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terrain qui leur était assigné à chacun, afin de reconnaître par avance les positions.

Ces immenses préparatifs contre le soulèvement du peuple permirent à M. Guizot de tenir le propos qu'on lui a prêté : Si les républicains bougent, cent mille baïonnettes et cent bouches à feu sauront les mettre à la raison.

Mais ce n'était pas tout encore que de compter sur ces forces militaires effectives si imposantes; le gouvernement, se faisant illusion sur le sentiment de la garde nationale, se flattait que la bourgeoisie prendrait le fusil contre le peuple. Le général Jaqueminot avait garanti que les deux tiers de cette garde ne feraient jamais cause commune avec les perturbateurs; et, pour qu'il en fût ainsi, il n'avait fait convoquer individuellement que les amis de la dynastie et les soutiens de l'ordre de choses

existant.

Le reste de la population, ne connaissant que très-imparfaitement les grandes mesures prises par le pouvoir, se montrait pressé d'arriver au mardi.

La veille de ce jour attendu avec tant d'anxiété, les journaux publièrent le programme de la manifestation réformiste.

La Commission générale y rappelait aux citoyens que cette manifestation aurait lieu le lendemain 22, et qu'elle aurait pour objet l'exercice légal et pacifique d'un droit constitutionnel, celui de réunion, sans lequel, disait-on, le gouvernement représentatif n'est qu'une dérision. Toutes les mesures d'ordre pour éloigner le trouble et le tumulte y étaient prescrites, le lieu du rendez-vous général et l'ordre de marche de la co

lonne indiqués. A la tête, devaient être placés les officiers supérieurs de la garde nationale faisant partie de la manifestation. «Il s'agit, portait ce programme, d'une protestation légale et pacifique, qui doit être puissante par le nombre et par l'attitude ferme et tranquille des citoyens. La Commission espère que, dans cette occasion, tout homme présent se considérera comme un fonctionnaire public chargé de faire respecter l'ordre elle se confie à la présence des gardes nationaux; elle se confie aux sentiments de la population parisienne, qui sait que pour assurer le maintien de ses droits, elle n'a besoin que d'une démonstration paisible, comme il convient à une nation intelligente, éclairée, qui a la conscience de l'autorité irrésistible de sa force morale, et qui est assurée de faire prévaloir ses vues légitimes par l'expression légale et calme de son opinion. >>

Certes, il n'y avait rien dans ce programme qui pût ressembler à un manifeste de guerre, et le gouvernement anglais se serait peu alarmé d'une réunion qui s'annonçait comme un modèle d'ordre : il se serait borné à la faire surveiller

constables.

par ses

Mais le château des Tuileries crut y voir ou fit semblant d'y apercevoir quelque chose de plus grave qu'une manifestation paisible. Il s'empressa donc de faire afficher la loi de 1791, contre les attroupements, ainsi que les articles du Code pénal applicables aux gardes nationaux agissant comme tels sans réquisition. L'opposition fut ainsi prévenue que le gouvernement s'opposerait, par la force, au banquet et à tout rassemblement.

Chose étrange! la plupart des chefs de l'opposition parle

mentaire parurent démoralisés par cette détermination du gouvernement, quoiqu'ils l'eussent provoquee et qu'ils dussent s'y attendre.

Qu'allaient faire M. Barrot et ses amis au milieu de l'immense agitation qu'ils avaient soulevée?

On les vit arriver en corps à la Chambre pour y interpeller le ministère sur ses intentions.

« Le pouvoir a-t-il renoncé à l'idée de faire prononcer les tribunaux sur l'application de la loi qu'on veut opposer au droit de réunion, demanda M. Barrot aù cabinet; ou bien veut-il la faire trancher par la force brutale? »

— «< Avant la publication du manifeste publié par la Commission du banquet, répondit le ministre de l'intérieur, le gouvernement aurait pu s'en remettre aux tribunaux du soin de prononcer entre ses adversaires et lui. Mais ce manifeste, violant toutes les lois sur lesquelles reposent l'ordre et la tranquillité publique, lui trace ses devoirs; car c'est l'acte d'un gouvernement qui se pose se pose à côté du gouvernement con

stitutionnel du roi. >>

Cette déclaration si formelle de la part du pouvoir rendait la situation claire. M. Barrot n'avait plus qu'à soutenir le programme, ou à se retirer : il n'osa ni avouer ni désavouer le manifeste des réformistes. C'était offrir son désistement, en l'entourant de quelques phrases ronflantes, qui ne purent cacher sa défaite.

