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et qui d'ailleurs ne représentait que la partie la plus pusillanime et la moins éclairée de la nation. L'opinion publique ne pouvait se servir de la presse, muselée par la législation et par les tribunaux, toujours prêts à condamner impitoyablement la moindre velléité d'opposition sérieuse, sur la déclaration d'un jury trié, dont le pouvoir s'était assuré l'inique concours.

Mais, sous ce silence forcé, l'irritation des masses contre des ministres exécrés et contre un roi à qui l'on attribuait tout l'odieux d'un système personnel; cette irritation constante faisait fermenter les esprits à tel point qu'on pouvait prédire une explosion prochaine.

« Nous ne pouvons nous empêcher de sentir que le sol tremble sous nos pas, disait, dès le mois d'octobre 1847, un journal très-pacifique, mais honnête, et par conséquent poussé à bout; nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître que le ministère, à l'intérieur par la corruption tolérée, à l'extérieur par une incroyable série de lâchetés, prépare une explosion d'indignation générale, et peut substituer une crise, une convulsion violente, à la pacifique transformation que nous nous efforcions de préparer. »

En effet, l'opinion publique minait de tous côtés le gouvernement de Louis-Philippe.

Cette opinion, si longtemps comprimée, avait enfin trouvé le moyen de se faire jour. Un banquet réformiste, organisé au Mans par les patriotes du département de la Sarthe, donna l'idée de réunir, dans chaque localité et à une table commune, tous les citoyens dont l'honnêteté s'était révoltée contre les bas

sesses de la paix à tout prix, et les hontes de la corruption gé

nérale.

A Paris, au banquet réformiste du Château-Rouge, on vit s'élever une tribune patriotique où les paroles les plus généreuses furent prononcées et accueillies comme des prophéties.

« Un seul jour de victoire de l'opinion publique, y annonçait-on, peut emporter toutes les mesures rétrogrades et liberticides dont on a chargé le pays.»

On s'y encourageait en rappelant au peuple les terribles épreuves traversées par la France et dont elle avait triomphe. Les républicains y annonçaient hautement que ce qui avait été manqué en 1830, pouvait se refaire encore par la volonté gé

nérale.

« Que notre réunion, disait un orateur, devienne le signal de manifestations semblables sur tous les points de la France; que partout s'organisent des Comités; que partout se régularise le travail du patriotisme. A un parti qui, sous prétexte de conserver, a fait tomber le gouvernement dans le désordre et l'anarchie, opposons l'exemple de l'union, de l'ordre et de la discipline.

Cet appel fut entendu le patriotisme s'organisa, se mit à l'œuvre, dressa ses tribunes au milieu des populations attentives, qui accueillirent et saluèrent avec enthousiasme les pro vocateurs des reformes que la nation réclamait si ardemment. En moins d'un mois, on compta plus de cinquante banqueti patriotiques-réformistes, présidés par les plus influents parmi let députés ou les écrivains de l'opposition, et auxquels s'assirent

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par milliers de bons citoyens, principalement dans les villes de l'Est et du Nord de la France. Les populations furent ainsi remuées de fond en comble, et leur attitude prouva que le réveil du peuple serait celui du lion.

Et pourtant, les journaux du gouvernement ne voyaient encore dans ce réveil que matière à quelque maladroite plaisanterie, à quelques imprudentes provocations.

« L'opposition, depuis plus d'un mois, lisait-on dans l'Etoile, s'en va flonflonant ses principes de ville en ville sur l'air de la Marseillaise, comme les bateleurs promènent de foire en foire une ménagerie de toutes sortes d'animaux vivants ou morts, au son de la musique! »

Ces quolibets, si hors de saison, prouvaient que ni le ministère, ni le roi n'avaient aucune idée du véritable état des choses, et qu'ils n'apercevaient pas l'ère du progrès s'ouvrant à la face de ces conservateurs-bornes, si spirituellement stigmatisés (1).

