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les écrivains du premier siècle, sans qu'on soit nullement fondé à en conclure qu'ils regardaient Jésus comme le Dieu suprême; parce que ce mot grec, ainsi que son correspondant en hébreu, a été fréquemment employé par les auteurs sacrés et profanes pour désigner une grande supériorité, et non pas toujours la divinité elle-même ; parce que, pour citer une autorité qui me dispensera de toute autre, Jésus lui-même a confirmé l'emploi de ce mot dieu dans le sens que nous indiquons ici. *Il n'aurait pas vu un si grand avantage, dans l'intérêt de sa thèse, à relever la supériorité que Polycarpe donne au Fils de Dieu sur les martyrs (p. 47). Il ne se serait pas emparé, comme d'un argument péremptoire, de l'emploi que fait ce même Père, en parlant des sentimens du Chrétien pour son Maître, d'un verbe (λaтpevo) qui signifie aussi bien servir qu'adorer, et qui, signifiât-il seulement adorer, ne suffirait pas plus à décider la question dans un sens, que l'emploi fait par Clément du verbe (EVTPET) respecter dans un passage parallèle, ne suffirait à la décider dans un autre.

Mais le moyen de rester dans les bornes du vrai, de donner à chaque argument sa valeur réelle, à chaque passage son sens et rien de plus, quand l'on est convaincu à priori, quand on fait des recherches avec la conviction préétablie, la volonté arrêtée d'y trouver des appuis à un système devenu une bannière,

* Les Juifs accusaient Jésus de blasphème, parce qu'étant homme, lui disaient-ils, vous vous faites Dieu. Jésus leur répartit : N'est-il pas écrit dans votre loi : J'ai dit, vous êtes des dieux? Si donc, elle appeile dieux ceux à qui la parole était adressée, et si l'on ne peut rejeter l'Ecriture, pouvez-vous dire que je blasphème, parce que j'ai dit : Je suis le fils de Dieu, moi que le Père a sanctifié et qu'il a envoyé dans le monde. Jean, ch. 10, 34 et suiv.

des confirmations à un symbole qui sert de mot d'ordre et qui est devenu un signe de parti. Nous n'avons garde de refuser à M. Steiger les connaissances instrumentales nécessaires pour explorer les vénérables monumens qui nous restent de l'Eglise apostolique ; il n'a pas passé sa jeunesse dans les écoles allemandes sans s'y familiariser avec les élémens de l'érudition théologique il connaît les sources, il y puise; il n'est point étranger aux ressources qui les éclaircissent; il sait les éditions diverses; il a sous la main les versions et les commentateurs; il discute avec dextérité la valeur d'une glose et le mérite d'une variante; aussi quand il traduit, il est exact, et son doute sur l'authenticité des Epîtres d'Ignace indique autant de jugement que de candeur. Mais dès qu'il se met à interpréter, alors son point de vue dogmatique le domine, et, sous cette influence, dont il ne sent probablement pas la force, il met de côté, ou n'aperçoit pas même tout ce qui ne va pas à son but; il tord le sens des mots; il tire des conséquences forcées, et donne comme concluans des raisonnemens de la plus évidente faiblesse ; et c'est ainsi qu'il en est venu à se persuader, car, encore une fois, nous ne prétendons élever aucun doute sur sa parfaite bonne foi, que Clément Romain serait trinitaire, quand même il ne serait pas dit un mot, dans ses Epitres, de la divinité de

Jésus-Christ.

II. Voulez-vous encore un exemple de ces interprétations forcées, conséquence de cet esprit de système ou dogmatique, auquel nous attribuons, avant tout, la faiblesse et les nombreuses erreurs de l'ouvrage de M. Steiger? Je le prends presque au hasard parmi celles de ses citations sur lesquelles il se fonde pour attribuer aux

Pères la croyance méthodiste de la corruption originelle de l'homme et de son inaptitude absolue au bien.

Clément, supposant sans doute, quand il écrivait sa deuxième Epître, que ses disciples étaient capables de céder à des exhortations pastorales, de sentir des motifs élevés, et de réagir noblement et généreusement sous leur aiguillon, les presse d'un bout à l'autre de cette touchante Epître, de se livrer à la pratique des vertus chrétiennes : il énumère une à une ces vertus; il les fait ressortir par le contraste des vices dans lesquels ils étaient engagés avant d'avoir ouvert les yeux à la lumière de l'Evangile; il les conjure d'imiter l'exemple de leur Maître, et les somme de marcher sur ses traces, au nom de la reconnaissance dont ils doivent être pénétrés pour lui. Certes, ce n'est pas le langage que l'on devrait tenir à des hommes que l'on croirait, ou incapables d'aucun bien comme irrégénérés encore, ou assurés du salut à cause de leur régénération par la foi. * Mais ce n'est pas tout. Voici comment Clément termine son éloquent appel aux penchans vertueux de ses chers Corinthiens Tandis que nous sommes encore sur la terre, repentons-nous, car nous sommes cette argile que le potier prend dans sa main et dont il fait un vase. Si ce vase se déforme ou se gåte entièrement, pendant qu'il est entre les mains du potier, il le refait; mais une fois qu'il l'a jeté

