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saisissant le plus grand par les oreilles, il s'élança sur son dos, et vint ainsi avec gravité au devant de moi; je sortais du fond de cale, et ne pus m'empêcher de rire; je louai son courage, mais je l'exhortai à être plus prudent à l'avenir avec des animaux de cette espèce, qui peuvent être très dangereux quand ils sont affamés.

Peu à peu toute ma petite troupe se rassembla autour de moi, et chacun vanta ce qu'il apportait. Fritz avait deux fusils de chasse, de la poudre, de la grenaille, des balles renfermées dans des flacons de corne ou dans des bourses.

Ernest tenait son chapeau rempli de clous; il apportait en outre une hache et un marteau; une pince, une paire de grands ciseaux et un perçoir sortaient à demi de ses poches.

Le petit François même portait un assez grande boîte sous le bras, de laquelle il tira, avec un grand empressement, de petits crochets pointus: c'est ainsi qu'il les nommait. Ses frères voulaient se moquer de sa trouvaille : « Taisez-vous, leur dis-je, le plus petit a fait la plus belle capture, et

souvent cela se voit ainsi dans le monde : l'être qui court le moins après la fortune, et qui, dans son innocence, la connaît à peine, est souvent celui à qui elle se présente le plus volontiers. Ces crochets, mes enfans, sont des hameçons, et, pour la conservation de notre vie, ils nous seront peut-être plus utiles que tout ce qu'on pourrait trouver sur le vaisseau. Cependant Fritz et Ernest n'ont pas mal rencontré non plus.

- Pour moi, dit ma femme, je n'apporte qu'une bonne nouvelle, qui me procurera, j'espère, un bon accueil; je viens vous dire qu'il y a sur le vaisseau une vache, un âne, deux chèvres, six brebis et une laie pleine, que nous venons de faire manger, d'abreuver, et que nous pourrons con

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Tout ce que vous avez fait est bien, dis-je à mes petits ouvriers; il n'y a que maître Jack qui, au lieu de penser à quelque chose d'utile, nous amène deux gros mangeurs, qui nous seront bien plus nuisibles qu'utiles.

-Ah! dit Jack, quand nous serons à

terre ils pourront nous aider à chasser. -Oui, répondis-je; mais comment arriver à terre? en sais-tu les moyens ?

Ah! cela n'est pas bien difficile, dit en secouant la tête mon petit éveillé : ne pouvons-nous pas prendre de grandes cuves, nous mettre dedans, et nager ainsi sur l'eau ? J'ai navigué très bien de cette manière sur le grand étang de mon parrain, à S***.

Bien! bien, mon Jack! tu es de bon conseil; on peut accepter avec reconnaissance un bon avis de la bouche d'un enfant. Vite, mon fils, donne-moi la scie et le perçoir, des clous; voyons ce qu'il y a à faire. Je me rappelai avoir vu des tonneaux vides à fond de cale; nous y descendîmes, les tonneaux nageaient; nous eûmes moins de peine à les tirer de là et à les poser sur le premier plancher, qui était à peine hors de l'eau. Nous vîmes avec joie que tous étaient très bons, de bon bois et bien garnis de cercles de fer; ils convenaient parfaitement à mon but, et je commençai, avec le secours de mes fils, à en scier deux par le milieu. Après avoir travaillé long-temps,

j'eus huit cuves égales et à la hauteur que je les voulais. Nous nous restaurâmes tous avec du vin et du biscuit, dont quelques uns de ces mêmes tonneaux étaient encore remplis. Satisfait, je contemplais mes huit petits bateaux rangés en ligne. J'étais étonné de voir ma femme encore toute abattue; elle les regardait en soupirant : <«< Jamais, disait-elle, je ne pourrai me mettre là-dedans.

-Ne juge pas si vite, ma chère amie, répliquai-je; mon ouvrage n'est pas encore fini, et tu verras qu'il mérite plus notre confiance que ce vaisseau avarié, qui ne peut bouger de place. >>

Je cherchai ensuite une longue planche un peu flexible, et je l'arrangeai de manière que huit cuves pouvaient s'y attacher, et que devant et derrière elle dépassait encore autant qu'il le fallait pour faire une courbure semblable à la quille d'un vaisseau : alors nous fixâmes toutes ces cuves avec des clous sur la planche, et chaque cuve à la partie latérale de sa voisine, afin qu'elles fussent très fermes. Nous clouâmes ensuite deux autres planches de chaque

côté des cuves, de la même longueur que la première, et dépassant de même en avant et en arrière. Lorsque tout fut solidement arrangé, il en résulta une espèce de bateau étroit et divisé en huit loges, qui paraissait me promettre tout ce qu'il me fallait pour une courte navigation et par une mer calme.

Mais malheureusement ma construction merveilleuse se trouva si pesante que, malgré toutes nos forces réunies, nous ne pûmes la transporter un pouce de sa place: je demandai le cric, et Fritz, qui en avait remarqué un, courut le chercher : en at tendant je sciai une grosse perche ronde en quelques morceaux pour en faire des cy lindres; je soulevai ensuite avec le cric la partie de devant de mon bateau, pendant que Fritz posait dessous un des cylindres.

<< C'est bien étonnant, dit Ernest, que cette machine, qui est moins grosse qu'aucun de nous, puisse faire plus que toutes nos forces réunies; je voudrais bien voir comment elle est faite en dedans. »

Je lui expliquai aussi bien que je le pus la puissance de la vis d'Archimède, avec fa

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