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M. le ministre de l'instruction publique.— Le droit de parler, le droit de discuter est bien, sans aucun doute, le premier droit et le plus individuel du député; cependant il est soumis au contrôle de la majorité; la majorité ferme la discussion quand elle le juge convenable. (Murmures aux extrémités.)

M. LAFFITTE. C'est une tyrannie.

M. le ministre de l'instruction publique.-Ce n'est point une tyrannie; la majorité écoute et ferme la discussion, et la clôture de la discussion n'est autre chose qu'une limite apportée au droit de parler à cette tribune. Le droit de parler, de discuter, quelque sacré qu'il soit dans son principė, quelque étendu qu'il soit dans son exercice, n'est donc pas illimité. Il est placé, je le répète, sous le contrôle de la majorité, et elle exerce ce contrôle tous les jours, soit en refusant la parole, soit en fermant la discussion. Si vous reconnaissiez le principe contraire, si vous admettiez un droit individuel qui fût affranchi du contrôle de la majorité, il lui serait supérieur, et le pouvoir de la Chambre disparaîtrait. devant celui d'un seul membre.

Cela est tellement impossible, messieurs, que dans tous les précédents invoqués sur le sujet même qui nous occupe, le droit de la Chambre de permettre ou d'empêcher l'interpellation a été formellement reconnu par les orateurs euxmêmes qui font des interpellations, et par l'honorable membre qui a introduit lui-même le droit d'interpellation dans cette enceinte. Je demande à la Chambre la permission de lui rappeler purement et simplement les paroles prononcées, dans deux ou trois occasions, par l'honorable M. Mauguin lui-même. La Chambre verra qu'il reconnaissait que la première chose à faire était de demander à la Chambre la permission d'interpeller le gouvernement. C'est dans ces termes mêmes, je le répète, dans les termes de permission que M. Mauguin a parlé et les voici :

« Je saisirai cette occasion pour prévenir la Chambre que mon intention est de demander jeudi à M. le ministre des

affaires étrangères des explications sur la conduite politique. du ministre à l'égard de la Belgique et de la Pologne. Les événements de ces deux pays ont trop de gravité, ils occupent trop la Chambre et la nation pour que la Chambre ne me permette pas de provoquer ces explications. » (Exclamations diverses.)

M. MAUGUIN. C'est par politesse que j'employais cette forme.

M. GUIZOT. J'ai à citer des paroles encore plus positives. Le 16 septembre 1831, M. Mauguin disait :

«Notre position diplomatique est tout à fait changée. Je demande à la Chambre la permission de lui indiquer ce que les circonstances rendent nécessaire, et d'examiner avec elle la situation nouvelle où nous allons nous trouver.

« Je voulais donc la prévenir que, si elle n'y mettait point obstacle, mon intention était de demander aux ministres des renseignements sur ce qui vient de se passer dans la malheureuse Pologne, et de leur adresser des interpellations sur leur conduite dans la question belge. »

M. ODILON BARROT.-Je demanderai s'il y a eu un vote préalable sur cette prétendue permission.

M. GUIZOT.-Je répondrai tout à l'heure à la question de l'honorable M. Odilon Barrot. En ce moment, je me borne à rappeler les paroles de M. Mauguin qui disait formellement: «Je préviens la Chambre que, si elle n'y met point obstacle, j'adresserai telle interpellation au ministre. »

M. Mauguin reconnaissait donc que la Chambre avait le droit d'y mettre obstacle. (On rit.)

Voix à gauche.—De mettre obstacle à l'ordre du jour, mais non aux interpellations.

M. FIOT.-Le droit d'interpellation dérive de la responsabilité ministérielle..., du droit qu'a la Chambre d'accuser les ministres.

M. GUIZOT.-Il est impossible de croire que les paroles d'un homme tel que l'honorable M. Mauguin n'aient point de sens. (Murmures aux extrémités.) A coup sûr, lorsqu'il

dit : « si la Chambre n'y met point obstacle, » cela veut dire « que la Chambre peut y mettre obstacle. » La Chambre peut donc y mettre ou ne pas y mettre obstacle, c'est-à-dire que la question dépend d'elle seule, c'est-à-dire que la Chambre peut admettre ou ne pas admettre les interpellations.

