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VIII

DON JUAN EN ALLEMAGNE

HAUPTACTIONEN ET PUPPENSPIELE

A l'imitation de l'Italie, l'Allemagne déforme la légende en bouffonneries. Traductions et imitations du Don Juan de Molière et du Don Juan de Th. Corneille. Les Hauptactionen raisons de leurs succès; leur caractère; leurs différentes sources: Molière, Dorimon-Villiers, les Italiens.

Ses sources.

Leur filiation. Passage de la légende d'Italie dans le Tyrol. La pièce de Zuotz. - Le Steinerne Gastmahl de Kurz-Bernardon et la pièce perdue de Prehauser. La pièce de F. Schönemann et les représentations viennoises au XVIIIe siècle. Le Laufner-don Juan de Salzbourg. Ses sources. Les Puppenspiele. — Leur multiplicité. — Les pièces d'Augsbourg, de Strasbourg et d'Ulm. Leurs sources; leurs rapports. Le Puppenspiel tyroLes Puppenspiele au XIXe siècle.

lien recueilli par Erich Schmidt.

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Don Juan a ainsi évolué en passant en Angleterre conformément aux mœurs d'un pays qui, au milieu du xvIIe siècle, était tout préparé par les circonstances à lui faire bon accueil. Il s'y corrompit davantage sa corruption devint brutale et féroce.

En Allemagne, par un phénomène inverse, le héros devait au contraire s'épurer avec le temps, s'élever au-dessus des plaisirs matériels et grossiers jusqu'à la poursuite mystique de la Beauté. Ce furent les pays germaniques qui les premiers concurent le Don Juan romantique et transformèrent le Donjuanisme en une conception supraterrestre de l'amour. Sans doute cette transformation du sens primitif de la légende et du caractère de son héros ne fut pas immédiate: elle fut même assez lente. Il en a été de la fable du Convié de Pierre comme de celle du

docteur Faust, qui, avant d'inspirer Goethe, avait pendant de longues générations fourni un thème inépuisable aux représentations de Puppenspiele (Marionnettes). De même, pendant un siècle et demi, Don Juan ne connaîtra en Allemagne d'autre scène que les théâtres populaires sur lesquels ses aventures lourdement caricaturées figurent à côté de celles du fameux docteur qui vendit son âme au diable.

Ainsi que dans celle de Faust, il y avait dans la légende de Don Juan l'antithèse, vague dans le principe, qui se précisa dans la suite, mais fut lente à se dégager, entre les sens et l'esprit, entre l'idée et la matière, antithèse qui devait assurer sa fortune dans les pays germaniques. Le mélange des grossièretés de la chair avec les sentimentalités de l'âme et les spéculations de l'esprit, se rencontre plus qu'ailleurs chez le peuple allemand, dans les mœurs, dans la littérature, dans l'art. La fable espagnole lui offrait les contrastes qu'il aime : l'association des appétits matériels et des rêves métaphysiques, du tragique et du bouffon, de la foi et du scepticisme. L'opposition du libertinage sensuel de Don Juan et de la passion épurée d'Elvire; de la gravité religieuse du drame et des facéties de Catalinon, de Passarino ou de Sganarelle, ces cousins de Hans Wurst, devait satisfaire le goût du public qui retrouvait dans la pièce espagnole les caractères, les mœurs, les procédés scéniques même auxquels son propre théâtre l'avait accoutumé.

Aussi, avant même que le romantisme germanique s'emparat du héros et le transformât, avant que l'Allemagne conçût et réalisât l'idée de l'associer à Faust, elle l'accueillit tel que la France et l'Italie le lui transmettaient. Dès la fin du xvi® siècle, et pendant tout le cours du xvIII, elle l'a applaudi sous les différents avatars que la littérature et la musique lui ont fait subir. Mais si l'on excepte la création originale de Mozart, mélange de sentimentalité germanique et de volupté latine, jusqu'au XIXe siècle la légende de Don Juan n'a produit en Allemagne que des traductions ou des arlequinades du même genre que les bouffonneries de la Commedia dell'Arte et de nos théâtres de la foire. C'est dans la musique que le génie allemand au xvш° siècle

a incarné sa conception du héros libertin. Il ne l'a exprimée dans la littérature que sous une forme caricaturale, ou s'est contenté de reproduire les interprétations que l'étranger lui apportait.

