Images de page
PDF
ePub

nationaux de la légion. Ce banquet devait être, suivant l'expression des réformistes, le bouquet du feu d'artifice.

Mais le gouvernement se crut en droit de faire défendre tette réunion, et les citoyens se trouvèrent engagés dans une

lutte corps à corps avec l'autorité, tandis qu'une bataille en

règle allait se livrer à la tribune des Chambres à l'occasion de la réponse au fameux discours.

Ici l'exaspération des esprits n'était pas moins vive qu'au dehors: l'opposition savait que les Commissions chargées d'élaborer cette adresse s'étaient montrées les serviles copistes du discours du roi, et que la phrase hostile se trouvait reproduite en entier dans leur travail.

<< Comptez sur notre appui, faisait-on dire à la Chambre « des députés, pour vous aider, sire, à défendre l'édifice que << nous avons fondé avec vous. Les agitations que soulèvent les « passions ennemies ou des entraînements aveugles tomberont << devant la raison publique, éclairée par nos libres discussions, « par la manifestation de toutes les opinions légitimes dans « une monarchie constitutionnelle. L'union des grands pou« voirs de l'État surmonte tous les obstacles et permet de « satisfaire à tous les intérêts moraux et matériels du pays. «Par cette union, sire, nous maintiendrons l'ordre social et < toutes ses conditions...

L'adresse était, comme on le voit, une simple paraphrase lu discours d'ouverture: la majorité des Chambres y appuyait la politique du gouvernement. L'opposition allait donc être forcée de livrer à la fois des combats dans la presse, pour

soutenir la cause des réunions accidentelles, que la loi ne devait point atteindre, et à la tribune, afin d'essayer de faire modifier la déclaration du gouvernement, ou enfin de pousser les choses à leurs dernières conséquences.

Et, d'abord, la Commission du banquet réformiste, s'appuyant sur les lois de 1831 et 1834, sur les déclarations formelles de l'orateur du gouvernement, sur un récent arrêt de la Cour de cassation, et sur de nombreux antécédents, déclara qu'elle regardait la sommation du préfet de police comme un acte de pur arbitraire et de nul effet. Les électeurs du 12° arrondissement persistèrent donc à vouloir se réunir, malgré la défense de l'autorité.

De son côté, le ministre de l'intérieur, interpellé à la Chambre des pairs, répondit que le banquet projeté à Paris, ayant tous les caractères d'une attaque contre le gouvernement, il avait dû le faire interdire, et que le préfet de police n'avait agi que par son ordre exprès.

Les choses en étaient à ce point, lorsque la discussion sur l'adresse s'ouvrit.

Ce fut, comme par le passé, un grand tournoi, dans lequel l'opposition reprocha amèrement au cabinet sa conduite déloyale à l'égard de la Suisse et de l'Italie. Mais la minorité échoua complétement dans ses efforts pour modérer les expres sions de l'adresse, expressions qui renfermaient une déclaration de guerre à ceux désignés par le roi comme d'aveugles ennemis de son gouvernement. Le 14 février, la majorité des satisfaits, comme on les appelait alors, vota l'adresse dans son

entier, et déclara, par ce vote, qu'elle se ralliait à la politique de résistance inaugurée dans le discours de la couronne: elle ne craignit pas de flétrir les passions aveugles et ennemies de ses adversaires.

Cependant le banquet du 12° arrondissement, devenu le banquet de Paris, était resté à l'ordre du jour des électeurs qui l'avaient organisé. Quoique remis plusieurs fois, il se montrait sans cesse à l'horizon comme un point renfermant la tempête; et ce point, sur lequel les regards étaient fixés, grossit immensément lorsque l'opposition, battue à la Chambre sur le fameux paragraphe, décida qu'elle irait se placer à la tête de cette même réunion, que l'autorité persistait à considérer comme illégale. Une nouvelle Commission fut nommée pour s'entendre avec les députés et avec un grand nombre de chefs de la garde nationale.

