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téme démocratique d'inégalité successivement décroissante, et d'égalité successivement croissante.

◄ Gardons-nous de demander l'application immédiate de nos doctrines communistes. Nous avons toujours dit que nous ne voulions triompher que par la discussion, par la conviction, par la puissance de l'opinion publique, par le consentement individuel, par la volonté générale. Restons fidèles à nos paroles... >>

Ainsi, tout le monde cherchait à se placer à la hauteur de la grande révolution politique et sociale accomplie par le peuple, et ce fut dans ces heureuses dispositions que la fête pour la proclamation solennelle de la République eut lieu.

Dès la matinée du 27, deux bataillons de chacune des légions de la garde nationale parisienne et tous les bataillons de la banlieue furent s'établir sur les boulevards, la droite appuyée à la place de la Bastille, les drapeaux, les musiques et les sapeurs en tête. Les élèves de l'Ecole Polytechnique, ceux de Saint-Cyr et d'Alfort, ainsi que les élèves des Écoles de médecine et de droit, devaient aussi être passés en revue par le gouvernement provisoire. L'empressement de tous ces citoyens et d'un grand nombre d'autres fut tel qu'on devait l'attendre d'une population enthousiaste.

A une heure, les membres du gouvernement et leur escorte quittèrent l'Hôtel-de-Ville pour se rendre sur la place de la Bastille : ils marchaient deux à deux. MM. Lamartine et Arago ouvraient la marche, se tenant par le bras, et précédés du général Courtais. Le temps, qui avait été couvert et pluvieux une partie de la matinée, changea tout à coup, et un soleil, que l'on a comparé à celui de Juillet 1830, éclaira cette fête mémorable.

Tous les membres du gouvernement provisoire s'étant réunis autour de la colonne, y furent entourés des drapeaux de la garde nationale et du peuple mille autres drapeaux aux trois couleurs flottaient aux fenêtres, tant sur le passage du cor

tége, que sur la longueur des boulevards. Une foule immense couvrait la place de la Bastille et les voies qui y aboutissent. Après que les musiques eurent exécuté les airs nationaux de la première Révolution et ce qu'on appelle le Chant des Girondins (1), M. Arago prit la parole:

<< Sur cette place, dit-il, où nos pères ont inauguré la liberté, < nous venons proclamer la RÉPUblique française. Ils ont eu « le courage de la créer; nous aurons la sagesse de la conduire << dans une voie large, grande et glorieuse.

« Vive la République! »

A peine M. Arago eut-il poononcé ces mots magiques, qu'une acclamation, sortie de cent mille poitrines, lui répondit par ce même cri: Vive la République! Les musiques se mêlerent à ces cris, et les drapeaux saluèrent l'inauguration ollicielle de cette République tant désirée par les hommes marchant à la tête de la civilisation du monde.

Le doyen des membres du gouvernement, M. Dupont (de l'Eure), adressa à la garde nationale quelques paroles bienveillantes pour la remercier de sa conduite dans la révolution glorieuse qui venait de rajeunir la France. Nous comptons sur votre concours, lui dit-il, pour nous aider à maintenir l'ordre (*), à établir un gouvernement fort et puissant, qui

(') Le Chant des Girondins est un de ces anachronismes comme on en trouve tant dans les romans et les drames prétendus historiques. Le chant de notre première révolution qui a pour refrain:

Mourir pour la patrie,

C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie,

fut fait à l'occasion du combat naval auquel le Vengeur donna son nom, combat qui eut lieu le 13 prairial an II. A cette époque, les girondins étaient morts depuis longtemps. Ce ne fut donc pas mourir pour la patrie! qu'ils firent entendre en allant à l'échafaud, mais bien : Le jour de gloire est arrivé. Le musicien du prétendu Chant des girondins a été mal inspiré en modifiant l'air primitif, qui vaut beaucoup mieux que la musique nouvelle.

(*) Ce bon M. Dupont (de l'Eure) en était encore aux formules du gouvernement déchu, qui parlait toujours de l'ordre et jamais de la liberté.

puisse faire la gloire et le bonheur de la France. Vive la République! »

-«Vive la République! reprit M. Crémieux. Rendons hommage aussi aux mânes de nos frères de Juillet. Que devaient-ils penser en nous voyant perdre une à une ces libertés conquises par leur sang! Qu'ils ont dû tressaillir aux échos de notre révolution, plus grande encore que la leur, puisqu'elle nous donne la véritable liberté!

