DE J. J. ROUSSEAU. DISCOURS COURONNÉ PAR L'ACADÉMIE DE DIJON; DU CONTRAT SOCIAL; -LETTRE A M. PHILOPOLIS; PARIS, LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, IMPRIMEURS DE l'institut de FRANCE, RUE JACOB, 56. 1852. QUI A REMPORTÉ LE PRIX A L'ACADÉMIE DE DIJON EN L'ANNÉE 1750, SUR CETTE QUESTION, PROPOSÉE PAR LA MÊME ACADÉMIE : SI LE RÉTABLissement des sciences ET DES ARTS A CONTRIBUÉ A ÉPURER LES MŒURS? Barbarus hic ego sum, quia non intelligor illis. AVERTISSEMENT. Qu'est-ce que la célébrité? Voici le malheureux ouvrage qui je dois la mienne. Il est certain que cette pièce, qui m'a valu un prix, et qui m'a fait un nom, est tout au plus médiocre, et j'ose ajouter qu'elle est une des moindres de tout ce recueil. Quel gouffre de misères n'eût point évité l'auteur, si ce premier écrit n'eût été reçu que comme il méritait de l'être! Mais il fallait qu'une faveur d'abord injuste m'attirât par degrés une rigueur qui l'est encore plus. PRÉFACE. Voici une des grandes et belles questions qui aient jamais été agitées. Il ne s'agit point dans ce discours de ces subtilités métaphysiques qui ont gagné toutes les parties de la littérature, et dont les programmes d'académie ne sont pas toujours exempts; mais il s'agit d'une de ces vérités qui tiennent au bonheur du genre humain. Je prévois qu'on me pardonnera difficilement le parti que j'ai osé prendre. Heurtant de front tout ce qui fait aujour ROUSS.- DISCOURS. d'hui l'admiration des hommes, je ne puis m'attendre qu'à un blâme universel; et ce n'est pas pour avoir été honoré de l'approbation de quelques sages, que je dois compter sur celle du public aussi mon parti est-il pris; je ne me soucie de plaire ni aux beaux esprits ni aux gens à la mode. Il y aura dans tous les temps des hommes faits pour être subjugués par les opinions de leur siècle, de leur pays, et de leur société. Tel fait aujourd'hui l'esprit fort et le philosophe, qui, par la même raison, n'eût été qu'un fanatique du temps de la Ligue. Il ne faut point écrire pour de tels lecteurs, quand on veut vivre au delà de son siècle. Un mot encore, et je finis. Comptant peu sur l'honneur que j'ai reçu, j'avais, depuis l'envoi, refondu et augmenté ce discours, au point d'en faire, en quelque manière, un autre ouvrage. Aujourd'hui, je me suis cru obligé de le rétablir dans l'état où il a été couronné. J'y ai seulement jeté quelques notes, et laissé deux additions faciles à reconnaître, et que l'Académie n'aurait peut-être pas approuvées. J'ai pensé que l'équité, le respect et la reconnaissance exigeaient de moi cet avertissement *. Plusieurs écrivains ont traité la même question. Cornelius Agrippa publia en 4521 un traité latin, souvent réimprimé et traduit, intitulé De la vanité et de l'incertitude des sciences. Trente ans plus tard, Giraldi fit aussi une diatribe contre les lettres et ceux qui les cultivent : Lilii Giraldi progymnasma adversus litteras et litteratos; Florentiæ, 1551. Il est présumable que Rousseau n'eut pas connaissance de ces ouvrages; mais il n'en est pas de même de ce qu'a dit Montaigne sur cette question (chap. 24 du livre I; chapitre 12 du livre II; 12e chap. du livre III), et Charron dans son traité De la sagesse, chapitre 14 du livre III. Dans tous ces endroits, la proposition principale, et la plupart des idées accessoires qui s'y lient, sont établies et développées avec plus ou moins d'étendue. (ED.) |