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paient souvent pour improuver les propositions des orateurs de la gauche ; la séance n'avait pas cessé d'être tumultueuse. Mais lorsqu'ils virent monter à la tribune le chef du dernier cabinet de Louis-Philippe, le pressentiment de l'appui qu'il allait prêter à M. Dupin les porta à faire eux-mêmes la police de la salle. «Ecoutez ! écoutez ! » crièrent les dynastiques.

Après un exorde dans lequel M. Barrot parla de la néces sité de conserver le sang-froid, de se montrer prudent, et surtout de sauver le pays du fléau de la guerre civile, ce ministre posthume montra à la Chambre son devoir tout tracé par les événements, dit-il. « Ce devoir, ajouta l'orateur, a heureusement cette simplicité qui saisit toute une nation, il s'adresse à ce qu'elle a de plus généreux et de plus intime, à son courage, à son honneur.

« La couronne de Juillet repose sur la tête d'un enfant et d'une femme. »

Les centres, électrisés par ces paroles, se lèvent et, pour la première fois peut-être, ils applaudissent vivement M. Odilon Barrot. En même temps, les députés des centres et quelques spectateurs des tribunes privilégiées font entendre des acclamations qui s'adressent à la duchesse d'Orléans et à son fils. La duchesse se lève, salue l'Assemblée, et invite son fils à l'imiter.

<< Je fais un appel solennel », s'écrie M. Barrot, qui croit le moment décisif...

<< Vous ne savez ce que vous faites, interrompt brusquement le député La Rochejaquelein.

La princesse se lève comme pour parler; mais malgré les encouragements qu'elle reçoit des centres, on la voit s'asseoir de nouveau au milieu de ses deux enfants. M. Barrot, que la vive apostrophe de M. La Rochejaquelein a interdit un moment, reprend ainsi son plaidoyer:

« C'est au nom de la liberté politique de notre pays; c'est

au nom de la nécessité de l'ordre surtout, au nom de notre union et de notre accord dans des circonstances si difficiles, que je demande à tout mon pays de se rallier autour de ses représentants de la révolution de Juillet. Plus il y a de grandeur et de générosité à maintenir et à relever ainsi la pureté de l'innocence, et plus mon pays s'y dévouera vec courage. Quant à moi, je serai heureux de consacrer mon existence, tout ce que j'ai de facultés au monde, à faire triompher cette cause, qui est celle de la vraie liberté... »

Ici, M. La Rochejaquelein ayant demandé la parole.

Est-ce que, par hasard, on prétendrait remettre en question ce que nous avons décidé par la révolution de Juillet? » lui crie M. Barrot de sa voix la plus retentissante.

Et il répète alors ce qu'il a déjà dit sur les difficultés des circonstances, sur la grandeur d'àme, la générosité, le bon sens de la nation française. Il pense qu'il suffit de cet appel pour que la population de Paris se lève et se range autour du drapeau qu'il lui présente, comme moyen d'assurer au pays toute la liberté à laquelle il a droit de prétendre. Il montre du doigt la guerre civile agitant ses brandons, si la Chambre ne remplit pas son devoir.

<< Celui qui a le courage de prendre la responsabilité d'une guerre civile, ajoute-t-il, celui-là est criminel envers son pays et envers la liberté de la France et du monde entier. Quant à moi, messieurs, je ne puis prendre cette responsabilité. La régence de Mme la duchesse d'Orléans, un ministère pris dans les opinions les plus éprouvées, vont donner plus de gages à la liberté; et puisse un appel au pays, à l'opinion publique, dans toute sa liberté, se prononcer alors, et se prononcer sans s'égarer jusqu'à des prétentions rivales de la guerre civile.»

Il était difficile de se montrer plus maladroit que le fut M. Barrot en défendant la cause de la régence improvisée.

