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les hommes trouveront, pour premier objet de leur attention, une âme et des corps, c'est-à-dire qu'elle existera toujours.

La tendance subjective (je demande grâce pour les mots propres, ils sont au fond les plus commodes pour mes lecteurs comme pour moi), la tendance subjective qui aime à tirer de l'âme et de la conscience ses idées, ses preuves, ses motifs, est donc en lutte continuelle et nécessaire, contre la tendance objective, qui les va puiser de préférence dans les faits extérieurs, les résultats matériels et les intérêts calculables.

On comprend d'avance que la religion ne pouvait échapper au combat de ces deux principes. Elle a reçu leur double et profonde empreinte, et dans les formes scientifiques dont elle s'est revêtue, et dans la pratique journalière de ses préceptes. Les divisions religieuses, en particulier, y ont trouvé des occasions et des alimens. -Essayons donc de rechercher quelques-uns des effets contraires, produits par ces deux causes énergiques et opposées. Je ne puis sans doute approfondir ici ce vaste sujet, mais je voudrais au moins, par des observations de détail et par des expériences journalières, en rendre l'importance sensible et l'examen utile.

Pour mettre quelque ordre dans ce travail, nous dirigerons successivement notre attention sur l'activité religieuse de l'homme appliquée à lui-même et appliquée aux autres. Tantôt, en effet, le Chrétien réfléchi s'occupe de sa foi pour son propre compte, il travaille à l'affermir, à l'approfondir, à la mettre en pratique; tantôt son action s'exerce sur d'autres hommes; ses fonctions ou son zèle le portent à parler, à enseigner, à agir pour la propagation et le triomphe de ses doctrines. Ces deux

modes d'action se touchent de très-près, se confondent même par quelques points; ils donnent lieu cependant à des observations assez diverses, et ils doivent, je crois, être examinés à part.

PREMIÈRE PARTIE.

ACTIVITÉ DE L'HOMME RELIGIEUX APPLIQUÉE A SA

PROPRE FOI.

Dans ce premier examen, nous serons constamment appelés à reconnaître la lutte des deux tendances, et en même temps la nécessité de les réunir.

1° Lutte des deux tendances dans les preuves de la religion.

:

L'homme qui répond à l'appel de la foi a un premier travail à faire : il faut en constater les droits et l'origine. On lui prêche le Christianisme; doit-il écouter et obéir? telle est la première chose qu'il doit examiner, et c'est par-là que sa tâche religieuse commence. Mais pour s'assurer que le Christianisme est divin, comment s'y prendra-t-il? Deux méthodes différentes se présentent à lui ce sont les deux que le catéchisme lui fesait connaître dans son enfance, quand il lui disait : « La véritable religion doit donner de justes idées de Dieu, sanctifier les hommes et les rendre heureux. Elle doit, de plus, être confirmée par des signes extérieurs de la puissance divine, comme seraient des prédictions ou des miracles. » Or ces deux méthodes se trouvent être précisément les résultats des deux philosophies dont nous étudions l'influence, celle du dedans et celle du dehors.

Chacun est porté d'ordinaire par ses penchans intellectuels à choisir entre l'une ou l'autre démonstration. A cette question : Pourquoi croyez-vous? Je crois, répondent les uns, parce que je vois la religion appuyée sur des témoignages incontestables et sur des faits divins. Je crois, disent les autres, parce que je la sens en harmonie avec les besoins de mon cœur et avec l'idéal d'un Dieu parfait. Ainsi, d'une part, on en appelle aux preuves historiques, et de l'autre à la conscience. Nous avons ici les preuves intérieures et là les preuves extérieures, ici les subjectives et là les objectives. Or lesquelles sont à préférer? qui a raison de ceux qui se laissent persuader au sentiment ou de ceux qui se rendent seulement aux faits? - Examinons.

