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De quel côté le peuple et l'armée se rangèrent-ils lorsque le Directoire, voyant la République menacée par les conspirateurs royalistes, se décida à frapper le coup d'État du 18 fructidor? Ce fut encore du côté où se trouvaient les hommes jui avaient donné des gages aux principes renfermés dans la déclaration des droits et la Constitution de l'an Ier.

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Qui conserva le feu sacré de la liberté et la tradition des principes quand un général heureux, renversant la représentation nationale, eut la mauvaise pensée de détruire tout ce qu'il devait relever, et de rétablir tout ce qu'il semblait appelé à détruire à jamais? -Ce fut encore le peuple et l'armée, c'est-à-dire le parti de la liberté.

Qui, pendant les premières années du rétablissement de la monarchie en France, lutta sans cesse contre ces gouvernements tyranniques et mensongers; qui conspira tant de fois leur renversement; qui peupla les prisons, les bagnes et monta sur l'échafaud pour faire triompher la cause sainte de la liberté, alors qu'elle semblait perdue et oubliée en France? - Ce fut toujours le même parti, dont rien n'avait pu altérer la foi vive et sincère.

Quand la dernière heure de la monarchie mitigée, de la royauté constitutionnelle des vieux Bourbons parut sonner, qui fit disparaître, en un clin d'oeil, ces milliers d'emblèmes royaux, attestations patentes de l'asservissement de la France? Qui fit entendre spontanément le premier cri de liberté, lorsque les royalistes de toutes les nuances se rattachaient fortement à une Charte mensongère et la présentaient à la France comme

la planche de salut au milieu du naufrage? Ne fut-ce pas encore le parti de l'avenir, ces dignes fils de la génération de 1792, dont les jésuites n'avaient pu fausser l'éducation politique?

Et après 1830, qui conspira, en permanence et au grand jour, contre ce gouvernement infidèle à son origine, et ne tra vaillant qu'à comprimer les nobles élans de la France? Qui le combattit sans cesse et par tous les moyens, jusqu'au jour où il tomba sous le mépris public? Ne sont-ce pas les hommes appartenant au parti démocratique, au parti du peuple! et n'estpas ce parti national qui proclama de nouveau en France la sainte République, malgré la présence de tous les valets de la royauté, cherchant, comme en 1830, à escamoter la révolution faite par le peuple, et qui devait l'être à son profit?

Affirmons donc hautement ici ce que nous avons dit en commençant cette Introduction et ce que nous venons de prouver en parcourant l'histoire de nos soixante dernières

années :

Oui, le peuple français est assez mûr pour jouir de la liberté! Oui, il possède assez de moralité, assez de vertus pour vivre en République! Non, ce n'est point un peuple frivole, inconstant, capricieux.

Ce serait une grande erreur de croire qu'il a changé d'opinion politique suivant les gouvernements qu'il s'est donnés ou qu'il a subis. Le peuple français du dix-neuvième siècle est essentiellement démocratique; il est passionné pour la liberté; il a des principes arrêtés sur les institutions qui conviennent à une nation libre; et lorsque les publicistes croient apercevoir

de grands revirements dans ce qu'on appelle l'opinion publique, ces changements ne sont en réalité que l'effet du déplacement des deux grands partis qui divisent aujourd'hui la nation et le monde entier.

Ainsi, par exemple, lorsqu'une grande révolution, comme celles de 1830 ou de 1848, donne le pouvoir aux hommes. dévoués à la cause de la liberté, à la démocratie, il semble aussitôt que toute la population, toutes les classes qui la composent, sont soudainement devenues républicaines; nulle voix discordante ne se fait entendre: elles paraissent toutes confondues dans la même acclamation: on affirmerait qu'il n'existe plus qu'un seul parti en France.

