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Les particuliers n'étaient guères mieux protégés par le droit civil ou le droit pénal pendant la jeunesse des peuples germaniques et même encore au moyen âge. Le mode ordinaire de maintenir ses droits était de les faire valoir soi-même. C'était les armes à la main que le propriétaire défendait, suivant l'expression germanique, « la paix de sa maison. » Le créancier se procurait lui-même son paiement contre son débiteur retardataire; celui qui troublait la paix domestique était en but à la vengeance privée des parents les plus rapprochés ou même de la famille entière de la victime. Les querelles des villes avec les seigneurs du voisinage se vidaient en combat singulier. Les tribunaux eux-mêmes admettaient le recours aux armes; le duel judiciaire était un moyen de preuve très à la mode, et la balance. de la justice penchait souvent en faveur des grosses épées. Les temps étant devenus plus paisibles et les jugements des tribunaux plus respectés, on en est venu peu à peu à cesser de se faire justice soi-même.

Il n'y a donc rien de si extraordinaire à ce que les différents états, aujourd'hui encore seuls représentants et garants du droit international, cherchent, dans le sentiment de leur indépendance et de leur force, à se faire droit eux-mêmes dans les difficultés qui surviennent entre eux.

La guerre n'est pas cependant l'unique moyen de faire respecter le droit international. Il y a encore des moyens pacifiques de procurer à ce dernier reconnaissance et protection. Les avertissements et cas échéant, les sommations faites par les états neutres, les bons offices des puissances amies, les manifestations du corps diplomatique, les menaces des grandes puissances, le danger des coalitions contre celui qui rompra la paix, la voix puissante de l'opinion publique, sont pour le droit international une garantie, trop souvent hélas, insuffisante. Quelquefois enfin on a vu des arbitrages internationaux mettre fin aux conflits entre deux états sous forme de jugement et après une procédure préli

minaire.

3. Le Droit du plus fort.

Lorsqu'on jette un regard sur l'histoire des peuples, on remarque que la violence joue un grand rôle dans la formation des états, et qu'elle se rencontre trop souvent dans la forme grossière de la

force physique. C'est le sabre à la main, sur les champs de bataille, au milieu du tonnerre de l'artillerie et de la grêle de la mitraille, que se jouent les destinées des états. Et cependant, malgré la large place que la force brutale s'est conquise et l'influence considérable qu'elle a exercée sur l'ordre de choses actuel, malgré l'impunité dont a joui souvent l'injustice, on ne peut pas dire que l'histoire du monde soit le produit du déchaînement des passions, et le résultat de la violence seule. En examinant soigneusement le développement historique du monde, nous reconnaissons bien plutôt une suite logique et morale. Le développement assuré des droits généraux de l'humanité s'y montre d'une façon indubitable. Le célèbre mot d'un poëte allemand: « L'histoire du monde est le tribunal du monde » est pour nous une vérité consolatrice.

La règle du monde actuel n'est plus la guerre, c'est la paix. En temps de paix ce n'est pas la violence qui préside aux relations des états entre eux, c'est au fond le droit. Les états respectent tout autant, dans leurs relations pacifiques, la personnalité et l'indépendance des petits états que celle des grands. Le droit international règle les formes, les conditions, les effets de ces rapports entre les états; et ces effets sont les mêmes pour l'état géant que pour le plus humble. Toute tentative de porter atteinte à ces principes en se fondant sur sa propre force, entraîne une opposition, une résistance que l'état le plus puissant ne peut mépriser sans dangers et sans dommages.

Et même, pendant l'état exceptionnel qui résulte de la guerre, et alors que la force physique déploie ses effets les plus redoutables, le droit international vient poser à cette force physique des limites bien marquées et que l'on ne peut dépasser sans encourir la réprobation du monde civilisé. Nulle part la puissance et les progrès du droit international ne se montrent plus brillants qu'ici; il a réussi à calmer successivement, à modérer par des lois plus humaines la fureur dévastatrice des combattants.

Il y a un point du reste qu'il ne faut jamais oublier lorsqu'on veut juger l'histoire. Souvent, à un examen superficiel, on n'aperçoit que violence, brutalité, et après des recherches plus consciencienses, on constate une nécessité impérieuse; on reconnait que les faits incriminés sont la conséquence des événements, et du développement irrésistible qui pousse un peuple à rejeter les formes desséchantes d'un droit vieilli, tout comme la jeune

plante se dépouille au printemps des restes flétris de l'hiver. Lorsque c'est le cas, la violence remplit au fond un rôle bienfaisant; elle facilite la naissance du principe nouveau et contribue à créer le droit, sans toutefois le terrasser.

Les obstacles que rencontre le droit international sont donc grands, mais pas assez grands cependant pour en empêcher l'existence. Le droit international lutte encore contre eux, mais il a déjà remporté plus d'une victoire sur les difficultés qui embarrassaient sa route. Qu'on compare l'état actuel du monde avec les époques antérieures, et l'on constatera les énormes progrès réalisés par le droit international dans les derniers siècles, et ceux qu'il fait chaque jour. C'est pour nous le gage des progrès que nous réserve l'avenir, car le développement de ce droit accompagne et assure le perfectionnement de la race humaine. Nous voulons maintenant donner un aperçu général du développement du droit international.

Origines du droit international.

