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point dû attendre depuis le moment où j'avais cessé d'espérer de faire accepter des compensations pécuniaires.

Pour tirer finalement de la cession de nos droits sur Salève tous les avantages que j'entrevoyais, j'eus soin de la représenter comme extrêmement difficile et à peu près hors de nos pouvoirs. Je déclarai que je ne donnais aucune importance aux raisonnements par lesquels on prétendait anéantir le sens d'un mot décisif du Protocole de Vienne; que се revers septentrional de Salève était déjà territoire suisse par l'acceptation de la Diète, que je n'osais y toucher sans prendre de nouveaux ordres du Directoire; enfin que mes instructions écartaient toute idée d'une route militaire entre la montagne et Genève.

Quant à Chêne-Thonex et au désenclavement de Jussy, je fis observer que les dispositions des Puissances étaient relatives à la sûreté et à la tranquillité de la Suisse entière, beaucoup plus qu'aux convenances administratives de Genève; qu'on nous désenclavait pour prévenir les incidents et les occasions de querelles entre deux Etats limitrophes dont les territoires étaient entremêlés; qu'on nous assignait le bourg et la commune de Chêne-Thonex pour écarter de notre ville le chef-lieu des communes restantes de la province de Carouge; qu'on reculait les douanes au-delà des montagnes, soit dans le même but d'éviter les incidents journaliers amenés par leur proximité de Genève, soit en exécution d'une idée libérale d'économie politique dont on avait déjà fait une heureuse application au Pays de Gex; qu'enfin on rétrocédait au Roi le littoral, parce que la communication assurée entre Genève et la Suisse dans le Traité du 20 novembre, rendait cette possession beaucoup moins importante pour la facilité des secours que Genève pouvait tirer des autres

cantons.

J'insistai donc pour que la commune de Chêne-Thonex et quelques autres nécessaires au désenclavement de Jussy nous fussent cédées, et pour que les douanes fussent retirées au-delà des montagnes, moyennant une rétrocession du littoral. Quant à l'interprétation du Protocole de Vienne; je la supposai dans notre sens comme étant celui sur lequel les Ministres des Cours garantes n'hésitaient pas.

La crainte de se voir rejetés au-delà de Salève, et de perdre la portion des communes de Chêne, d'Ambilly et de

Ville-la-Grande qui est au midi du Foron; celle de se voir forcés à retirer les douanes au-delà des montagnes et de renchérir une administration moins efficace en prolongeant considérablement la ligne des postes, cette crainte, dis-je, rendit les négociateurs sardes plus abordables sur des concessions que je n'aurais point osé espérer. Ils me proposèrent la ligne de Foron jusqu'auprès de notre territoire de Jussy, en m'offrant de me compenser au nord des trois communes, ce que j'aurais cédé de celles-ci au midi du ruisseau, pourvu que je leur abandonasse nos prétentions sur la pente de Salève.

Je leur demandai de s'expliquer sur la limite des cessions au nord et au nord-ouest; alors la commune de MeinyChoulex avec une moitié du littoral fut offerte en compensation de l'abandon proposé des droits que nous pouvons prétendre sur Salève, et de quelques facilités que nous ferions dans la détermination de la nouvelle ligne des douanes. Je professai mon désir de respecter les convenances et les intérêts du Roi autant qu'ils étaient conciliables avec le but et les devoirs de sa mission. En conséquence j'offris de laisser subsister plus près de nous la ligne des douanes, de solliciter à Zurich la permission de lâcher une route militaire au nord de Salève, de donner une somme suffisante pour convertir le village d'Annemasse en un chef-lieu d'administration, et pour construire les nouvelles routes nécessaires, à condition que le littoral entier serait laissé à Genève avec le territoire en dedans d'Hermance, à partir du territoire de Jussy.

Après quelques difficultés, cette base fut agréée des Commissaires; mais dès le lendemain ils mirent en avant, pour se rétracter, le refus du Ministre d'acheter par des cessions si disproportionnées en territoire, en population et en revenus, la possession non-disputée d'une route sur laquelle ils avaient d'incontestables droits. Une audience du Ministre que je provoquai, me confirma sa résistance. Il fit parler le Roi. Il motiva son refus sur ce que Sa Majesté se faisait un scrupule de conscience d'étendre en faveur d'un Pays protestant les cessions de sujets catholiques, qui lui étaient imposées et qui faisaient une sorte de violence à son sentiment paternel envers eux. Enfin, tout en reconnaissant que l'arrangement de la route de Salève et les adoucissements auxquels j'avais consenti relativement à la fixation de la ligne

des douanes étaient avantageux, il professa l'intention de revenir purement et simplement à la lettre des deux Protocoles ce qui mettrait la Cour de Turin en disposition de faire valoir auprès des Ministres des Puissances toutes les considérations d'équité.

Cette disposition que j'avais également trouvée chez les deux Plénipotentiaires, m'imposait le devoir de ne point laisser rompre le fil d'une négociation dont les résultats, même médiocres, ne pouvaient jamais être avantageusement remplacés par un prononcé des Puissances. Je devais supposer, à la vérité, que mes adversaires montraient, à l'égard du prononcé, plus de sécurité qu'ils n'en éprouvaient; mais j'avais moi-même des motifs bien plus réels de le redouter, malgré la bienveillance personnelle sur laquelle je pouvais compter de la part des quatre Ministres Etrangers.

Je cachai avec soin cette crainte; je fis valoir convenablement le tort qu'on avait eu de m'induire en erreur par des concessions verbales qu'on reprenait ensuite, mais qui, vu la communication que j'en avais faite à mon Gouvernement dans l'intervalle, donnaient à notre négociation le caractère de l'incertitude, et pouvaient amener la défiance, ce qui rendrait tout plus difficile entre nous; mais je consentis à rentrer dans la discussion, en proposant d'augmenter, s'il le fallait, les sacrifices pécuniaires pour conserver l'arrondissement sur lequel nous étions verbalement tombes d'accord.