Comme l'opposition voulait encore défendre le droit de reunion par tous les moyens légaux, il fut décidé que la manifestation aurait lieu le dimanche 20 février aux ChampsÉlysées; qu'on se rendrait en corps, escortés par la garde nationale, sans armes, au lieu indiqué pour le banquet; mais qu'à la première sommation des agents du pouvoir, on rebrousserait chemin, après avoir protesté. Les députés, frappés ainsi dans l'exercice de leurs droits, iraient porter leurs griefs à la tribune.

Toutes ces remises, toutes ces modifications commençaient à faire croire à la population que certains chefs de l'opposition dynastique n'étaient point décidés à brûler leurs vaisseaux,

et qu'on cherchait à gagner du temps pour préparer une solution pacifique. Les républicains murmuraient, et déjà des adresses arrivaient de toutes parts aux députés démocrates pour les encourager à la résistance légale.

Lorsqu'on apprit qu'au lieu d'avoir lieu le dimanche 20 février, comme cela avait été arrêté, le banquet était encore remis au mardi 22, il n'y eut qu'un cri parmi tous les hommes de cœur : ils craignaient de voir s'échapper une occasion unique d'en finir avec le gouvernement de la honte. Quelle perspective de succès ne voyait-on pas dans ce soulèvement général de l'opinion publique contre ce qui était considéré comme le seul obstacle au progrès et à l'avènement de la démocratie! Et combien ne paraissaient point coupables ceux qui, ayant contribué à soulever les éléments d'une révolution salutaire, semblaient renoncer à les diriger au moment décisif !

Que faisait en effet l'opposition dynastique dans ces jours de répit qu'elle s'était ménagés par les divers ajournements? Elle s'occupait, avec quelques députés conservateurs, à chercher les moyens de renverser le ministère par un vote combiné. Tous ces foudres de tribune,

Hardis dans le sénat, faibles dans le danger,

s'ingéniaient à faire aboutir la grande colère du peuple à un changement de cabinet!

Heureusement, des questions d'amour-propre firent avorter cette pauvre combinaison, et le duel entre le pouvoir et l'opposition fut maintenu pour le 22 février.

Un gouvernement appuyé sur tant de canons et de baïon

nettes; un pouvoir que l'on défiait ainsi à jour fixe, devait rire de la folie de ses adversaires. C'est ce que firent Louis-Philippe et ses ministres : ils avaient tant de fois vaincu les tentatives de soulèvement dirigées contre eux, qu'ils devaient considérer la lutte en perspective comme un jeu d'enfants. Aussi a-t-on assuré que le roi avait engagé quelques personnages étrangers, qui se disposaient à quitter Paris, à rester, afin de jouir du spectacle d'une émeute vigoureusement réprimée.

Rien d'ailleurs n'avait été négligé par le pouvoir pour que le succès ne fût pas un instant douteux.

Quelques-uns des forts qui entourent Paris avaient été armés clandestinement et remplis de troupes. Toute l'artillerie de campagne entassée à Vincennes, canons, obus, caissons, etc., devait être attelée dès le matin, ainsi que celle qui se trouvait à l'Ecole militaire et à l'Arsenal. Les casernes de la capitale s'étaient remplies de munitions de guerre et même de munitions de bouche, afin de pouvoir soutenir un siège au besoin. Se rappelant qu'en 1830 la garde royale s'était trouvée sans pain, on en avait fait cuire des quantités considérables réparties sur plusieurs points. Non-seulement la garnison de Paris fut augmentée, mais encore des dispositions furent prises pour que cinquante à soixante mille hommes, rassemblés dans la banlieue et sur les parcours des chemins de fer, pussent être rendus sur le champ de bataille en moins d'une journée. Enfin le plan stratégique combiné par le maréchal Gérard dut être exécuté, en cas d'alarmes sérieuses : des officiers d'état-major, habillés en bourgeois, avaient conduit les chefs de corps sur le

« PrécédentContinuer »