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LETTRES

A SARA.

Jam nec spes animi credula mutui.

HOR. Lib. IV, od. 1.

AVERTISSEMENT.

ON comprendra sans peine comment une espèce de défi a pu faire écrire ces quatre lettres. On demandoit si un amant d'un demi-siècle pouvoit ne pas faire rire. Il m'a semblé qu'on pouvoit se laisser surprendre à tout âge; qu'un barbon pouvoit même écrire jusqu'à quatre lettres d'amour, et intéresser encore les honnêtes gens, mais qu'il ne pouvoit aller jusqu'à six sans se déshonorer. Je n'ai pas besoin de dire ici mes raisons; on peut les sentir en lisant ces lettres: après leur lecture, on en jugera.

LETTRES

A SARA.

PREMIÈRE LETTRE.

Tu lis dans mon cœur, jeune Sara; tu m'as pénétré, je le sais, je le sens. Cent fois le jour ton œil curieux vient épier l'effet de tes charmes. A ton air satisfait, à tes cruelles bontés, à tes méprisantes agaceries, je vois que tu jouis en secret de ma misère; tu t'applaudis avec un souris moqueur du désespoir où tu plonges un malheureux, pour qui l'amour n'est plus qu'un opprobre. Tu te trompes, Sara; je suis à plaindre, mais je ne suis point à railler : je ne suis point digne de mépris, mais de pitié, parce que je ne m'en impose ni sur ma figure ni sur mòn âge, qu'en aimant je me sens indigne de plaire, et que la fatale illusion qui m'égare m'empêche de te voir telle que tu es, sans m'empêcher de me voir tel que je suis. Tu peux m'abuser sur tout, hormis sur moimême tu peux me persuader tout au monde, excepté que tu puisses partager mes feux insensés. C'est le pire de mes supplices de me voir comme tu me vois; tes trompeuses caresses ne sont pour moi qu'une humiliation de plus, et j'aime avec la certitude affreuse de ne pouvoir être aimé.

Sois donc contente. Hé bien oui, je t'adore ; oui, je brûle pour toi de la plus cruelle des passions. Mais tente, si tu l'oses, de m'enchaîner à ton char, comme un soupirant à cheveux gris, comme un barbon qui veut faire l'agréable, et dans son extravagant délire, s'imagine avoir des droits sur un jeune objet. Tu n'auras pas cette gloire, ô Sara! ne t'en flatte pas tu ne me verras point à tes pieds vouloir t'amuser avec le jargon de la galanterie, ou t'attendrir avec des propos langoureux. Tu peux m'arracher des pleurs, mais ils sont moins d'amour que de rage. Ris, si tu veux, de ma foiblesse; tu ne riras pas au moins de ma crédulité.

Je te parle avec emportement de ma passion, parce que l'humiliation est toujours cruelle, et que le dédain est dur à supporter; mais ma passion, toute folle qu'elle est, n'est point emportée ; elle est à la fois vive et douce comme toi. Privé de tout espoir, je suis mort au bonheur, et ne vis que de ta vie. Tes plaisirs sont mes seuls plaisirs ; je ne puis avoir d'autres jouissances que les tiennes, ni former d'autres vœux que tes vœux. J'aimerois mon rival même si tu l'aimois : si tu ne l'aimois pas, je voudrois qu'il pût mériter ton amour; qu'il eût mon cœur pour t'aimer plus dignement, et te rendre plus heureuse. C'est le seul désir permis à quiconque ose aimer sans être aimable. Aime, et sois aimée, ô Sara! Vis contente, et je mourrai content.

SECONDE LETTRE.

PUISQUE je vous ai écrit, je veux vous écrire encore: ma première faute en attire une autre. Mais je saurai m'arrêter, soyez-en sûre; et c'est la manière dont vous m'aurez traité durant mon délire, qui décidera de mes sentimens à votre égard quand j'en serai revenu. Vous avez beau feindre de n'avoir pas lu ma lettre, vous mentez; je le sais, vous l'avez lue. Oui, vous mentez sans me rien dire, par l'air égal avec lequel vous croyez m'en imposer. Si vous êtes la même qu'auparavant, c'est parce que vous avez été toujours fausse; et la simplicité que vous affectez avec moi me prouve que vous n'en avez jamais eu. Vous ne dissimulez ma folie que pour l'augmenter; vous n'êtes pas contente que je vous écrive, si vous ne me voyez encore à vos pieds; vous voulez me rendre aussi ridicule que je peux l'être; vous voulez me donner en spectacle à vous-même, peut-être à d'autres; et vous ne vous croyez pas assez triomphante si je ne suis déshonoré.

Je vois tout cela, fille artificieuse, dans cette feinte modestie par laquelle vous espérez m'en imposer, dans cette feinte égalité par laquelle vous semblez vouloir me tenter d'oublier ma faute, en paroissant vous-même n'en rien savoir. Encore une fois, vous avez lu ma lettre ; je le sais, je l'ai vu. Je

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