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une victoire complète, en faisant reconnaître par tous les peuples que le commerce n'est pas moins respectable sur mer que sur terre, et qu'il n'y a d'ennemis sur l'Océan que les vaisseaux armés en guerre, ou ceux qui transportent des armes et des munitions.

Telle est la nouvelle police de la guerre; mais il y a aussi une police de la paix qui, peu à peu, se fait sentir, police dangereuse et menaçante, si les États s'en chargeaient directement, mais forte et bienfaisante quand ils s'effacent derrière l'opinion.

La traite a disparu du monde, ou du moins elle est aux abois. Ici le droit international est armé pour agir. La terre comme la mer appartient à tous les hommes pour y commercer paisiblement; il ne peut être permis à l'Espagne de troubler l'Afrique et d'y entretenir la guerre et le pillage, au grand dommage du monde entier, et cela, afin de voler quelques malheureux noirs qu'elle envoie mourir à Cuba. Son misérable intérêt ne peut l'emporter sur les droits du genre humain.

Mais a-t-on le droit de se mêler du régime intérieur des colonies espagnoles? Pourrait-on réclamer l'abolition de l'esclavage au nom d'un intérêt général? La question est délicate; on peut craindre de favoriser une ambition particulière qui se couvrirait du manteau de l'humanité. Mais il n'est pas besoin d'une intervention pour en finir avec la servitude des noirs. En mettant au ban des nations les souteneurs de l'esclavage, l'opinion peut obtenir bonne et prompte justice. Les peuples sont comme les individus ; ils ont besoin de ne pas se sentir méprisés.

J'en dirai autant de la religion. Sans doute la croyance d'un peuple est chose intérieure, et ne regarde que lui. On

me gâte le christianisme quand on s'en va en Chine soutenir ou venger nos missionnaires à coup de canon. Mais si je n'admets pas l'intervention matérielle, il en est autrement de cette action morale qui fait sentir à tous les peuples que l'ère des persécutions est passée, et que la liberté religieuse est aujourd'hui le bien commun de l'humanité. Ce principe nouveau entrera-t-il un jour dans le droit international? La fédération des peuples se croira-t-elle assez forte, et surtout assez désintéressée de toute ambition particulière, pour assurer à tous les hommes, en tous pays, non-seulement la liberté religieuse, mais la liberté politique et la liberté commerciale? Bien hardi qui oserait l'affirmer, mais plus hardi encore celui qui oserait le nier. Dans ce mouvement qui emporte le monde vers une libre et harmonieuse unité, qui peut dire où le flot s'arrêtera? Je crois à un respect de plus en plus grand pour la personne humaine, et j'imagine, qu'à mesure que les frontières s'abaisseront, les questions de liberté deviendront des questions d'intérêt commun.

Revenons à M. Bluntschli. On lui reprochera peut-être d'avoir rédigé un code pour une législation changeante et coutumière. Mais d'abord, cette législation ne change ni plus ni moins que les autres; il y a longtemps que nous avons renoncé à l'idée d'un code éternel pour des peuples qui se modifient tous les jours. Avant d'imposer aux hommes un code immuable, il faudrait pétrifier le genre humain.

soit

Quant à la coutume, il est bon de l'écrire pour qu'elle ne

pas douteuse; c'est en outre le meilleur moyen d'en assurer la diffusion et le succès. Je ne crois pas que les gouvernements aient l'intention d'adopter et de publier le code de M. Bluntschli, et, à vrai dire, je ne le désire point. C'est à l'opinion qu'il faut laisser le soin d'adopter et de propager

les principes du droit international; c'est à cette reine du monde qu'il appartient de dicter des lois aux princes, et même aux peuples qui quelquefois ne sont ni moins ambitieux, ni moins égoïstes que les princes. Nous n'avons pas assez conscience de notre force. Si nous savions user de nos droits, il y a longtemps que l'opinion aurait ses congrès pacifiques et se ferait écouter.

Déjà les Américains et les Anglais se proposent de tenir, cette année même, un meeting pour y discuter un projet de code international; pourquoi la France, l'Allemagne et l'Italie, qui traitent avec faveur ces questions, ne s'y feraientelles pas représenter? Le code de M. Bluntschli est un texte excellent pour engager la discussion. C'est en agissant qu'on mettra en pleine lumière cette unité de sentiments et d'idées qui fait aujourd'hui la force et la gloire de la civilisation, et qui constitue le solide fondement du droit international.

