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jolie, ma petite cousine, avec ses petits doigts sensibles, seroit bientôt rebutée de caresser une plante de si mauvaise humeur.

La famille des ombellifères est nombreuse, et si naturelle, que ses genres sont très-difficiles à distinguer; ce sont des frères que la grande ressemblance fait souvent prendre l'un pour l'autre. Pour aider à s'y reconnoître, on a imaginé des distinctions principales qui sont quelquefois utiles, mais sur lesquelles il ne faut pas non plus trop compter. Le foyer d'où partent les rayons, tant de la grande que de la petite ombelle, n'est pas toujours nu; il est quelquefois entouré de folioles, comme d'une manchette. On donne à ces folioles le nom d'involucre (enveloppe). Quand la grande ombelle a une manchette, on donne à cette manchette le nom de grand involucre: on appelle petits involucres ceux qui entourent quelquefois les petites ombelles. Cela donne lieu à trois sections des ombellifères.

1o. Celles qui ont grand involucre et petits involucres;

2o. Celles qui n'ont que les petits involucres seulement;

3o. Celles qui n'ont ni grand ni petits involucres.

Il sembleroit manquer une quatrième division de celles qui ont un grand involucre et point de petits; mais on ne connoît aucun genre qui soit constamment dans ce cas.

Vos étonnans progrès, chère cousine, et votre patience m'ont tellement enhardi que, comptant pour rien votre peine, j'ai osé vous décrire la famille des ombellifères sans fixer vos yeux sur aucun' modèle; ce qui a rendu nécessairement votre attention beaucoup plus fatigante. Cependant j'ose douter, lisant comme vous savez faire, qu'après une ou deux lectures de ma lettre, une ombellifère en fleurs échappe à votre esprit en frappant vos yeux; et, dans cette saison, vous ne pouvez manquer d'en trouver plusieurs dans les jardins et dans la campagne.

Elles ont, la plupart, les fleurs blanches. Telles sont la carotte, le cerfeuil, le persil, la ciguë, l'angélique, la berce, la berle, la boucage, le chervis ou girole, la percepierre, etc.

Quelques-unes, comme le fenouil, l'anet, le panais, sont à fleurs jaunes: il y en a peu à fleurs rougeâtres, et point d'aucune autre couleur.

Voilà, me direz-vous, une belle notion générale des ombellifères : mais comment tout ce vague savoir me garantira-t-il de confondre la ciguë avec le cerfeuil et le persil, que vous venez de nommer avec elle? La moindre cuisinière en saura là-dessus plus que nous avec toute notre doctrine. Vous avez raison. Mais cependant, si nous commençons par les observations de détails, bientôt, accablés par le nombre, la mémoire nous abandonnera, et nous nous perdrons dès le premier pas dans ce règne immense: au lieu que, si nous commençons par bien

reconnoître les grandes routes, nous nous égarerons rarement dans les sentiers, et nous nous retrouverons partout sans beaucoup de peine. Donnons cependant quelque exception à l'utilité de l'objet, et ne nous exposons pas, tout en analysant le règne végétal, à manger par ignorance une omelette à la ciguë.

La petite ciguë des jardins est une ombellifère, ainsi que le persil et le cerfeuil. Elle a la fleur blanche comme l'un et l'autre (1); elle est avec le dernier dans la section qui a la petite enveloppe et qui n'a pas la grande; elle leur ressemble assez par son feuillage, pour qu'il ne soit pas aisé de vous en marquer par écrit les différences. Mais voici des caractères suffisans pour ne vous y pas tromper.

Il faut commencer par voir en fleurs ces diverses plantes; car c'est en cet état que la ciguë a son caractère propre. C'est d'avoir sous chaque petite ombelle un petit involucre composé de trois petites folioles pointues, assez longues, et toutes trois tournées en dehors; au lieu que les folioles des petites ombelles du cerfeuil l'enveloppent tout autour, et sont tournées également de tous les côtés. A l'égard du persil, à peine a-t-il quelques courtes folioles, fines comme des cheveux, et distribuées indifférem

(1) La fleur du persil est un peu jaunâtre; mais plusieurs fleurs d'ombellifères paroissent jaunes, à cause de l'ovaire et des anthères, et ne laissent pas d'avoir les pétales blancs.

ment, tant dans la grande ombelle que dans les petites, qui toutes sont claires et maigres.

Quand vous vous serez bien assurée de la ciguë en fleurs, vous vous confirmerez dans votre jugement en froissant légèrement et flairant son feuillage; car son odeur puante et vireuse ne vous la laissera pas confondre avec le persil ni avec le cerfeuil, qui, tous deux, ont des odeurs agréables. Bien sûre enfin de ne pas faire de quiproquo, vous examinerez ensemble et séparément ces trois plantes dans tous leurs états et par toutes leurs parties, surtout par le feuillage, qui les accompagne plus constamment que la fleur; et par cet examen, comparé et répété jusqu'à ce que vous ayez acquis la certitude du coupd'œil, vous parviendrez à distinguer et connoître imperturbablement la ciguë. L'étude nous mène ainsi jusqu'à la porte de la pratique; après quoi celle-ci fait la facilité du savoir.

Prenez haleine, chère cousine, car voilà une lettre excédante; je n'ose même vous promettre plus de discrétion dans celle qui doit la suivre, mais après cela nous n'aurons devant nous qu'un chemin bordé de fleurs. Vous en méritez une couronne pour la douceur et la constance avec laquelle vous daignez me suivre à travers ces broussailles, sans vous rebuter de leurs épines.

LETTRE VI.

Du 2 mai 1773.

QUOIQU'IL VOUS reste, chère cousine, bien des cho

vous

ses à désirer dans les notions de nos cinq premières familles, et que je n'aie pas toujours su mettre mes descriptions à la portée de notre petite botanophile (amatrice de la botanique), je crois néanmoins vous en avoir donné une idée suffisante pour pouvoir, après quelques mois d'herborisation, vous familiariser avec l'idée générale du port de chaque famille: en sorte qu'à l'aspect d'une plante vous puissiez conjecturer à peu près si elle appartient à quelqu'une des cinq familles, et à laquelle, sauf à vérifier ensuite, par l'analyse de la fructification, si vous vous êtes trompée on non dans votre conjecture. Les ombellifères, par exemple, vous ont jetée dans quelque embarras, mais dont vous pouvez sortir quand il vous plaira, au moyen des indications que j'ai jointes aux descriptions; car enfin les carottes, les panais, sont choses si communes, que rien n'est plus aisé, dans le milieu de l'été, que de se faire montrer l'une ou l'autre en fleurs dans un potager. Or, au simple aspect de l'ombelle et de la plante qui la porte, on doit prendre une idée si nette des ombellifères, qu'à la rencontre d'une plante de cette famille, on s'y trompera rarement au premier coup

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