C'est ainsi que le Don Juan de Molière passa de bonne heure en Allemagne où il eut une meilleure fortune que dans son pays d'origine. Il y trouvait un milieu disposé à le recevoir : l'influence française, prépondérante en Allemagne, avait rendu la littérature allemande, à la fin du xvIIe siècle, tributaire de la nôtre. Notre littérature dramatique, notamment, plus encore que l'anglaise et que l'italienne, jouissait de la faveur publique. Nos classiques étaient traduits et joués dans les différentes cours; des théâtres français s'étaient établis et donnaient avec succès des pièces en français dans le Hanovre, en Bavière, dans le Palatinat, en Prusse, et ailleurs encore. En 1674 on jouait Molière à Dresde, en 1679 à Heidelberg; en 1670 un recueil de ses comédies paraissait à Francfort. En 1694 une édition publiée à Nüremberg, chez Daniel Tauber, contenait pour la première fois, sous le titre de Das steinerne Gastmahl la traduction du Festin de Pierre, triste traduction, sans doute, où, au milieu des platitudes, abondaient les contresens et inême les non-sens 2. La fameuse édition de 1695, connue sous le titre d'Histrio gallicus comico-satyricus sine exemplo », et attribuée à Johannes Velthen, contient aussi Don Juan sous le titre de : Des don Pedro Gastmahl (le Festin de don Pierre), qui corrige heureusement le non-sens du titre français. En général d'ailleurs, cette traduction est supérieure à la première, et elle a été faite sur l'édition de 1682 non cartonnée.

3

En même temps que paraissaient ces premières éditions, l'acteur Johannes Velthen, entre autres représentations de

1. C'est la première de la 1" partie. Le traducteur n'a fait connaitre que ses initiales: J. E. P.

2. M. Ehrhard (les Comédies de Molière en Allemagne, p. 81 et 82) en relève un certain nombre. En voici un qui semble prouver que le traducteur avait sous les yeux un texte mal établi, ou qu'il a lui-même mal lui traduit la réflexion de Charlotte : « Si j'avais su ça tantôt, je n'aurais pas manqué de les laver avec du son; Hätte ich es zuvor gewusst, würde ich nich ermangelt haben sie mit Fleiss abzunwaschen (les laver avec soin).

3. A Nuremberg chez D. Tauber.

pièces de Molière, jouait à Dresde en 1684 devant l'électeur Jean-Georges III le Festin de pierre sous le titre assez bizarre de Die stadua der Ehre (la Statue de l'honneur'). En 1690, au cours du carnaval, il donne à Torgau la même pièce sous un titre différent Don Juan oder des don Pedro Todtengastmahl (Don Juan ou le festin des morts de Don Pedro). Par la suite, les représentations de Don Juan se succédèrent en différents endroits à Hanovre notamment, pendant le carnaval de 1693; à Nüremberg en 1710, sous le titre de der Gottlose Don Juan aus Molière (le Don Juan athée de Molière)'.

Au milieu du XVIIIe siècle, l'illustre acteur Schroeder qui, tout enfant, avait figuré dans un ballet inspiré du Festin de Pierre, puis joué le rôle de Sganarelle en 1750, s'attaqua à celui de Don Juan lui-même, dans lequel il avait vu applaudir son maître Ekhof. Il convient d'ajouter que Schroeder n'était qu'un interprète infidèle de Molière. Il adaptait les rôles de l'auteur français au goût allemand 3.

Le Don Juan de Molière ne fut pas le seul Don Juan français représenté en Allemagne. L'imitation de Thomas Corneille, qui, en France, ne tarda pas à remplacer sur la scène l'original, passa aussi sur les théâtres d'outre-Rhin. Lorsque la cour palatine se fut établie à Mannheim, des comédiens français y furent appelés, et parmi les pièces que cette troupe dite « Troupe des comédiens français de S. A. S. Electorale » joua entre les années 1730 et 1743, figure le Festin de Pierre de Thomas Corneille'.

1. Cf., pour ces représentations, Fürstenau, Zur geschichte der Musik und des Theaters am Hofe der Churfürsten von Sachsen, Dresde, 1861.

2. Cf. Richard-Maria Werner, Der Laufner don Juan, Hambourg et Leipzig, 1891, p. 71.

3. Pour ces représentations de Schroeder, cf. Brunier, L.-I. Schroder, Leipzig, 1864, et Annalen des Theaters, Berlin, 1789, t. V.

4. Cf. J.-J. Olivier, les Comédiens français dans les cours d'Allemagne, t. I, p. 15 et suiv.

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