Que dire de cet orateur faisant de fréquents appels aux sou

venirs de 1830, lorsque l'ordre de choses consacré par la Chambre de cette époque n'avait point cessé d'être considéré comme le malheur et la honte de la France, la perte de ses libertés, de son rang, de sa prépondérance en Europe, la ruine

de sa moralité et de ses finances à l'intérieur! Et ce fantôme

de guerre civile que M. Barrot montrait à des hommes qui venaient de mettre fin à cette guerre fratricide, en intimant au chef de la dynastie de Juillet l'ordre de partir! La guerre civile n'allait-elle pas recommencer, si le peuple n'obtenait pas la satisfaction et les garanties qu'il avait su conquérir par son courage! Et comment espérer que la population parisienne, qui avait le droit d'être si défiante en pensant à 1830, se laisserait encore endormir par les hommes et les choses de Juillet! «< Être ainsi défendu, en pareil jour, disait plus tard un journal qui avait longtemps applaudi les harangues de M. Barrot, c'était le dernier des malheurs auxquels pût être condamnée la duchesse d'Orléans ! »

Et ce journal avait raison.

Voyez quels avantages le député Ledru-Rollin sut tirer de la faiblesse d'un orateur en qui il découvrait un adversaire sur les questions les moins contestables!

Et d'abord, c'est le député légitimiste La Rochejaquelein, qui, tout en déclarant ne pas avoir la folle pensée d'élever des prétentions contraires, ne craint pas de dire que M. Barrot n'a pas servi, comme il le voulait sans doute, les intérêts pour lesquels cet orateur s'était tant avancé.

M. La Rochejaquelein déclare à l'Assemblée qu'elle n'est plus rien.

<Comment dcnc! s'écrient les centres; comment donc, nous ne sommes plus rien!-Nous ne pouvons accepter cela ! reprend M. de Morny. A l'ordre! à l'ordre!» clament les satisfaits. Monsieur, dit le président Sauzet, vous vous écartez de l'ordre; je vous rappelle à l'ordre. »

TOME I.

Quand je dis que vous n'êtes plus rien, poursuit La Rochejaquelein, en vérité je ne croyais pas soulever des orages. Ce n'est pas moi, député, qui vous dirai que la Chambre des députés n'existe plus comme Chambre; je dis qu'elle n'existe plus comme..... (interruption)... Je dis, messieurs, qu'il faut convoquer la nation, et alors..... »

La Rochejaquelein en était à ces déclarations, qui faisaient bondir de fureur sur leurs siéges les députés des centres, lorsqu'une foule d'hommes armés, gardes nationaux, étudiants, ouvriers, pénètre dans la salle des séances et arrive jusqu'à l'hémicycle. Plusieurs de ces citoyens sont porteurs de drapeaux. Un tumulte général se produit dans l'Assemblée. La plupart des membres siégeant aux bancs des centres refluent vers les banquettes supérieures. Les cris: « Nous voulons la déchéance du roi! la déchéance! la déchéance!» sont poussés par ceux qui paraissent marcher à la tête, et répétés par la foule. Le président, fort embarrassé, semble vouloir lever la séance; mais M. de Morny lui conseille seulement de la suspendre. M. Sauzet se couvre, et déclare qu'il n'y a point de séance en ce moment-là.

Au milieu du bruit et de la confusion qui règnent dans la salle, la duchesse d'Orléans et ses enfants, pressés par le duc de Nemours, quittent l'Assemblée par la même porte du milieu ('). Ce n'est qu'au moment où le citoyen monté à la tri

(') Des témoins oculaires ont raconté qu'en voulant fuir, la duchesse, ses enants et les personnes qui l'accompagnaient, coururent quelque danger d'être écrasés par la foule qui encombrait les salles d'attente, par où ils furent obligés de passer. La duchesse, séparée un moment de ses fils, jetait de grands cris. Mais elle se rassura quand on lui montra ses enfants, sains et saufs, dans le jardin de la présidence, où un répblicain les avait placés, en les descendant par une fenêtre. Un instant après, la mère et les enfants réunis étaient conduits à l'hôtel des Invalides; ils y passèrent la nuit, en attendant d'aller rejoindre Louis-Philippe à Eu.

Quant au duc de Nemours, le seul qui eût pu courir des dangers personnels, s'il eût été reconnu, il se hâta de passer dans les appartements de l'Ouest. Là, il quitta son uniforme de lieutenant-général pour se cacher sous une redingote bourgeoise qu'on lui prêta.

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Ledru Ketting

I Rebel rath

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