Ceux qui se laisseraient séduire par ces apparences fallacieuses encourraient plus d'un désappointement et s'exposeraient à de grands mécomptes; car, si les démonstrations en faveur de l'état de choses amené par cette révolution sont unanimes à la surface, le parti aveugle, qui repousse la démocratie parce qu'il tient encore à la royauté, n'est pas anéanti; il n'est que refoulé au-dessous de la population qui salue la liberté comme le plus grand bienfait qu'un peuple puisse conquérir.

Le devoir d'un gouvernement prudent et fort est alors de tenir en respect les vaincus, jusqu'à ce qu'il lui soit permis de les admettre au banquet fraternel des démocrates. S'il se relâche dans sa juste sévérité; s'il oublie les leçons de l'histoire pour se laisser maitriser par les sentiments de générosité qui sont l'essence des républicains, il ne tardera pas à s'aperce voir qu'il a commis des fautes: et comme les gouvernements ne

peuvent en commettre que de grandes par les résultats, ces fautes ne tardent pas à produire leurs conséquences, et deviennent irréparables.

On voit alors le parti vaincu et refoulé relever insensiblement la tête, se mêler à ceux qui l'ont fait tomber, parler la même langue, pour mieux le tromper, et déployer toute son habileté

pour surnager.

Bientôt ce parti sort de l'état de caput mortuum où l'avait réduit la victoire de la démocratie, et se montre de nouveau à la surface.

S'il met un pied dans le gouvernement, soyez convaincu qu'il ne tardera pas de s'en emparer complétement; car les moyens honteux qui répugneraient aux démocrates, il sait les utiliser. S'il le faut, il calomniera ceux qui se sont montrés imprudents par bienveillance. Suivant les errements des royautés, il travaillera à isoler ceux dont l'union lui porte ombrage; il corrompra l'opinion publique, il créera même l'anarchie et provoquera la guerre civile pour arriver à ses fins.

Redevenu, par l'intrigue, maître des destinées de l'État, ce parti, cent fois vaincu par les armes, cent fois tombé sous l'exécration publique; ce parti, qui ne représente que des préjugés, se gonfle pour paraître grand et fort: employant ses richesses, bien ou mal acquises, à solder toutes les plumes vénales, il embouche les trompettes de la renommée pour proclamer que les royalistes sont les seuls honnêtes gens de la France; que ce parti est le seul capable de la conduire dans les bonnes voies; qu'il est en grande majorité dans la nation, et

que le parti démocratique n'est qu'une imperceptible faction. Mais vienne un mouvement populaire dans le sens de la démocratie, viennent les coups de fusil, comme disait Martainville à la veille des journées de juillet, qui lui donnèrent un démenti si éclatant, alors le parti royaliste disparaît tout à coup, en présence de la démocratie qui coule à pleins bords et qui déborde, et la marche lente mais toujours progressive de l'humanité reprend son cours, que les pygmées ont voulu

arrêter.

Quelles conclusions tirer de cet état de choses, qui dure depuis si longtemps, sinon que l'aristocratie et l'aveugle parti marchant à sa suite ne peuvent être considérés que comme un obstacle, momentané dans la vie des nations, à l'avénement complet de la démocratie en France, en Europe et dans le reste du globe? Le rôle qu'assigne forcément la marche du genre humain à cette queue de la royauté, est celui d'un misérable Sisyphe, condamné à faire remonter l'énorme rocher qui gravite sans cesse pour l'écraser, et qui l'écrasera infailliblement le jour prochain où le malheureux, condamné à ce stérile travail, sentira ses forces épuisées. Les royalistes de notre époque sont l'arrière-garde d'une armée battue, d'une armée qui a perdu sa ligne d'opération et toutes les positions qui la rendaient naguère formidable; d'une armée qui ne peut plus se recruter : tous les efforts de cette arrière-garde du passé, toutes les ressources stratégiques et l'habileté de ses chefs ne peuvent que retarder de quelques heures le triomphe des républicains, qui la pressent de toutes parts et sont prêts

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