Images de page
PDF
ePub

à l'envelopper pour l'anéantir à tout jamais. Cette arrièregarde peut encore obtenir quelques succès partiels pendant le sommeil des peuples; mais les moyens atroces dont elle se sert pour se faire jour à travers les obstacles qu'elle rencontre, les cruautés inouïes qu'elle déploie aux yeux des populations indignées hâteront sa défaite 1.

La démocratie n'a donc qu'à laisser faire ses ennemis; ils travaillent activement à lui donner gain de cause aux yeux des peuples le plus en retard de se joindre à ses drapeaux. Elle n'a plus besoin de livrer des batailles sanglantes : le hasard des combats serait une imprudence inqualifiable pour le parti qui est sûr de l'avenir : il n'a qu'à laisser faire le temps et à enregistrer les fautes des amis de la royauté; ils se chargeront eux-mêmes de presser le dénoûment, parce qu'ils sont incorrigibles, et que les leçons de l'histoire ne leur ont jamais profité.

Voyez comme tous les règnes des rois restaurés, qui avaient eux-mêmes marché sur les traces de Louis XVI, sont copiés les uns sur les autres, pour arriver à la même catastrophe!

Louis XVIII et Charles X, Villèle et Polignac ne se sontils pas épuisés à vouloir reconstituer, en France, une aristocratie désormais sans racines dans le pays? N'ont-ils pas blessé profondément les susceptibilités nationales, en traînant le premier peuple du monde à la suite d'une alliance impie formée entre des barbares, et en forçant ce peuple à subir les honteux traités de 1815? N'ont-ils pas eu la folie de vouloir

Méditez les actes atroces du roi de Naples, de Radetzki et de Windischgraetz!

TOME I.

3

mener la France du dix-neuvième siècle comme l'eût fait un Louis XIV? Ne s'y sont-ils pas pris de toutes les manières pour priver le peuple des libertés dont il voulait jouir, pour museler les journaux et imposer silence aux écrivains patriotes?

Tous leurs actes n'ayant été qu'autant de défis jetés aux hommes qui avaient conservé le feu sacré de la liberté, les libéraux de la Restauration, représentant alors le vieux et indomptable parti démocratique, finirent par accepter ce défi provocateur; ils y répondirent par les héroïques et à jamais glorieuses journées de juillet 1830.

Le lendemain de sa victoire, le parti vainqueur se laissa jouer par les habiles du système représentatif, et même par quelques-uns de ses propres chefs, qui, mesurant à leur taille la révolution faite par le peuple, la réduisirent à une révolte de sérail.

Et pourtant, qui n'eût envié la position où Louis-Philippe se trouva en ceignant la couronne? N'était-il pas le maître des événements? Ne pouvait-il pas les diriger à son gré vers le grand but de nos révolutions? Un seul mot de la France émancipée n'aurait-il pas eu le .pouvoir de soulever l'Europe tout entière contre les honteux traités de 1815 et leurs infâmes signataires? Une simple démonstration n'aurait-elle pas suffi pour affranchir tous les peuples que ces traités opprimaient et avaient blessés si profondément?

Mais le bandeau royal aveugle les princes, et le fils de Philippe-Égalité, ce même duc de Chartres qui, jadis, avait

professé les doctrines des jacobins, se trouva transformé en ennemi des peuples, en fougueux adversaire de la liberté.

Comment énumérer les fautes capitales que cet homme, réputé si habile par les flatteurs et les sots, sut accumuler dans les dix-huit années de son règne néfaste? Plusieurs volumes n'y suffiraient pas; car toute sa vie de roi ne fut qu'une longue protestation contre son origine révolutionnaire, qu'une continuelle abjuration des principes qu'il avait proclamés luimême, qu'une trahison permanente contre la cause de la liberté et du peuple français.

Qui ne se rappelle cette longue clameur de l'indignation qui s'éleva dans toute la France, le jour où l'élu des deux cent vingt-un de Charles X, mendiant la reconnaissance officielle de la branche cadette, choisit pour son négociateur auprès des cabinets hostiles l'homme de la trahison incarnée, le roué de la diplomatie, Talleyrand?