Il

* Un méthodiste conséquent, placé comme régent à la tête d'un InfantSchool, à Genève, tomba dans un découragement voisin du désespoir, parce qu'il avait, pendant deux ans, exhorté ses élèves à la sagesse. croyait avoir commis, en cela, un grand péché, parce que, disait-il, ses exhortations supposaient que ces jeunes enfans pouvaient faire quelque bien par eux-mêmes, et avaient dû faire croire à plusieurs d'entre eux qu'il en était ainsi. Si Clément Romain eût été méthodiste, pourquoi n'aurait-il pas été aussi conséquent que ce pauvre régent?

TOM. IV.

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dans le feu du fourneau, il ne s'en occupe plus. Ainsi nous, pendant que nous sommes dans ce monde, repentons-nous de tout notre cœur des mauvaises choses que nous avons faites en la chair, afin que nous soyons sauvés par le Seigneur, pendant que le temps de la résipiscence nous est laissé! Si quelque chose est clair dans ce passage, c'est que l'incertitude de l'heure de la mort et la certitude du jugement qui suit cette heure redoutable, y est présentée au pécheur comme un motif pour ne pas différer d'un jour l'œuvre de sa conversion. Eh bien! ce n'est point là ce que M. Steiger y a vu. Ecoutezle lui-même : il y a vu que « si nous devons devenir «< saints, toutefois, ce n'est pas nous qui nous sancti<< fions, que c'est Dieu qui le fait en nous donnant le <«< vouloir et l'exécution : que l'homme ne peut se repen«<tir de ses péchés, ni prendre la bonne forme qu'autant «< que Dieu le tient entre ses mains pour le réformer; «< mais qu'abandonné à lui-même, il en est incapable et «< reste sans espérance de salut. » (p. 39 et 40. ) Quand on interprète ainsi un auteur quelconque, il n'est pas impossible de lui faire dire tout ce qu'on veut, et l'exemple que nous venons de choisir n'est pas un des plus étranges parmi ceux que présente la dissertation de M. Steiger. C'est par des inductions aussi forcées, par des interprétations aussi peu conformes que celle-là à la lettre et à l'esprit des passages, que Clément Romain et les autres Pères apostoliques arrivent à enseigner, sous la plume de leur commentateur, «que Jésus est Dieu, que tous les hommes sont perdus, incapables de tout bien, régénérés et sauvés par la foi, laquelle est un don de Dieu, concédé seulement à un petit nombre d'élus, en vertu d'un décret éternel de prédestination. » Nous sup

plions ceux de nos lecteurs qui en sont capables de parcourir eux-mêmes les pièces originales; ils ne comprendront pas qu'on ait pu les défigurer à ce point.

:

La matière s'est étendue sous notre plume, plus que nous n'en avions d'abord le dessein, et nous voilà forcés d'ajourner à un prochain numéro les observations que nous tenons à faire sur le morceau de M. Hœvernick, contenu dans le même cahier des Mélanges; mais nous nous consolons de ce retard; l'ouvrage et la personne de M. Cellérier peuvent rester quelques jours encore sous l'arrêt prononcé par M. Hævernick sans grand inconvénient ni pour l'un, ni pour l'autre c'est le cas d'appliquer cet ancien adage : Il y a peu de péril en la demeure. Et d'un autre côté, nous mettions quelque prix à appeler de la décision rendue par son collègue, au sujet de la doctrine des Pères apostoliques, décision qui a été immédiatement répétée par l'écho des feuilles méthodistes. Nous tenions à protester, selon nos convictions et nos lumières, contre une opinion qui représente la doctrine orthodoxe, produit du 4me siècle, comme ayant déja poussé de fortes racines au commencement du second, comme contenue dans les lettres des premiers successeurs des Apôtres aussi réellement, diraiton, que dans les confessions d'Augustin ou dans les Institutions de Calvin. Et nous devions le faire, nous qui croyons cette doctrine opposée à la Bible, sans toutefois condamner ni exclure ceux qui la professent, sachant combien est grande, de nos jours, l'autorité et la magie de quelques grands noms habilement présentés à certains esprits. Nous tenions aussi, au début d'un ouvrage périodique qu'on répandra beaucoup et qui pourra séduire, soit par sa couleur scientifique, soit à cause de la

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