1. Antiquité.

Quelques germes du droit international se retrouvent chez tous les peuples et à toutes les époques. Chez les tribus sauvages et barbares elles-mêmes, se rencontre toujours une certaine crainte religieuse empêchant de mettre la main sur les ambassadeurs d'autres tribus; on y découvre des traces du droit d'hospitalité; on y constate l'usage de conclure des alliances ou autres traités et de terminer la guerre par une déclaration de paix.

Chez les anciens peuples civilisés de l'Asie, et spécialement chez les Hindous, on trouve déjà quelques traces de l'existence d'un droit international. Chez les Hellènes, ce peuple si civilisé et qui vit le premier dans l'état une organisation humaine et non plus divine, on ne parvint qu'à un droit international très imparfait; il n'existait de relations régulières qu'entre les états hellènes. La communauté de religion, de langue, de développement artistique ou scientifique, a réveillé chez les Hellènes de toutes les villes le sentiment de la communauté et de la confraternité nationales. La nation hellénique, quoique divisée en un grand nombre de villes et d'états indépendants, formait

cependant une certaine unité, un certain ensemble ayant des droits communs. « Tous les Hellènes sont frères» disait-on, et l'on énonçait par là l'obligation pour chaque état hellénique, de respecter vis-à-vis des autres certains principes et certains droits. Mais on considérait les peuples non helléniques, les « Barbares, » comme les « ennemis naturels » de la Grèce, et toute communauté de droits avec eux était envisagée comme impossible. La guerre avec les Barbares était la règle naturelle; toutes les ruses, toutes les violences semblaient permises contre eux. Accorder aux états barbares les mêmes droits qu'on reconnaissait aux états grecs, c'était se mépriser soi-même. Les Grecs se croyaient une race supérieure, appelée à dominer les Barbares, et ce n'était pas là l'opinion de la foule, c'était aussi celle de Platon et d'Aristote.

Les Romains sont envisagés par l'histoire comme les créateurs de la distinction entre le droit et la morale, comme les promoteurs de la science du droit en général. Ce n'est cependant pas aux Romains que nous devons le droit international. Nous trouvons bien dans l'ancienne Rome les commencements d'un droit des nations civilisées. Avant d'envahir un pays étranger, les Romains avaient l'habitude de faire notifier leurs prétentions par leurs envoyés les féciaux, et, s'il n'y était pas fait droit, de déclarer solennellement la guerre. Ils connaissaient et mettaient en pratique différentes formes de traités et d'alliances. Tout en agissant sans ménagements et souvent avec cruauté pendant la guerre, ils respectaient la plupart du temps la religion, les usages, et souvent même le droit des peuples vaincus. Les Romains étaient même arrivés à considérer l'idée de l'humanité comme le grand but de leur politique, et à embrasser d'un regard d'aigle le monde dans son ensemble. Mais ces germes que nous venons d'indiquer n'amenèrent pas la formation d'un droit international universel, parce que les Romains ne tendaient pas à réunir les nations en un faisceau en leur reconnaissant à toutes des droits ; ils voulaient la domination absolue de Rome sur tous les peuples. Or la domination absolue d'un peuple sur les autres est la négation du principe même du droit international.

L'ambition, la soif de domination des différents peuples de l'antiquité, empêchèrent donc le développement du droit international, et les faibles germes qui commençaient à se montrer furent détruits avant qu'ils eussent acquis une certaine force. Sans égalité

entre les différentes nations, il n'y a pas de droit international possible.

2. Moyen age. - Influence du christianisme.

On constate au moyen âge l'existence de deux éléments nouveaux et importants, l'Église chrétienne et les peuples de race germanique. Ont-ils amené la naissance du droit international?

Plusieurs idées chrétiennes ont puissamment contribué à asseoir ce droit sur ses véritables bases. Le christianisme fait de Dieu le père des hommes, et des hommes les enfants de Dieu. Il pose ainsi le principe de l'unité de l'humanité et de la confraternité des peuples. La religion chrétienne fait plier la fierté antique et exige l'humilité; elle attaque l'égoïsme dans ses racines et veut du renoncement; elle tient plus au dévouement pour les autres qu'à la domination sur autrui. Elle écarte donc les difficultés qui empêchaient dans l'antiquité le développement du droit international. Son commandement le plus élevé, c'est l'amour des hommes, l'amour de ses ennemis eux-mêmes. Elle affranchit, elle engendre la liberté, car elle purifie les hommes et les réconcilie avec Dieu; elle est un messager de paix. Il eût été facile de faire passer ces idées et ces commandements du domaine de la religion dans celui du droit, de les transformer en principes de droit international et humanitaire, de faire comprendre à toutes les nations qu'elles sont membres de la même famille, de veiller à la paix du monde et d'obtenir, même en temps de guerre, le respect de l'humanité et de ses droits. L'Église catholique romaine était au moyen âge le représentant des idées chrétiennes ; ce fut elle qui entreprit l'éducation des peuples non encore civilisés. Et cependant elle n'a point créé de droit international chrétien; on le cherche en vain dans. la collection des constitutions papales. Les lois de la guerre sont seules traitées dans une section de l'antique décret de Gratien (Pars II, causa 23).

Les papes ont bien essayé au moyen âge de s'arroger le rôle d'arbitres souverains pour les conflits entre les princes ou les peuples de la chrétienté. Ils ont souvent jugé les difficultés survenues entre différents princes, ou entre les princes et leurs États. Lorsqu'il apercevait dans une affaire un côté religieux ou ecclésiastique quelconque et la chose est toujours possible), le Saint-Siége, regardait sa juridiction comme fondée. Tantôt il cherchait à ame

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