On lira, j'espère, avec plaisir la traduction de M. Lardy. Ce n'est pas chose facile que d'écrire dans ce style lapidaire qui ne souffre ni mots douteux ni périphrase. M. Lardy a réussi dans cette œuvre délicate; c'est un service rendu à ce public nombreux pour qui le français est depuis longtemps la langue diplomatique, ce qui équivaut à dire la langue du droit international. Je crois donc pouvoir remercier M. Lardy, au nom de M. Bluntschli, et de tous ceux qui s'intéressent à ces nobles études.

Glatigny-Versailles, 30 août 1869.

ED. LABOULAYE.

INTRODUCTION

SOMMAIRE Base du droit international.

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Objections contre le droit international. (1. Législation internationale. 2. Jurisprudence internationale. 3. Le droit du plus fort) Origines du droit international. (1. Antiquité. 2. Moyen âge. Influence du christianisme. Les peuples germaniques). - Naissance du Droit international moderne Le Droit international est indépendant de la religion. Limites du Droit international. Mesures prises contre l'esclavage. Liberté religieuse. — Légations et consulats. - Droits des étrangers. Les états ne doivent pas rester isolés. — Liberté des mers et des rivières. Liberté de la navigation. Moyens de mettre fin aux conflits. Droits Arbitrages. Les lois de la guerre contre l'ennemi. Les états sont ennemis et non leurs ressortissants. Biens de l'ennemi dans les guerres continentales. Biens de l'ennemi en temps de guerre La neutralité. Développement national, vie indépendante des

maritime.

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peuples.

Base du droit international.

Partout où les hommes se trouvent en contact les uns avec les autres, on voit naître chez eux le sentiment du juste et de l'injuste. Une certaine organisation devient nécessaire. Chacun apprend à respecter le droit d'autrui. Ce fait peut être constaté même chez les tribus barbares; mais c'est seulement chez les peuples civilisés que le sentiment du droit arrive à son entier développement; il peut être contenu, jamais supprimé; il peut être mal dirigé, jamais anéanti.

Si donc on admet, ce qui me semble une vérité incontestable, que l'homme est pourvu par la nature de tout ce qui est nécessaire pour concevoir et appliquer le droit, on doit admettre aussi que le droit international a dans la nature humaine une base solide et des racines indestructibles.

Le droit international est l'ensemble des principes qui régissent les rapports des états entre eux. Mais les états, c'est-à-dire

les nations organisées, se composent d'hommes; chaque état est un ensemble, une personnalité, un être qui a des droits et une volonté tout comme les personnes physiques. Les états sont d'un côté des êtres individuels, ayant une existence indépendante, et de l'autre des membres de l'humanité. Ces droits et ces caractères que chaque état et chaque nation possèdent, se rencontrent de nouveau chez les autres états et chez les autres nations. Ils réunissent tous les peuples par les liens tout puissants de la nécessité.

Voilà la base inébranlable sur laquelle repose le droit international. Voudrait-on aujourd'hui en nier l'existence, que demain il renaîtrait avec plus de vigueur.

Objections contre le droit international.

On n'en exprime pas moins aujourd'hui des doutes graves sur l'existence d'un droit international. Les objections de fait et de droit sur lesquelles se fondent ces doutes ne laissent pas que d'avoir une certaine importance. On objecte qu'avant tout il n'existe pas de droit international exprimé sous forme de loi et sanctionné par la loi; qu'ensuite le droit international manque de la protection efficace des tribunaux; qu'enfin dans les conflits entre états cu nations, la décision dépend bien plutôt du succès d'une bataille que d'une autorité judiciaire quelconque. On se demande donc s'il peut être sérieusement question d'un droit international, quand il n'y a ni lois internationales, ni tribunaux internationaux, et qu'on voit en dernier ressort la force seule mettre fin aux conflits.

Nous ne pouvons le nier, ces objections ont pour cause les nombreuses et importantes lacunes qu'on rencontre dans le droit international. Et cependant conclure de là que ce droit n'existe pas, ce serait agir à la légère et commettre une grave erreur, Reprenons en détail les objections que nous venons de mentionner.

1. Législation internationale.

Aujourd'hui, lorsqu'une question de succession, de propriété ou d'état civil se soulève, nous sommes habitués à ouvrir un code civil et à y chercher les principes du droit en vigueur; ou bien

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