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Tout le monde convient que le droit de surveillance exercé sur les écoles privées est d'une part nécessaire et légitime en soi, et que, de l'autre, il n'est nullement une entrave à la liberté de l'enseignement, puisqu'il ne porte point sur les méthodes. D'ailleurs, dans le projet de loi, la surveillance est au plus haut degré désintéressée, exercée par une autorité impartiale et qui doit rassurer les esprits les plus ombrageux, car elle est en très-grande partie élective. Enfin, nul maître d'école privée ne peut être interdit de l'exercice de sa profession, à temps ou à toujours, qu'après un procès spécial comme le délit lui-même, et par une sentence du tribunal civil ordinaire.

Mais quelque liberté que nous laissions, quelques sûretés que nous donnions aux écoles privées, quelques vœux que nous fassions pour qu'elles s'étendent et prospèrent, ce serait un abandon coupable de nos devoirs les plus sacrés de nous en reposer sur elles de l'éducation de la jeunesse française. Les écoles privées sont libres, et par conséquent livrées à mille hasards. Elles dépendent des calculs de l'intérêt ou des caprices de la vocation, et l'industrie qu'elles exploitent est si peu lucrative qu'elle attire peu et ne retient presque jamais. Les écoles privées sont à l'instruction ce que les enrôlements volontaires sont à l'armée; il faut s'en servir sans y trop compter. De là, messieurs, l'institution nécessaire des écoles publiques, c'est-à-dire d'écoles entretenues en tout ou en partie par les communes, par les départements ou par l'État, pour le service régulier de l'instruction du peuple. C'est le sujet du titre III.

Nous avons attaché à toute commune ou, pour prévoir des cas qui, nous l'espérons, deviendront de jour en jour plus rares, à la réunion de plusieurs communes circonvoisines, une école publique élémentaire; et, pour entretenir cette école, nous avons eru pouvoir combiner utilement plusieurs principes que trop souvent on a séparés. Il nous a paru que nulle école communale élémentaire ne pouvait subsister sans ces deux conditions: 4o un traitement fixe

qui, joint à un logement convenable, rassure l'instituteur contre les chances de l'extrême misère, l'attache à sa profession et à la localité; 2o un traitement éventuel, payé par les élèves, qui lui promette une augmentation de bien-être à mesure qu'il saura répandre autour de lui, par sa conduite et ses leçons, le besoin et le goût de l'instruction.

Le traitement fixe permet d'obliger l'instituteur à recevoir gratuitement tous les enfants dont les familles auront élé reconnues indigentes. Seul, le traitement fixe aurait deux graves inconvénients. D'abord, comme il devrait être assez considérable, il accablerait quiconque en serait chargé; ensuite, il établirait le droit à l'instruction gratuite, même pour ceux qui peuvent la payer, ce qui serait une injustice sans aucun avantage, car on profite d'autant mieux d'une chose qu'on lui fait quelque sacrifice, et l'instruction élémentaire elle-même ne doit être gratuite que quand elle ne peut ne pas l'être. Elle ne le sera que pour quiconque aura prouvé qu'il ne peut la payer. Alors, mais seulement alors, c'est une dette sacrée, une noble taxe des pauvres, que le pays doit s'imposer; et dans ce cas, il ne s'agit plus, comme dans la loi de l'an IV ou dans celle de l'an X, du quart ou du cinquième des élèves; non, messieurs, tous les indigents seront admis gratuitement. En revanche, quiconque pourra payer payera, peu sans doute, très-peu, presque rien, mais enfin quelque chose, parce que cela est juste en soi, et parce que ce léger sacrifice attachera l'enfant à l'école, excitera la vigilance des parents et les relèvera à leurs propres yeux.

Voilà pour l'instruction élémentaire. Quant à l'instruction primaire supérieure, comme elle est destinée à une classe un peu plus aisée, il n'est pas nécessaire qu'elle soit gratuite; mais la rétribution doit être la plus faible possible, et c'est pour cela qu'il fallait assurer un traitement fixe à l'instituteur. Nous espérons que ces combinaisons prudentes porteront de bons fruits.

Maintenant, qui supportera le poids du traitement fixe? La commune, le département ou l'État? Souvent et presque

toujours, messieurs, tous les trois la commune seule, si elle le peut; à son défaut, et en certaine proportion, le département; et, au défaut de celui-ci, l'État, de sorte que, dans les cas les plus défavorables, la charge, ainsi divisée, soit supportable pour tous.

C'est encore là une combinaison dans laquelle l'expérience nous autorise à placer quelque confiance. Nous reproduisons le minimum du traitement fixe de l'instituteur élémentaire, tel qu'il a été fixé par le dernier projet de loi et accepté par votre commission; et le minimum que nous vous proposons pour le traitement fixe de l'instituteur du degré supérieur ne nous paraît pas excéder les facultés de la plupart des petites villes.