:

Quels efforts surhumains ce roi issu des barricades ne fit-il pas pour repousser le vœu de la réunion des Belges, et pour substituer la guerre des princes à la sainte guerre des peuples! Cet homme-là n'eut jamais qu'une idée, une pensée immuable, comme on le disait alors réconcilier son gouvernement avec les rois de l'Europe, fermer l'ère des révolutions et asseoir solidement sa dynastie : intérêts nationaux, intérêts des peuples alliés, libertés publiques des Français, l'or, le sang, la gloire, l'honneur de la France, furent complétement sacrifiés à cette misérable politique d'intrigues que Louis-Philippe substitua de lui-même à la politique grande,

généreuse, digne du peuple, que l'opposition démocratique ne cessa de lui suggérer.

Aussi, quels tristes résultats pour toutes les grandes questions pendantes devant l'Europe!

En moins de deux ans, la France de Juillet, la grande nation, l'arbitre des rois et des peuples, tombée entre les mains d'eunuques royaux, se vit à la fois bafouée par le czar de Russie, honteusement surveillée par l'Autriche, repoussée par la Prusse, outragée par l'Angleterre, jouée par la Conférence de Londres, détestée par les Belges, insultée par le tyran du Portugal et le tyranneau de Modène, honnie par les patriotes espagnols, maudite par la Pologne et l'Italie; et pour comble d'ignominie, elle fut contrainte d'armer pour soutenir le traité en 24 articles, dirigé contre elle, puis d'évacuer la Belgique, sur l'ordre de la Conférence!

Le gouvernement de Louis-Philippe ne tarda pas à recueillir les fruits d'une conduite si propre à blesser tout ce qui portait un cœur français. Pendant que d'un côté les légitimistes relevaient la tête et recommençaient la guerre de la Vendée, pour le compte de l'enfant du miracle, les hommes de la révolution de Juillet s'éloignaient successivement de la meilleure des républiques. Louis-Philippe avait déjà usé la popularité des La Fayette, des Dupont (de l'Eure), des Laffitte, et de tant d'autres bons patriotes qui s'étaient dévoués à servir le roi-citoyen. Benjamin Constant, mort de chagrin, et Casimir Périer, mort à la peinc, laissèrent Louis-Philippe régner personnellement, comme il le voulait

Bientôt le peuple se soulève à la nouvelle de la chute de Varsovie, et court reprocher à l'allié de Nicolas le meurtre de la Pologne.

Les ouvriers de Lyon, ne pouvant vivre en travaillant, veulent mourir en combattant: ils chassent les troupes royales de leur ville.

De toutes parts les républicains se dressent contre un gouvernement traître à la patrie; et Paris tout entier, assistant aux funérailles du brave Lamarque, voit éclater dans ses murs la formidable insurrection des 5 et 6 juin, qui se termine par l'état de siége de cette immense capitale que le choléra décimait.

Nous sommes à peine arrivés au bout des deux premières années du règne de la branche cadette, et déjà les mœurs monarchiques que la révolution de Juillet avait un instant forcées de se voiler, reprennent leur empire. Le prince de Condé meurt comme s'il était à Constantinople. La Bourse, cette caverne de contre-révolutionnaires éhontés, obtient la protection qu'implore vainement le commerce loyal. Christine de Naples est reconnue pour reine, malgré la loi salique, qui expulse les femmes du trône d'Espagne : on ne dit pas à quel prix est négociée cette reconnaissance. Les procès des fusilsGisquet et des pots-de-vin prélevés par de hauts fonctionnaires donnent au public un avant-goût des scandales financiers du règne, et le journal la Tribune se croit autorisé à décerner à la Chambre élective de Louis-Philippe l'épithète indélébile de prostituée, que l'affaire des 25 millions accordés aux ÉtatsUnis semble pleinement justifier.

« PrécédentContinuer »