Celui-ci fonde sa religion sur les seules démonstrations extérieures. Il a besoin d'apprécier matériellement les bases de sa foi par de rigoureux calculs de probabilité et par des preuves quasi-judiciaires. Ce témoignage estil suffisamment certain? ce fait est-il historiquement constaté? ce livre est-il décidément authentique? Dès lors la preuve est complète. Il ne connaît pas d'autres moyens de découvrir la vérité; les preuves morales ne sont pour lui que des considérations accessoires, toujours entachées de vague et d'incertitude, des réflexions bonnes à faire en passant, si l'on veut, mais, au fond, qui ne prouvent rien, et sur la foi desquelles aucun homme de bon sens ne se déciderait. Mais quand, à l'aide de raisonnemens bien faits et de témoignages bien vérifiés, une religion paraît solidement appuyée sur des prédictions et des miracles, que lui demander de plus? Il y aurait bien des choses à observer sur cette manière de voir; je pourrais montrer que ces démonstra

TOM. III.

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tions historiques, puissantes pour prouver, n'ont pas la même force pour convaincre, et que de plus elles laissent d'ordinaire indifférens ceux même qu'elles persuadent. Je pourrais exprimer la crainte que la foi n'eût quelque chose à souffrir, et de la difficulté de constater rigoureusement, après tant de siècles, des faits historiques d'une si haute importance, et du doute involontaire, qui, pour bien des gens, s'attache aux faits surnaturels quelque constatés qu'ils soient. Je pourrais dire surtout que l'usage exclusif des preuves extérieures conduit à mal comprendre la religion. Mais toutes ces réflexions nous éloigneraient du sujet, ou trouveront mieux leur place ailleurs. Ici je me contente d'une question.

Si, par quelque erreur de votre raisonnement, vos argumens rigoureux et leurs bases historiques vous amenaient à reconnaître comme divine une religion impure et absurde, qui corrompît l'homme et enseignât le crime, vous soumettriez-vous à l'instant? sur la foi de votre méthode, mettriez-vous aussitôt en pratique ces leçons dégradantes et souillées? Non certes! vous recommenceriez l'examen, certain qu'il vous a trompé. Puis, si vous retrouviez encore et toujours les mêmes résultats, vous repousseriez à la fois les résultats et les preuves, votre prétendue religion avec ses témoignages, pour chercher ailleurs celle que vous sentez vous être nécessaire, et que votre cœur demande. Vous sentez donc que votre cœur a droit à être au moins consulté ; vous reconnaissez donc que votre conscience a autorité pour mêler sa voix à celle des preuves extérieures ; vous convenez donc que votre méthode, quoique peut-être nécessaire, n'est pas suffisante; que si elle est insuffisante,

elle peut conduire à l'erreur; elle est dangereuse dès qu'elle est seule employée. Oui certes, car en prouvant à l'intelligence, elle dit peu de choses à l'âme. Elle tend à laisser la foi dans la tête, sans la faire descendre dans le cœur. Elle nous apprend à la mettre au rang de ces sciences spéculatives que nous étudions dans le jeune âge, pour étudier quelque chose, puisqu'on oublie lorsqu'on est devenu capable de mieux. Elle peuple l'Eglise de Chrétiens de nom, qui disent, Je crois, parce qu'ils n'ont pas même assez de foi pour douter; de ces hommes qui font deux parts de la vie, la croyance pour la théorie et les passions pour la pratique.

La méthode opposée vaudrait-elle mieux, si elle était seule employée? - Examinons encore.

Voici un homme accoutumé à observer son intérieur et à méditer sur son âme. Quand les autres regardent aux actes, lui s'enquiert des intentions. Il s'attache aux sentimens plus qu'aux événemens ; il recherche plus les besoins des esprits que les intérêts des corps. Ce qu'il demande au Christianisme, c'est de satisfaire le vœu de son cœur, en lui montrant au bout de la carrière un idéal de sainteté parfaite et de grandeur infinie. Aussi, pour sonder les bases de la foi, cet homme s'y prendra bien autrement que le premier.

Cette doctrine est-elle belle? est-elle sanctifiante? est-elle douce? pénètre-t-elle bien avant dans le cœur? en a-t-elle connu les besoins secrets, et en remue-t-elle les ressorts avec force? Voilà pour lui toute la question. Quand il est sûr de la réponse, il ne demande pas d'autres preuves, sa conviction est entière; il sourit avec dédain aux efforts vantés de ceux qui rassemblent péniblement des témoignages historiques, et qui pensent

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