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A ces deux preuves je vais en ajouter une troisième.

Nous avons vu que dans ces vers du Mist. du S. d'Orl. (vs. 5779):

Quant au regart de leur puissance

Ne fault accomparer la nostre :
Chacun sçait que la leur passe oultre.
Qu'à nostre bon roy et le vostre
Luy soyt tout ce cas récité;

nostre, vostre se prononçaient noutre, voutre. De plus nous trouvons une confirmation de l'exception formulée par Palsgrave, au sujet de la prononciation de la diphthongue au dans les vers sui

vants :

Chascun y a fait grand labeur

Et tant d'un cousté comme d'autre
Eu ont la moitié de la peur

Et n'y ont riens gaigné du nostre;

(M. du S. d'Orl. vs. 16027.)

ou autre prononcé outre rime avec notre prononcé noutre. Si maintenant nous rencontrons autre rimant avec un mot ou la diphthongue au ne soit point initiale, nous serons en droit de conclure que l'auteur du mystère où je puise ces exemples, auteur très probablement orléanais, et par conséquent voisin du pays blaisois, donnait a au le son de ou, non seulement au commencement, mais même au milieu des mots. J'en trouve une preuve évidente dans ces vers:

Et suffisant y est sans faulle.

On n'en doit point élire d'autre. (vs. 16698.)

où il paraît certain, d'après les développements que je viens de donner, qu'on doit lire foute et oute (voir au chap. de la prononciation de l'r), comme on prononce encore aujourd'hui dans le dialecte blaisois.

De même si vous vous rappelez la règle que j'ai formulée au sujet de l'o suivi de r et l'exemple dont je l'ai appuyée :

Les reins de puissance et fource

Elle trousse, etc.;

si vous considérez et les exemples précédents, et le pays d'où l'auteur était vraisemblablement originaire, et l'époque où il écrivait, vous n'hésiterez point à lire dans les vers suivants Bouce et fource, selon la prononciation blaisoise :

Je doubte aller par la Beausse :
Le plus fort des Anglois y est,
Toute leur puissance et force.

M. du S. d'Orl. vs. 11471.)

Cette prononciation a-t-elle persisté pendant tout le XVI siècle? Il serait difficile de l'affirmer. Je crois néanmoins en trouver des traces dans les citations suivantes, puisées dans le recueil de chants historiques publiés par Leroux de Lincy :

L'un veut vendre ses chausses,

Et l'autre son pourpoint;

L'autre son arquebouze,

Pour un morceau de pain. (II. 395.)

Un tas de chefs de cette cause

Qu'on ha veu n'avoir pas six blancs,

Il faut qu'asteure dire j'ause,

Parent a million de francs. (II. 386.)

Au au commencement des mots sonnait ou; j'ouse pour j'ose est la vieille prononciation française; c'est l'année qui précéda la naissance de cette chanson (1578) qu'Henri Estienne s'élevait contre j'ouse, qui se maintenait quand même à la cour; enfin, c'est un chant populaire, et l'on sait que le peuple reste fidèle à la vieille prononciation, comme aux vieux usages; ces raisons plaident ici, à mes yeux, en faveur de la prononciation j'ouse pour j'ose.

C'est dans la rencontre de Gautier Garguille avec Tabarin, etc. que je surprends la dernière trace de cette prononciation :

« Une partie gastent tout avec leurs fausses perruques souspoudrées de poudre de Chypre. » (Ch. de Gault. Garg. Jannet, 1858, p. 189.)

Quoiqu'il en soit, cette attribution du son ou à la diphthongue au est singulièrement exagérée dans le dialecte blaisois, puisqu'on la prononce ainsi, non seulement au commencement des mots, ce qui serait conforme à la règle, et au milieu, ce qui a très probablement existé dans le langage vulgaire, mais encore à la fin même des mots dans les terminaisons en aud, aux, eaux. Cependant cette dernière sonne plus généralement iaux.

Un grant crapout laid et hideus.

(De Monacho in flumine, etc. à la suite de la Chr. d. d. d. Norm. III. 524.)

REMARQUE. Au sonne a dans le futur et le conditionnel des verbes avoir et savoir, ainsi que dans baume et son composé embaumer.

Les formes j'arai, je sarai sont le résultat d'une contraction. On n'a qu'à consulter à ce sujet Raynouard, Génin, Ampère, Chevallet, Burguy. Je ne reviendrai pas sur une question depuis longtemps éclaircie et épuisée. Ce qui m'importe uniquement ici, c'est de constater l'existence de ces formes pendant tout le moyen-âge, et jusque dans la seconde moitié du XVIe siècle.

