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rencontrer dans l'obscurité. Il ne laissa pas pourtant de s'écrier à haute voix : Voici Claude César. Aussitôt une foule s'avance en poussant des cris de joie et chantant,

Il vient, réjouissons-nous.

Parmi eux étoient Caïus Silius, consul désigné, Junius Prætorius, Sextius Trallus, Helvius Trogus, Gotta Tectus, Valens, Fabius, chevaliers romains que Narcisse avoit tous expédiés. Au milieu de la troupe chantante étoit le pantomime Mnester, à qui sa beauté avoit coûté la vie. Bientôt le bruit que Claude arrivoit parvint jusqu'à Messaline; et l'on vit accourir les premiers au-devant de lui ses affranchis Polybe, Myron, Harpocrate, Amphæus et Pheronacte, qu'il avoit envoyés devant pour préparer sa maison. Suivoient les deux préfets Justus Catonius, et Rufus fils de Pompée; puis ses amis Saturnius Lucius, et Pedo Pompeius, et Lupus, et Celer Asinius, consulaires; enfin la fille de son frère, la fille de sa sœur, son gendre, son beau-père, sa bellemère, et presque tous ses parens. Toute cette troupe accourt au-devant de Claude, qui les voyant s'écria: Bon! je trouve partout des amis! Par quel hasard êtes-vous ici?

Comment, scélérat! dit Pedo Pompeius, par quel hasard? et qui nous y envoya que toi-même, bourreau de tous tes amis? Viens, viens devant le juge; ici je t'en montrerai le chemin. Il le mène au tribunal

d'Éaque, lequel précisément se faisoit rendre compte de la loi Cornelia sur les meurtriers. Pedo fait inscrire son homme, et présente une liste de trente sénateurs, trois cent quinze chevaliers romains, deux cent vingt-un citoyens et d'autres en nombre infini, tous tués par ses ordres.

Claude effrayé tournoit les yeux de tous côtés pour chercher un défenseur; mais aucun ne se présentoit. Enfin, P. Petronius, son ancien convive et beau parleur comme lui, requit vainement d'être admis à le défendre. Pedo l'accuse à grands cris, Petrone tâche de répondre; mais le juste Éaque le fait taire, et, après avoir entendu seulement l'une des parties, condamne l'accusé en disant :

Il est traité comme il traita les autres.

A ces mots il se fit un grand silence. Tout le monde, étonné de cette étrange forme, la soutenoit sans exemple; mais Claude la trouva plus inique que nouvelle. On disputa long-temps sur la peine qui lui seroit imposée. Quelques-uns disoient qu'il falloit faire un échange; que Tantale mourroit de soif s'il n'étoit secouru; qu'Ixion avoit besoin d'enrayer, et Sisyphe de reprendre haleine : mais comme relâcher un véteran, c'eût été laisser à Claude l'espoir d'obtenir un jour la même grâce, on aima mieux imaginer quelque nouveau supplice qui, l'assujettissant à un vain travail, irritât incessamment sa cupidité par une espérance illusoire. Éaque ordonna

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TRADUCTION DE L'APOCOLOKINTOSIS.

donc qu'il jouât aux dés avec un cornet percé, et d'abord on le vit se tourmenter inutilement à courir après ses dés:

Car à peine agitant le mobile cornet

Aux dés prêts à partir il demande sonnet,

Que, malgré tous ses soins, entre ses doigts avides,

Du cornet défoncé, panier des Danaïdes,

Il sent couler les dés; ils tombent, et souvent
Sur la table, entraîné par ses gestes rapides,
Son bras avec effort jette un cornet de vent.
Ainsi pour terrasser son adroit adversaire (1)
Sur l'arène un athlète, enflammé de colère,
Du ceste qu'il élève espère le frapper;
L'autre gauchit, esquive, a le temps d'échapper;
Et le coup, frappant l'air avec toute sa force,
Au bras qui l'a porté donne une rude entorse.

Là-dessus, Caligula paroissant tout à coup, se mit à le réclamer comme son esclave. Il produisoit des témoins qui l'avoient vu le charger de soufflets et d'étrivières. Aussitôt il lui fut adjugé par Éaque; et Caligula le donna à Ménandre son affranchi, pour en faire un de ses gens.

(1) J'ai pris la liberté de substituer cette comparaison à celle de Sisyphe, employée par Sénèque, et trop rebattue depuis cet

auteur.

TRADUCTION

DE L'ODE DE JEAN PUTHOD, (*)

Sur le mariage de CHARLES-EMMANUEL, roi de Sardaigne et duc de Savoie, avec la princesse ÉLISABEth de Lorraine.

MUSE, vous exigez de moi que je consacre au roi de nouveaux chants; inspirez-moi donc des vers dignes d'un si grand monarque.

Le terrible dieu des combats avoit semé la discorde entre les peuples de l'Europe: toute l'Italie retentissoit du bruit des armes, pendant que la triste Paix entendoit du fond d'un antre obscur les tumultes furieux excités par les humains, et voyoit

(*) Il nous a paru inutile d'imprimer le texte latin ou italien pour les morceaux traduits de Tacite, de Sénèque et du Tasse qui font partie de ce volume, parce que ces auteurs sont entre les mains de tout le monde. Le même motif n'existant pas pour l'ode latine de J. Puthod, nous avons cru convenable d'en joindre ici le texte à la traduction.

In nuptias CAROLI EMMANUELIS invictissimi Sardinia regis, ducis Sabandiæ, etc., et reginæ augustissimæ ELISABETHE ▲ Lotha

RINGIA.

Ergò nunc vatem, mea musa, regi
Plectra jussisti nova dedicare?
Ergò da magnum celebrare digno

Carmine regem.

les

inondées de nouveaux flots de sang. campagnes Elle distingue de loin un héros enflammé par sa valeur; c'est Charles qu'elle reconnoît, chargé de glorieuses dépouilles. La déesse l'aborde en soupirant, et tâche de le fléchir par ses larmes.

Prince, lui dit-elle, quels charmes trouvez-vous dans l'horreur du carnage? Épargnez des ennemis vaincus; épargnez-vous vous-même, et n'exposez plus votre tête sacrée à de si grands périls; le cruel Mars vous a trop long-temps occupé. Vous êtes chargé d'une ample moisson de palmes ; il est temps désormais que la paix ait part à vos soins, et que vous livriez votre cœur à des sentimens plus doux. Pour le prix de cette paix, les dieux vous ont destiné une jeune et divine princesse du sang des rois,

Inter Europa populos furorem
Impius belli Deus excitârat;
Omnis armorum strepitu fremebat
Itala tellus.

Interim cæco latitans sub antro

Mæsta pax diros hominum tumultus

Audit, undantesque videt recenti

Sanguine campos.

Cernit heroem procul æstuantem;
Carolum agnoscit spoliis onustum;
Diva suspirans adit, atque mentem

Flectere tentat.

Te quid armorum juvat, inquit, horror?
Parce jam victis, tibi parce, princeps;
Ne caput sacrum per aperta belli

Mitte pericla.

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