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d'herbe ou de mousse que vous trouverez en votre chemin. Mais voici le moyen qu'il me semble que vous pourriez prendre pour analyser avec succès toutes les productions végétales de vos environs, sans vous ennuyer à des détails minutieux, insupportables pour les esprits accoutumés à généraliser les idées et à regarder toujours les objets en grand. Il faudroit inspirer à quelqu'un de vos laquais, garde ou garçon jardinier, un peu de goût pour l'étude des plantes, et le mener à votre suite dans vos promenades, lui faire cueillir les plantes que vous ne connoîtriez pas, particulièrement les mousses et les graminées, deux familles difficiles et nombreuses. Il faudroit qu'il tâchât de les prendre dans l'état de floraison où leurs caractères déterminans sont les plus marqués. En prenant deux exemplaires de chacun, il en mettroit un à part pour me l'envoyer, sous le même numéro que le semblable qui vous resteroit, et sur lequel vous feriez mettre ensuite le nom de la plante, quand je vous l'aurois envoyé. Vous vous éviteriez ainsi le travail de cette détermination, et ce travail ne seroit qu'un plaisir pour moi, qui en ai l'habitude et qui m'y livre avec passion. Il me semble, monsieur, que de cette manière vous auriez fait en peu de temps le relevé des productions végétales de vos terres et des environs ; et que, vous livrant sans fatigue au plaisir d'observer, vous pourriez encore, au moyen d'une nomenclature assurée, avoir celui de comparer vos observations

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avec celles des auteurs. Je ne me fais pourtant pas fort de tout déterminer. Mais la longue habitude de fureter des campagnes m'a rendu familières la plupart des plantes indigènes. Il n'y a que les jardins et productions exotiques où je me trouve en pays perdu. Enfin ce que je n'aurai pu déterminer sera pour vous, monsieur, un objet de recherche et de curiosité qui rendra vos amusemens plus piquans. Si cet arrangement vous plaît, je suis à vos ordres, et vous pouvez être sûr de me procurer un amusement très-intéressant pour moi.

J'attends la note que vous m'avez promise pour travailler à la remplir autant qu'il dépendra de moi. L'occupation de travailler à des herbiers remplira très-agréablement mes beaux jours d'été. Cependant je ne prévois pas d'être jamais bien riche en plantes étrangères; et, selon moi, le plus grand agrément de la botanique est de pouvoir étudier et connoître la nature autour de soi plutôt qu'aux Indes. J'ai été pourtant assez heureux pour pouvoir insérer dans le petit recueil que j'ai eu l'honneur de vous envoyer quelques plantes curieuses, et entre autres le vrai papier, qui jusqu'ici n'étoit point connu en France, pas même de M. de Jussieu. Il est vrai que je n'ai pu vous envoyer qu'un brin bien misérable, mais c'en est assez pour distinguer ce rare et précieux souchet. Voilà bien du bavardage; mais la botanique m'entraîne, et j'ai le plaisir d'en parler avec vous: accordez-moi, monsieur, un peu d'indulgence.

Je ne vous envoie que de vieilles mousses ; j'en ai vainement cherché de nouvelles dans la campagne. Il n'y en aura guère qu'au mois de février, parce que l'automne a été trop sec; encore faudra-t-il les chercher au loin. On n'en trouve guère autour de Paris que les mêmes répétées.

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Vous avez raison, madame la duchesse, de commencer la correspondance, que vous me faites l'honneur de me proposer, par m'envoyer des livres pour me mettre en état de la soutenir : mais je crains que ce ne soit peine perdue; je ne retiens plus rien de ce que je lis; je n'ai plus de mémoire pour les livres, il ne m'en reste que pour les personnes, pour les bontés qu'on a pour moi; et j'espère à ce titre profiter plus avec vos lettres qu'avec tous les livres de l'univers. Il en est un, madame, où vous savez si bien lire, et où je voudrois bien apprendre à épeler quelques mots après vous. Heureux qui sait prendre assez de goût à cette intéressante lecture pour n'avoir besoin d'aucune autre, et qui, méprisant les instructions des hommes, qui sont menteurs, s'attache à celles de la nature, qui ne ment point! Vous l'étudiez avec autant de plaisir que de succès; vous la suivez dans tous ses règnes; aucune de ses produc

tions ne vous est étrangère; vous savez assortir les fossiles, les minéraux, les coquillages, cultiver les plantes, apprivoiser les oiseaux : et que n'apprivoiseriez-vous pas ? Je connois un animal un peu sauvage qui vivroit avec grand plaisir dans votre ménagerie, en attendant l'honneur d'être admis un jour en momie dans votre cabinet.

J'aurois bien les mêmes goûts si j'étois en état de les satisfaire; mais un solitaire et un commençant de mon âge doit rétrécir beaucoup l'univers, s'il veut le connoître; et moi, qui me perds comme un insecte parmi les herbes d'un pré, je n'ai garde d'aller escalader les palmiers de l'Afrique ni les cèdres du Liban. Le temps presse, et, loin d'aspirer à savoir un jour la botanique, j'ose à peine espérer d'herboriser aussi-bien que les moutons qui passent sous ma fenêtre, et de savoir comme eux trier mon foin.

J'avoue pourtant, comme les hommes ne sont guère conséquens, et que les tentations viennent par la facilité d'y succomber, que le jardin de mon excellent voisin, M. de Granville, m'a donné le projet ambitieux d'en connoître les richesses: mais voilà précisément ce qui prouve que, ne sachant rien, je ne suis fait pour rien apprendre. Je vois les plantes, il me les nomme, je les oublie; je les revois, il me les renomme, je les oublie encore; et il ne résulte de tout cela que l'epreuve que nous faisons sans cesse, moi de sa complaisance, et lui de mon inca

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