Ma femme et mes enfans aront povre secours;

Quant m'en irai sans busche duel aront et courrous.

(A. Jub. Neau Rec. I. 129.)

Le roy le sara.

(Buchon, Théâtre au moyen-âge, p. 235.)

Paumier, me saroies-tu dire? (Id. p. 220.)

Il aroit tout le royaume de France, moyennant son labour. (Procès de Jehanne d'Arc, tom. IV., p. 326 et passim.)

Nous n'en arrons ne croix ne pile.

(Fr. Villon, Dial. de Mallepaye et Baillevent.)

G'harai ou j'aurai maintenant faict. (J. Dubois.)

J'aorey ou j'arey

Tu aoras ou tu aras

Il aora ou il ara

Nous aorons ou nous arons

Vous arez

Ils aoront (1) ou aront (2). (L. Meigret.)

<«< Au futur de l'indicatif et à l'imparfait conjonctif (conditionnel) d'avoir, le v consonne est devenu voyelle et l'on a dit aurai, auras, etc. au lieu de avrai, avras. De là est venu ensuite l'usage de prononcer arai, aras en supprimant l'u.» (Th. de Bèze.)

Quant à baume, on le rencontre au moyen-âge sous les formes balsime, balme, basme, bausme et barme. Ces quatre dernières étaient, selon moi, identiques pour la prononciation, baume, ou la diphthongue au conservait ce son indécis entre a et o que j'ai déjà signalé au chap. de la prononciation de l'a. (3) Aussi il est probable à mes yeux que la diphthongue au et la voyelle a sonnaient de même dans les mots bausme et embasmée des vers suivants :

La carogne ont molt honerée,

Et de tres chier bausme embasmée.

(R. de Mah., p. 78.)

Je profiterai de cette circonstance pour faire remarquer que les lettres s, l, m, n, r, paraissent avoir eu au moyen-âge la même influence sur l'a que nous avons vu (1re part., ch. IV. p. 32.) qu'elles

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(1) Le son ao pour au, tel que le note ici Meigret, n'existe plus dans le Blaisois; il s'est conservé dans l'Anjou.

(2) Cf. avec l'Italien :

Aresti gia Macon tuo rinegato.

L'anima tua ara quel vero Dio.

(Il Morgante magg. cant. I. vers 4 et 44.)

Che come noi aranno fatto gala. (Id. II. 26.)

(3) Voir aussi Max Muller, Nouv. Leçons sur la science du Lang. pag. 212, note.

(4) Cf. Hug. Capet, vs. 4896 et Aye d'Avign. vs. 2800.

avaient sur l'o. De même que os, ol, om, on, or sonnaient ou, de même as, al, am, an, ar, sonnaient au ou d。.

4° As Quelquefois l's prend la valeur de l'u dans la prononciation: Ascun, prononcez: Aucun.» (Gr. de Colyng., règl. 67.) Cf. As pour aux, bias pour biaux, etc. et Hug. Capet, vs. 4896, paumée pour pasmée.

2. Al - «L mise après a et suivie d'une consonne se prononce comme u m'alme, loialment ». (Id. règl. 23 — Voir aussi Génin, Variat. p., 320 et suiv.)

3o Am et an.

«Toutes les fois que l'a est suivi d'un m ou d'un n dans la même syllabe, il se prononce au. Ex.: chambre, mander, prononcez chaumbre, maunder. « (Palsgr., pag. 1 et 2.) 4° Ar. Je ne trouve dans les grammairiens aucune règle formulée concernant cette syllabe; mais si vous comparez entr'elles: 1° les formes

alme-aume

anme-aunme (en cette dernière l'n devait se prononcer fort peu et représenter seulement le son nasal de au, comme nous voyons dans monstier, convent devenus par la suppression de I'n moustier, couvent.)

2o et les formes

almoyre

armoyre, écrites quelquefois avec l'orthographe aulmoyre (V. Villon, pag. 18.) et aurmoyre, cette dernière conservée de nos jours dans le langage populaire.

3o et enfin celles dont je m'occupe ici, savoir balme, basme, barme que l'on trouve aussi sous les formes bausme, baume, peutêtre croirez-vous comme moi que ces diverses orthographes ne couvraient qu'une seule et même prononciation, dome, aomoyre, ba.me.

Je me contente d'indiquer ces idées. Il faudrait plusieurs pages pour les développer. Mon but, en engageant cette courte discussion, est tout simplement d'appuyer mon opinion sur la prononciation des mots balme, basme, barme au moyen-âge, et d'un autre

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