accueil qu'ils reçoivent.-Espérances qu'ils donnent à leurs compatriotes. Sotiris se rend à Souli. Arrivée de Tamara à Ithaque pour

de Lambros Catzonis. soulever la Grèce.

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- Aventures

Part que prend Andriscos aux évènements. Guerre des Souliotes en 1790 et 1791 contre Ali pacha.- Mort de Potemkin. - Ibrahim marie sa seconde fille à Véli, fils d'Ali. — Ses noces. Assassinat des beys de Cleïsoura. Licence introduite à Janina. - Paix entre la Porte Ottomane et la Russie. Départ de Tamara d'Ithaque. Lambros Catzonis prend le titre de roi de Sparte. — Déclare

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la guerre au sultan. Est battu.. Se retire à Pétersbourg.

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- Arrestation et mort d'Andriscos. —Ali prend les armatolis à son service. - Attaque les Souliotes qui le battent. — Sa politique envers les Épirotes. — Essaie de surprendre Souli. - Lettre de Tzavellas. — Ali accusé de félonie comment.

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LE sentiment de la liberté tient à l'essence du territoire que les Grecs habitent; il semble s'en exhaler comme le souffle prophétique des oracles

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