Il faut avouer que la convenance géographique d'un arrondissement de territoire, n'indiquait pas que le littoral entier dût être donné à Genève. Un certain ruisseau des Ifs qui les coupe par le milieu, marquait bien plus naturellement la limite nouvelle. Il laissait au Roi quatre villages, c'est-à-dire, une population qu'il désirait ardemment conserver, tandis que nous avions toujours montré de l'indifférence non-seulement sur le nombre des habitants à acquérir, mais même sur l'étendue du territoire nouveau, pourvu que nos communications administratives fussent faciles, et que le désenclavement fût obtenu. Une route nouvelle, dite l'Allée de Merlinge, partant du village de ce nom pour joindre à angle droit la grande route d'Evian vers ce ruisseau des Ifs, était indiquée par mes adversaires comme la borne commode et naturelle de notre nouveau

territoire. Cette supposition nous laissait encore un excédent de population et de revenu, comparativement à l'exécution. littérale des Protocoles, et rendait ainsi mon refus difficile à justifier, difficile même à expliquer.

C'est dans cette discussion, qui occupa plusieurs séances, que j'eus à m'applaudir d'avoir travaillé dès le début à obtenir de mes adversaires, par des soins et des égards, par la profession d'un sentiment d'équité, de modération, de respect pour les droits de Sa Majesté et pour ses vœux, quelqu' intérêt et quelqu' estime. C'est uniquement à cette disposition personnelle que j'ai dû de sauver le désenclavement en conservant le Littoral.

J'invoquai le témoignage de mes adversaires sur l'esprit dans lequel j'avais négocié jusque là; sur les ménagements que j'avais professés; sur le désir que j'avais montré d'adoucir autant qu'il serait possible les sacrifices du Roi, et de faire paraitre avantageusement les résultats de leur propre travail aux yeux de ceux qu'ils auraient pour juges. Je leur demandai de se mettre un moment à ma place, et de ne point confondre ma tâche avec celle d'un négociateur qui a à rendre compte seulement au Ministre qui l'a nommé. J'avais à combiner les instructions directes et les vœux de deux Gouvernements, et à réprondre aux objections de XXII Etats sur des objets complexes qui ne comportaient pas tous des éclaircissements suffisants. Quelque fut le produit net de mon travail, j'étais sûr d'être blamé; mais je devais désirer d'éviter, autant que la nature des choses le comportait, le blame sur les points où l'opinion populaire était d'accord en Suisse. Cette opinion semblait se prononcer sur la conservation du Littoral à moins que le Protocole du 3 novembre ne fût littéralement exécuté. On regardait généralement ce Littoral comme un sol devenu helvétique; et si l'arrangement qui nous occupait rendait au Roi une partie de ce territoire, j'étais sûr d'avoir contre moi, sinon mes juges immédiats, du moins une grande partie de mes concitoyens.

En écartant, décidément et par ordre du Roi, la proposition de compenser par de l'argent des cessions de territoire, les Plénipotentiaires Sardes parurent avoir égard aux considérations que je leur présentais, et chercher de bonne foi quelque manière de balancer équitablement les sacrifices. Ils proposèrent enfin de leur rétrocéder la Commune de

Saint-Julien, qui n'avait point encore été acceptée par la Suisse. A ce prix ils me laissaient le Littoral et l'arrondissement précédemment convenu, sauf les Villages de Veigy et de Foncenex.

J'avais obtenu à Paris la Commune de Saint-Julien pour Genève, en faisant remarquer qu'elle projetait sur nous un angle saillant à portée de la bombe de la ville de Carouge. Le Bourg même de Saint-Julien, situé à l'extrémité méridionale de la dite Commune, nous importait moins. Puisqu'il fallait que le Roi de Sardaigne gardat ou construisit à nos frais un chef-lieu pour l'administration des 29 communes de la Province de Carouge qui lui restaient, ne valait-il pas mieux lui rendre Saint-Julien plus éloigné de Genève que cet Annemasse à la construction duquel nous avions déjà à-peu-près promis de consacrer cinq cent mille francs de France? 1)

Cette compensation du Bourg de Saint-Julien, qui nous assurait le Littoral, semblait donc une solution singulièrement heureuse de la difficulté. Je me fis néanmoins presser pour l'accorder. Je fis remarquer que, n'ayant pas d'instruction sur la rétrocession d'un point déjà occupé par les troupes suisses, rétrocession à laquelle il y aurait sûrement beaucoup d'objections, je ne pouvais qu'en écrire à Zurich. J'observai qu'il ne devait être question, dans la proposition qu'on me faisait, que du Bourg même de Saint-Julien, comme chef-lieu d'administration, et non du territoire de cette commune, qui se projetait du côté de Genève; et que dans la supposition que Saint-Julien fût rendu au Roi, il ne devait plus être question des indemnités pécuniaires que nous avions destinées à la construction des édifices nécessaires a un chef-lieu d'administration.

Je prends la liberté de renvoyer Votre Excellence aux détails de ma correspondance confidentielle qui lui ont ete communiqués. C'est sur cette base que les dispositions territoriales du Traité ont été arrêtées. Je reviendrai à ce résultat.

1) Die Gemeinde St. Julien bestund aus drei besondern Gemeindewesen, als: a. St. Julien, b. Ternier und c. Perly. St. Julien und Ternier sind in Folge des Vertrages vom 16. März 1816 an Savoyen zurückgegeben worden, während dagegen das Gemeindewesen Perly dem Kanton Genf einverleibt blieb.

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