Maintenant M. Odilon Barrot m'a demandé si cette question a été alors posée à part: elle ne l'a pas été, parce que le droit de la Chambre n'a pas été contredit, parce que l'honorable M. Mauguin lui-même l'a reconnu, parce que (permettez-moi une expression qui n'a rien d'offensant dans ma pensée), les faiseurs d'interpellations n'avaient jamais imaginé que la Chambre fùt obligée, soumise, servilement soumise à entendre leurs interpellations.

M. ODILON BARROT. Nous n'avons pas prétendu cela non plus.

M. GUIZOT.-Je prie l'honorable M. Odilon Barrot de vouloir bien remarquer que je ne l'ai pas interrompu quand il a parlé.

M. le Président. Ce n'est pas ici une interpellation, c'est une discussion.

M. GUIZOT. Messieurs, je rappelle à la Chambre ses propres précédents, les précédents des membres mêmes qui ont adressé la plupart des interpellations. Eh bien! j'affirme, parce que j'ai relu toutes ces discussions, que jamais il n'était entré dans l'esprit de personne que la Chambre fût absolument tenue d'entendre les interpellations qui pourraient être faites.

Je dis que c'est ici un fait nouveau, une prétention toute nouvelle, qui s'est manifestée hier, pour la première fois, une prétention destructive des droits de la majorité. (Rumeurs aux bancs de l'opposition.) Oui, messieurs, destructives des droits de la majorité, qui sont les droits de la Chambre et les premiers droits de la Chambre. Sans doute, je professe un grand respect pour les droits de la minorité; jamais, pour mon compte, je n'ai rien fait pour

diminuer en rien sa liberté de discussion; mais, après tout, quand il faut arriver à un résultat, les premiers droits de la Chambre sont les droits de la majorité. Nous les maintiendrons, messieurs; nous ne souffrirons pas qu'on vienne détruire le respect dû à la majorité et porter le trouble dans les délibérations de la Chambre. (Très-bien! très-bien!)

Je le répète, messieurs, le droit d'interpellation des membres est dominé par un droit placé au-dessus, par le droit de la majorité d'admettre ou de ne pas admettre les interpellations.

Messieurs, il n'y a point de droit dans ce monde qui ne soit soumis à un contrôle supérieur; et la majorité ellemême est soumise au contrôle du pays par l'élection; et les électeurs eux-mêmes sont soumis au contrôle de l'opinion universelle du pays, de la raison universelle qui se manifeste tôt ou tard, et finit toujours par prévaloir.

Je réduis toute cette discussion à deux points. En principe, le droit d'interpellation est une conséquence du droit d'initiative. La Chambre, par tolérance, pour la plus grande facilité de la discussion, a dispensé les interpellations de quelques-unes des formes, de quelques-unes des nécessités auxquelles l'initiative ordinaire des députés est soumise. Mais dans tous les précédents qu'on peut citer à ce sujet, il a toujours été reconnu que la Chambre conservait le droit d'admettre les interpellations ou de ne pas les admettre. La lecture du Moniteur le prouve d'une manière invincible; les paroles de M. Mauguin que j'ai citées le disent formellement; et quand on vient vous demander aujourd'hui d'élever le droit individuel d'interpellation au-dessus du droit de la Chambre, on viole tous les précédents comme tous les principes; on vous propose de détruire les droits de la majorité, et de porter le trouble dans vos délibérations à venir. (Marques d'adhésion aux centres.)

LVII

- Chambre des députés. - Séance du 12 mars 1834.

A la suite des troubles violents qui avaient éclaté dans Paris et sur plusieurs points du royaume, le gouvernement présenta, le 25 février, un projet de loi sur les associations. Le rapport en fut fait, le 6 mars, par M. Martin du Nord. La discussion s'ouvrit le 11 mars. Je pris la parole le 12, en réponse à M. Pagès, député de l'Ariége.

M. GUIZOT, ministre de l'instruction publique. - Messieurs, je voudrais, avant d'entrer dans la discussion, répondre tout de suite à l'une des assertions de l'honorable préopinant. Il nous a opposé l'exemple de l'Angleterre. Je voudrais simplement mettre sous les yeux de la Chambre la traduction de quelques actes du Parlement rendus, l'un en 1798, sous le ministère de M. Pitt, l'autre, je crois, en 1817, et l'autre en 1821; je ne saurais répondre exactement des dates...

T. II.

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