Mais quelle serait la nature des réformes pour lesquelles la nation entière se levait avec tant d'ensemble ?

Le député Odilon Barrot, qui avait été le héros d'un grand nombre de banquets, où ses harangues sonores étaient toujours applaudies, pensait qu'on remédierait à tout si l'on parvenait à renverser le ministère Guizot, età modifier la loi des élections d'une manière un peu moins étroite. Ce chef de l'op

(') On aurait pu dire à ce pouvoir décrépit comme Dunois à Charles VII, s'écriait un écrivain de la Démocratie: « Il est impossible de perdre plus joyeusement

une couronne! »

position parlementaire et son parti ne songeaient nullement à remonter jusqu'à la dynastie régnante et moins encore jusqu'au trône, qu'ils voulaient, au contraire, consolider avec les institutions de Juillet, ramenées à leur pureté.

Ainsi, tout le mal que se donnait ce qu'on appelait la gauche dynastique, n'avait pour mobile que quelques portefeuilles. Si l'on eût osé parler du suffrage universel devant les orateurs de ce parti, ils se fussent récriés comme d'une utopie impraticable, qui ne pouvait être rêvée que par des échappés de Charenton!

Mais à côté de ces hommes à vues étroites et des écrivains qu'ils inspiraient, se trouvait le parti de l'avenir, composé de tous ces jeunes républicains qui, depuis 1830, luttaient contre la monarchie de la branche cadette, comme les anciens libéraux avaient lutte contre la restauration de la branche aînée. Le peuple était derrière eux ; car son instinct lui disait qu'on ne pouvait guérir le mal que par les grands moyens. Au surplus, le peuple et les démocrates qui marchaient à sa tête étaient convaincus plus que jamais de toutes les déceptions que renfermait le système monarchique constitutionnel, établi lui-même sur des fictions indignes d'une grande nation : le peuple savait três-bien qu'à côté de ces institutions mensongères se trouvaient les grands principes politiques et sociaux posés par nos pères. Le peuple était donc républicain sincère; il ne pouvait vouloir d'un replâtrage tel que le combinaient les habiles de l'opposition dynastique.

Bientôt une occasion solennelle se présenta pour donner aux

réformes qu'appelait le vœu de la France le caractère qu'elle entendait leur assigner, en dehors de la Charte fallacieuse de 1830. Avant d'aller présider les banquets de Valenciennes et de Béthune, M. Barrot, qui faisait alors sa tournée dans le Nord, se rendit à celui préparé dans la capitale de la Flandre française, et destiné à réunir un nombre immense de patriotes. Le programme de ce banquet-monstre avait été arrêté; M. Barrot devait porter le toast suivant: A la réforme électorale et parlementaire, toast assurément très-inoffensif à l'égard de la dynastie et de son gouvernement. Mais depuis quelques jours les feuilles du pouvoir s'étaient déchaînées contre l'esprit des directeurs de banquets, qui, disaient-elles, avaient poussé l'irrévérence à l'égard du roi des Français jusqu'à supprimer toute manifestation directe ou indirecte. M. Barrot se sentit donc arrêté par un scrupule monarchiste, et voulut exiger qu'on ajoutât au toast par trop révolutionnaire qu'il avait accepté, un palliatif propre à en mitiger la rudesse; cette addition consistait en ces mots : A la vérité et à la sincérité des institutions de juillet!

Quels motifs déterminèrent le président du banquet de Lille à exiger tout à coup ce changement, c'est ce qu'il serait fort difficile de dire, même aujourd'hui ; car les uns affirmaient que cette subite résolution lui avait été dictée par la présence d'un orateur dont la franchise républicaine semblait conspirer pour enlever au chef de la gauche dynastique l'influence qu'il exerçait dans les banquets; tandis que d'autres, se disant mieux instruits, assuraient que M. Barrot, craignant de se compro

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