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Quand cela fut fait, ma femme me remit son ouvrage du jour, achevé : c'étaient des courroies de traits et un poitrail pour l'âne et pour la vache; et je lui promis, en récompense de sa peine et de son zèle, que le lendemain nous pourrions nous établir entièrement sur son arbre. Pour le moment

il n'était plus question que du souper : elle, Ernest et le petit François s'en étaient occupés efficacement. Ernest avait fait deux petites fourches pour soutenir un tournebroche, et il tournait une bonne pièce du porc-épic devant le feu; un autre morceau bouillait dans la marmite pour nous faire une bonne soupe, et tout cela exhalait une odeur appétissante.

Toutes nos bêtes arrivèrent les unes après les autres. Ma femme distribua du grain à la volaille pour l'accoutumer à se rassembler à cette place; après qu'elle l'eut mangé, nous eûmes le plaisir de voir nos pigeons prendre leur vol vers les branches supérieures de notre grand arbre, et les poules se percher en caquetant sur nos échelons; les quadrupèdes furent attachés aux racines voûtées de l'arbre et dans le voisinage de

nos hamacs, et se couchèrent sur l'herbe pour ruminer en paix. Le beau flammant ne fut pas oublié; on lui donna du lait et du biscuit émietté, qu'il mangea fort bien; puis il mit sa tête sous l'aile droite, souleva son pied gauche, et se livra en toute confiance à la douceur du sommeil.

Enfin arriva pour nous le moment désiré du repas du soir. Nous avions arrangé en tas les petits bûchers que je comptais allumer les uns après les autres, lorsque ma femme nous appela pour le souper, que nous attendions avec impatience, et qui fut trouvé excellent par moi et par mes enfans: leur mère, qui ne put se résoudre à goûter du porc-épic, mangea sobrement du pain et du fromage. Pour le dessert, les enfans nous apportèrent des figues qu'ils avaient ramassées sous l'arbre, et dont nous nous régalames tous; après quoi des bâillemens, de petits bras étendus, nous avertirent qu'il était temps de faire reposer nos jeunes ouvriers. Je fis une courte prière du soir, j'allumai quelques tas de rameaux, je préparai les autres pour les allumer successivement, et je vins à mon tour gagner mon hamac;

mes petits bons hommes étaient déja encaissés dans les leurs, et je n'entendis de tous côtés que des gémissemens de ce qu'ils étaient couchés si à l'étroit et sans pouvoir remuer. « Ah, ah! messieurs, leur dis-je, vous vous étiez tant réjouis de coucher dans des hamacs! il faut bien vous y habituer et vous en servir comme les matelots, qui y dorment à merveille. » Je leur indiquai la manière d'y être à leur aise : en se couchant abliquement et se balançant doucement, le sommeil arrive bientôt comme dans les meilleurs lits. Après quelques essais et quelques soupirs, ils y parvinrent; tout fut endormi paisiblement, à l'exception de moi, qui voulais veiller cette nuit-là à la sûreté générale

CHAPITRE XI.

Établissement sur l'arbre.

Cette nuit ne se passa pas sans inquiétude de ma part pour la sûreté de tous les miens; je n'entendais pas bouger une feuille que je ne crusse que c'était un chakal ou un tigre qui venait dévorer mes enfans: dès qu'un de mes petits bûchers était consumé, j'allumais le suivant; mais voyant enfin qu'aucun animal ne paraissait, je me calmai un peu, et sur le matin le sommeil s'empara si puissamment de moi que je m'éveillai le lendemain trop tard pour l'ouvrage du jour. La plupart de mes enfans étaient déja debout; nous fimes la prière, nous déjeunâmes et nous commençâmes le travail. Ma femme, après avoir fait son ouvrage accoutumé du matin, c'est-à-dire après s'être occupée à traire la vache, à préparer le déjeuner pour nous et nos bêtes, partit avec Ernest, Jack, le petit François et l'âne, pour aller au bord de la

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mer chercher quelques charges de bois que les vagues y jetaient en quantité.

Pendant ce temps-là je montai avec Fritz sur l'arbre, et je fis les préparatifs nécessaires pour nous y arranger avec commodité. Tout y était à souhait : des branches très rapprochées les unes des autres, quelques unes plus fortes, qui sortaient horizontalement du tronc et s'élevaient dans les airs; celles qui ne parurent pas placées convenablement furent sciées ou coupées avec la hache : je laissai toutes celles qui se trouvaient de niveau, et qui s'étendaient le plus au dehors, pour établir mon plancher; au dessus de celles-ci, à la hauteur de quarante-six pieds, j'en ménageai quelques autres pour y suspendre nos hamacs; et plus haut, une série de branches serrées fut destinée à recevoir la couverture de mon toit, qui, provisoirement, devait consister seulement dans un grand morceau de toile de voile.

La marche de ces préparatifs était assez lente; il s'agissait de monter plusieurs poutres fort lourdes, et ma femme et ses petits aides avaient grande peine même à les sou

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