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envoyé la liste, j'en ai omis une dont Linnæus n'a pas marqué la patrie, et que j'ai trouvée à Pila, c'est le rubia peregrina; je ne sais si vous l'avez aussi remarquée; elle n'est pas absolument rare dans la Savoie et dans le Dauphiné.

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Je suis ici dans un grand embarras pour le transport de mon bagage, consistant, en grande partie, dans un attirail de botanique. J'ai surtout, dans des papiers épars, un grand nombre de plantes sèches en assez mauvais ordre, et communes pour la plupart, mais dont cependant quelques-unes sont plus curieuses mais je n'ai ni le temps ni le courage de les trier, puisque ce travail me devient désormais inutile. Avant de jeter au feu tout ce fatras de paperasses, j'ai voulu prendre la liberté de vous en parler à tout hasard; et si vous étiez tenté de parcourir ce foin, qui véritablement n'en vaut pas peine, j'en pourrois faire une liasse qui vous parviendroit par M. Pasquet; car, pour moi, je ne sais comment emporter tout cela, ni qu'en faire. Je crois me rappeler, par exemple, qu'il s'y trouve quelques fougères, entre autres le polypodium fragrans, que j'ai herborisées en Angleterre, et qui ne sont pas communes partout. Si même la revue de mon herbier et de mes livres de botanique pouvoit vous amuser quelques momens, le tout pourroit être déposé chez vous, et vous le visiteriez à votre aise. Je ne doute pas que vous n'ayez la plupart de mes livres. Il peut cependant s'en trouver d'anglois, comme

Parkinson, et le Gérard émaculé, que peut-être n'avez-vous pas. Le Valerius Cordus est assez rare; j'avois aussi Tragus, mais je l'ai donné à M. Clappier.

Je suis surpris de n'avoir aucune nouvelle de M. Gouan, à qui j'ai envoyé les carex (1) de ce pays qu'il paroissoit désirer, et quelques autres petites plantes, le tout à l'adresse de M. de Saint-Priest, qu'il m'avoit donnée. Peut-être le paquet ne lui estil pas parvenu : c'est ce que je ne saurois vérifier, vu que jamais un seul mot de vérité ne pénètre à travers l'édifice de ténèbres qu'on a pris soin d'élever autour de moi. Heureusement les ouvrages des hommes sont périssables comme eux, mais la vérité est éternelle : post tenebras lux.

Agréez, monsieur, je vous supplie, mes plus sincères salutations.

LETTRE III.

Monquin, le 17270.

Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.

NE faites, monsieur, aucune attention à la bizarrerie de ma date; c'est une formule générale qui n'a nul trait à ceux à qui j'écris, mais seulement aux

(1) Je me souviens d'avoir mis par mégarde un nom pour un autre, carex vulpina, pour carex leporina.

honnêtes gens qui disposent de moi avec autant d'équité que de bonté. C'est, pour ceux qui se laissent séduire par la puissance et tromper par l'imposture, un avis qui les rendra plus inexcusables si, jugeant sur des choses que tout devroit leur rendre suspectes, ils s'obstinent à se refuser aux moyens que prescrit la justice pour s'assurer de la vérité.

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C'est avec regret que je vois reculer, par mon état et par la mauvaise saison, le moment de me rapprocher de vous. J'espère cependant ne pas tarder beaucoup encore. Si j'avois quelques graines qui valussent la peine de vous être présentées, je prendrois le parti de vous les envoyer d'avance, pour ne pas laisser passer le temps de les semer; mais j'avois fort peu de chose, et je le joignis avec des plantes de Pila, dans un envoi que je fis il y a quelmois à madame la duchesse de Portland, et qui n'a pas été plus heureux, selon toute apparence, que celui que j'ai fait à M. Gouan, puisque je n'ai aucune nouvelle ni de l'un ni de l'autre. Comme celui de madame de Portland étoit plus considérable, et que j'y avois mis plus de soin et de temps, je le regrette davantage; mais il faut bien que j'apprenne à me consoler de tout. J'ai pourtant encore quelques graines d'un fort beau seseli de ce pays, que j'appelle seseli Halleri, parce que je ne le trouve pas dans Linnæus. J'en ai aussi d'une plante d'Amérique, que j'ai fait semer dans ce pays avec d'autres graines qu'on m'avoit données, et qui seule a

réussi. Elle s'appelle gombaut dans les îles, et j'ai trouvé que c'étoit l'hibiscus esculentus; il a bien levé, bien fleuri; et j'en ai tiré d'une capsule quelques graines bien mûres, que je vous porterai avec le seseli, si vous ne les avez pas. Comme l'une de ces plantes est des pays chauds, et que l'autre grène fort tard dans nos campagnes, je présume que rien ne presse pour les mettre en terre, sans quoi je prendrois le parti de vous les envoyer.

Votre galium rotundifolium, monsieur, est bien lui-même à mon avis, quoiqu'il doive avoir la fleur blanche, et que le vôtre l'ait flave; mais comme il arrive à beaucoup de fleurs blanches de jaunir en séchant, je pense que les siennes sont dans le même cas. Ce n'est point du tout mon rubia peregrina, plante beaucoup plus grande, plus rigide, plus âpre, et de la consistance tout au moins de la garance ordinaire, outre que je suis certain d'y avoir vu des baies que n'a pas votre galium, et qui sont le caractère générique des rubia. Cependant je suis, je vous l'avoue, hors d'état de vous en envoyer un échantillon. Voici, là-dessus, mon histoire.

J'avois souvent vu en Savoie et en Dauphiné la garance sauvage, et j'en avois pris quelques échantillons. L'année dernière, à Pila, j'en vis encore; mais elle me parut différente des autres, et il me semble que j'en mis un specimen dans mon portefeuille. Depuis mon retour, lisant, par hasard, dans l'article rubia peregrina, que sa feuille n'avoit point

XII.

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de nervure en dessus, je me rappelai ou crus me rappeler que mon rubia de Pila n'en avoit point non plus; de là je conclus que c'étoit le rubia peregrina. En m'échauffant sur cette idée, je vins à conclure la même chose des autres garances que j'avois trouvées dans ces pays, parce qu'elles n'avoient d'ordinaire que quatre feuilles; pour que cette conclusion. fût raisonnable, il auroit fallu chercher les plantes et vérifier; voilà ce que ma paresse ne me permit point de faire, vu le désordre de mes paperasses, et le temps qu'il auroit fallu mettre à cette recherche. Depuis la réception, monsieur, de votre lettre, j'ai mis plus de huit jours à feuilleter tous mes livres et papiers l'un après l'autre, sans pouvoir retrouver ma plante de Pila, que j'ai peut-être jetée avec tout ce qui est arrivé pourri. J'en ai retrouvé quelquesunes des autres; mais j'ai eu la mortification d'y trouver la nervure bien marquée, qui m'a désabusé, du moins sur celles-là. Cependant ma mémoire, qui me trompe si souvent, me retrace si bien celle de Pila, que j'ai peine encore à en démordre, et je ne désespère pas qu'elle ne se retrouve dans mes papiers ou dans mes livres. Quoi qu'il en soit, figurez-vous dans l'échantillon ci-joint les feuilles un peu plus larges et sans nervure; voilà ma plante de Pila.

Quelqu'un de ma connoissance a souhaité d'acquérir mes livres de botanique en entier, et me demande même la préférence; ainsi je ne me prévaudrois point sur cet article de vos obligeantes offres.

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