« La République est la mère de tous les citoyens, qui sont tous frères et fils d'une grande patrie! Quand cette patrie s'ap pelle la France, on doit être fier et heureux d'être républicain français. Vive la République! vive la France! »

Vive la République! vive la France! répondirent les légions, en défilant au pied de la colonne.

Et les musiques exécutaient alternativement le Chant des Girondins, la Marseillaise et le Chant du départ.

Et le peuple ne cessa de crier Vive la République! jusqu'au moment où le gouvernement provisoire, arrivant sur le perron de l'Hôtel-de-Ville, salua le cortège avec ce même cri, désormais consacré par le baptême que venait de lui donner le peuple français.

૨૦

TOMI

CHAPITRE VIII.

Motifs de l'insistance du peuple pour la proclamation de la République. - Unanimité de l'opinion en ce moment. Principes qui découlaient de cette République democratique. - Programme du gouvernement provisoire. Circunstances favorables où se trouvait l'Europe en 1848.-Empressement des fonctionnaires à saluer la République. - Conduite de l'armée. — La République lui présente une nouvelle carrière de gloire à parcourir. - Formation d'un conseil de défense générale et de quatre armées d'observation.-La nouvelle République devait se préparer à la guerre offensive, de propagande démocratique et de délivrance des peuples. — Le gouvernement provisoire n'ose pas déchirer complétement les iniques traités de 1815. — Il recule devant l'idée de faire de la propagande efficace. - Il ne promet l'appui de la France que conditionnellement et dans l'avenir. — On compare ses membres aux girondins. — Les vieux républicains veulent la guerre d'affranchissement des peuples. – Prédiction de Robespierre a ce sujet. - Question italienne. - Déclaration du gouvernement provisoire à cet égard.- Engagement qu'il prend, au nom de la France.

LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE est enfin proclamée officiellement. Le peuple, qui l'avait acclamée depuis trois jours, tenait beaucoup à cette consécration solennelle, parce qu'il craignait quelque trahison, comme en 1830, et il ne voulait pas donner aux contre-révolutionnaires et aux intrigants le temps de déployer leur habileté. De là ses vives insistances auprès du gouvernement provisoire. « Nous ne proclamâmes pas la République, disaient plus tard à ce sujet les membres de ce même gouvernement, en rendant compte à l'Assemblée nationale de leur mission; elle s'était proclamée d'elle-même, par la bouche de tout un peuple: nous ne fimes qu'écrire le cri de la lation..... »

«En proclamant la République, ajoutait encore ce même gouvernement provisoire, le cri de la France n'avait pas proclamé seulement une forme de gouvernement; il avait

proclamé un principe. Ce principe, c'était la démocratie pra tique, l'égalité des droits, la fraternité par les institutions. La Révolution accomplie par le peuple devait s'organiser, selon nous, au profit du peuple, par une série continue d'institutions faternelles et tutélaires propres à conférer régulièrement à tous les conditions de dignité individuelle, d'instruction, de lumières, de salaires, de moralité, d'éléments de travail, d'aisance, de secours et d'avènement à la propriété, qui supprimassent le nom servile de prolétaire, et qui élevassent le travailleur à la hauteur de droit, de devoir et de bien-être des premiers-nés à la propriété. Elever et enrichir les uns sans abaisser et sans dégrader les autres; conserver la propriété et la rendre plus féconde et plus sacrée en la multipliant et en la parcellant dans les mains d'un plus grand nombre; distribuer l'impôt de manière à faire tomber son poids le plus lourd sur les plus forts, en allégeant et en secourant les plus faibles; créer, par l'Etat, le travail qui manquerait accidentellement par le fait du capital intimidé, afin qu'il n'y eût pas un travailleur en France à qui le travail manquàt avec le salaire; enfin, étudier avec les travailleurs eux-mêmes les phénomènes pratiques et vrais de l'association, et les théories encore problématiques des systèmes, pour y chercher consciencieusement les applications, pour en constater les erreurs; telle fut la pensée du gouvernement provisoire....>>

Certes, c'était bien là la République démocratique et sociale que le gouvernement provisoire voulait ainsi constituer; la dernière qualification, le mot sociale ne s'y trouvait pas, il est vrai, pas plus qu'il ne se trouve dans la constitution de 1793; mais les bases du socialisme étaient bien certainement inscrites dans ce dernier programme, à côté des principes de la plus pure démocratie. Par quelle fatalité ce programme est-il devenu aussi décevant que celui dit de l'Hôtel-de-Ville!

Nous en ferons connaitre les causes au fur et à mesure que

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