On comprendra facilement combien cette soirée fut agitée : les uns, doutant encore de la honteuse retraite de l'opposi

SOME I.

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tion, se préparaient au dénoûment, en s'excitant à la résistance; les autres, ne doutant pas que les principaux promoteurs du banquet n'eussent trahi la cause du peuple, en l'abandonnant au moment suprême, voulaient aller poursuivre M. Barrot et ses amis à coups de pommes cuites, lorsqu'ils se rendraient à la Chambre. Les journalistes, ne sachant point ce qu'ils devaient dire au public, se rendirent, dans la soirée, chez M. Barrot. Ils y apprirent que, malgré les protestations de MM. Lamartine, Ledru-Rollin et de quinze autres députés ('), ayant opiné pour que le programme reçût son entière exécution, l'opposition dynastique se retirait de la manifestation qui, par cela seulement qu'elle était abandonnée par ses promoteurs, allait échouer. Tout ce que les journalistes purent obtenir, ce fut la promesse que M. Barrot déposerait, le lendemain, à la séance de la Chambre, un projet de mise en accusation du ministère; ridicule tentative, dont, à coup sûr, la majorité n'aurait pas seulement permis la lecture.

Ce soir-là même, on lisait, dans Paris, à la lueur des réverbères et des flambeaux allumés par des enfants, une note ainsi conçue, et destinée à être reproduite dans les journaux du

lendemain 22.

« Une grande et solennelle manifestation devait avoir lieu

(') L'histoire doit conserver les noms des membres qui ne reculèrent pas dans le conflit engagé avec le pouvoir. Malheureusement ces noms ne nous sont pas tous connus, et nous ne pouvons désigner ici que les citoyens : Lamartine, Ledru-Rollin, Lherbette, Thiars, Marie, Maurat-Ballanche, Dupont (de l'Eure), F. de Lasteyrie, Mathieu, Duvergier de Hauranne et Mathey. Trois pairs de France: de Boissy, d'Alton-Shée et d'Harcourt, soutinrent la minorité.

en faveur du droit de réunion, contesté par le gouvernement. < Toutes les mesures avaient été prises pour assurer l'ordre et pour prévenir toute espèce de trouble. Le gouvernement était instruit, depuis plusieurs jours, de ces mesures, et savait quelle serait la forme de cette protestation. Il n'ignorait pas que les députés se rendraient en corps au lieu du banquet, accompagnés d'un grand nombre de citoyens et de gardes nationaux, sans armes.

« Il avait annoncé l'intention de n'apporter aucun obstacle à cette démonstration, tant que l'ordre ne serait pas troublé, et de se borner à constater, par un procès-verbal, ce qu'il considère comme une contravention, et ce que l'opposition regarde comme l'exercice d'un droit.

« Tout à coup, en prenant pour prétexte une publication dont le seul but était de prévenir les désordres qui auraient pu naître d'une grande affluence de citoyens, le gouvernement a fait connaître sa résolution d'empêcher, par la force, tout rassemblement sur la voie publique, et d'interdire, soit à la population, soit aux gardes nationaux, toute participation à la manifestation projetée.

«< Dans cette situation, les membres de l'opposition, personnellement protégés par leur qualité de députés, ne pouvaient pas exposer volontairement les citoyens à une lutte aussi funeste à l'ordre qu'à la liberté. L'opposition a donc pensé qu'elle devait s'abstenir, et laisser au gouvernement toute la responsabilité de ses mesures. Elle engage tous les bons citoyens à suivre son exemple.

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