L'ancien projet de loi et votre commission avaient voulu que toute commune s'imposât jusqu'à concurrence de cinq centimes additionnels pour faire face aux besoins de l'instruction primaire. Trois centimes nous ont semblé suffisants, mais à condition d'imposer le département, non plus seulement à un nouveau centime additionnel, mais à deux, pour venir au secours des communes malheureuses. Quand les sacrifices de la commune et ceux du département auront atteint leur terme, alors interviendra l'État avec la subvention annuelle que vous consacrez à cet usage. Vous voyez dans quel intérêt ont été calculées toutes ces mesures, et nous nous flattons que vous les approuverez.

Il ne peut y avoir qu'une seule opinion sur la nécessité d'ôter à l'instituteur primaire l'humiliation et le souci d'aller recueillir lui-même la rétribution de ses élèves et de la réclamer en justice, et sur l'utilité et la convenance de faire recouvrer cette rétribution dans les mêmes formes et par les mêmes voies que les autres contributions publiques. Ainsi l'instituteur primaire est élevé au rang qui lui appartient, celui de fonctionnaire de l'État.

Mais tous ces soins, tous ces sacrifices seraient inutiles, si nous ne parvenions à procurer à l'école publique ainsi constituée un maître capable, digne de la noble mission d'institu

teur du peuple. On ne saurait trop le répéter, messieurs; autant vaut le maître, autant vant l'école elle-même.

Et quel heureux ensemble de qualités ne faut-il pas pour faire un bon maître d'école?

Un bon maître d'école est un homme qui doit savoir beaucoup plus qu'il n'en enseigne, afin de l'enseigner avec intelligence et avec goût; qui doit vivre dans une humble sphère, et qui pourtant doit avoir l'âme élevée pour conserver cette dignité de sentiments, et même de manières, sans laquelle il n'obtiendra jamais le respect et la confiance des familles; qui doit posséder un rare mélange de douceur et de fermeté, car il est l'inférieur de bien du monde dans une commune, et il ne doit être le serviteur dégradé de personne; n'ignorant pas ses droits, mais pensant beaucoup plus à ses devoirs; donnant à tous l'exemple, servant à tous de conseiller, surtout ne cherchant point à sortir de son état, content de sa situation parce qu'il y fait du bien, décidé à vivre et à mourir dans le sein de l'école, au service de l'instruction primaire, qui est pour lui le service de Dieu et des hommes. Faire des maîtres, messieurs, qui approchent d'un pareil modèle, est une tâche difficile, et cependant il faut y réussir, ou nous n'avons rien fait pour l'instruction primaire.

Un mauvais maître d'école, comme un mauvais curé, comme un mauvais maire, est un fléau pour une commune. Nous sommes bien réduits à nous contenter très-souvent de maîtres médiocres, mais il faut tâcher d'en former de bons; et pour cela, messieurs, des écoles normales primaires sont indispensables. L'instruction secondaire est sortie de ses ruines; elle a été fondée en France le jour où, recueillant une grande pensée de la Révolution, la simplifiant et l'organisant, Napoléon créa l'École normale centrale de Paris. Il faut appliquer à l'instruction primaire cette idée simple et féconde. Aussi, nous vous proposons d'établir une école normale primaire par département.

Mais quelle que soit la confiance que nous inspirent ces

établissements, ils ne conféreront pas à leurs élèves le droit de devenir instituteurs communaux si ceux-ci, comme tous les autres citoyens, n'obtiennent, après un examen, le brevet de capacité pour l'un ou l'autre degré de l'instruction primaire auquel ils se destinent.

Il ne reste plus, messieurs, qu'une mesure à prendre pour assurer l'avenir des instituteurs primaires. Déjà la loi du 21 mars 1832 exempte du service militaire tous ceux qui s'engagent pour dix ans au service non moins important de de l'instruction primaire. Un article du dernier projet ménageait des pensions, au moyen de retenues assez fortes, aux instituteurs communaux dont les services auraient duré trente ans, ou qui, après dix ans, seraient empêchés de les continuer par des infirmités contractées pendant leurs fonctions. Votre commission de la session dernière avait rejeté cet article par diverses considérations, entre autres par la crainte que le trésor public n'eût quelque chose à ajouter aux produits des retenues pour former une pension un peu convenable. Après de sérieuses réflexions, un autre système nous a paru propre à atteindre le but que nous nous proposons. Dans le nouveau projet de loi, il ne s'agit plus de pensions de retraite, mais d'une simple caisse d'épargne et de prévoyance en faveur des instituteurs primaires communaux. Cette caisse serait établie dans chaque département; elle serait formée par une retenue annuelle sur le traitement fixe de chaque instituteur communal; le montant de la retenue serait placé en rentes sur l'État, et le produit total serait rendu à l'instituteur à l'époque où il se retirerajt, ou, en cas de décès dans l'exercice de ses fonctions, à sa veuve ou à ses héritiers.

Il est expressément entendu que, dans aucun cas, il ne pourra être ajouté aucune subvention sur les fonds de l'État à cette caisse de prévoyance; mais elle pourra recevoir des legs et des dons particuliers. Ainsi se trouveraient conciliés les intérêts de l'État, chargé de trop de pensions pour consentir à voir s'augmenter encore cet énorme chapitre de ses

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