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prétendent, mes contemporains, de l'être imaginaire et fantastique auquel il leur a plu de donner mon nom. Je finis donc mon bavardage avec ma feuille, vous priant d'excuser le désordre et le griffonnage d'un homme qui a perdu toute habitude d'écrire, et qui ne la reprend presque que pour vous. Je vous salue, monsieur, de tout mon cœur, et vous prie de ne pas m'oublier auprès de monsieur et madame de Fleurieu.

LETTRE IX.

A Paris, le 1773.

Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.

VOTRE Seconde lettre, monsieur, m'a fait sentir bien vivement le tort d'avoir tardé si long-temps à répondre à la précédente, et à vous remercier des plantes qui l'accompagnoient. Ce n'est pas que je n'aie été bien sensible à votre souvenir et à votre envoi; mais la nécessité d'une vie trop sédentaire et l'inhabitude d'écrire des lettres en augmentent journellement la difficulté, et je sens qu'il faudra renoncer bientôt à tout commerce épistolaire, même avec les personnes qui, comme vous, monsieur, me l'ont toujours rendu instructif et agréable.

Mon occupation principale et la diminution de mes forces ont ralenti mon goût pour la botanique,

au point de craindre de le perdre tout-à-fait. Vos lettres et vos envois sont bien propres à le ranimer. Le retour de la belle saison y contribuera peut-être : mais je doute qu'en aucun temps ma paresse s'accommode long-temps de la fantaisie des collections. Celle de graines qu'a faite M. Thouin avoit excité mon émulation, et j'avois tenté de rassembler en petit autant de diverses semences et de fruits, soit indigènes, soit exotiques, qu'il en pourroit tomber sous ma main : j'ai fait bien des courses dans cette intention. J'en suis revenu avec des moissons assez raisonnables; et beaucoup de personnes obligeantes ayant contribué à les augmenter, je me suis bientôt senti, dans ma pauvreté, de l'embarras des richesses ; car, quoique je n'aie pas en tout un millier d'espèces, l'effroi m'a pris en tentant de ranger tout cela; et la place d'ailleurs me manquant pour y mettre une espèce d'ordre, j'ai presque renoncé à cette entreprise; et j'ai des paquets de graines qui m'ont été envoyés d'Angleterre et d'ailleurs, depuis assez long-temps, sans que j'aie encore été tenté de les ouvrir. Ainsi, à moins que cette fantaisie ne se ranime, elle est, quant à présent, à peu près éteinte.

Ce qui pourra contribuer, avec le goût de la promenade qui ne me quittera jamais, à me conserver celui d'un peu d'herborisation, c'est l'entreprise des petits herbiers en miniature que je me suis chargé de faire pour quelques personnes, et qui, quoique uniquement composés de plantes des environs de

Paris, me tiendront toujours un peu en haleine pour les ramasser et les dessécher.

Quoi qu'il arrive de ce goût attiédi, il me laissera toujours des souvenirs agréables des promenades champêtres dans lesquelles j'ai eu l'honneur de vous suivre, et dont la botanique a été le sujet; et, s'il me reste de tout cela quelque part dans votre bienveillance, je ne croirai pas avoir cultivé sans fruit la botanique, même quand elle aura perdu pour moi ses attraits. Quant à l'admiration dont vous me parlez, méritée ou non, je ne vous en remercie pas, parce que c'est un sentiment qui n'a jamais flatté mon cœur. J'ai promis à M. de Châteaubourg que je vous remercîrois de m'avoir procuré le plaisir d'apprendre par lui de vos nouvelles, et je m'acquitte avec plaisir de ma promesse. Ma femme est très-sensible à l'honneur de votre souvenir, et nous vous prions, monsieur, l'un et l'autre, d'agréer nos remercîmens et nos salutations.

LETTRE

A M. L'ABBÉ DE PRAMONT.

N. B. L'abbé de Pramont avoit confié à Rousseau une collection de planches gravées représentant des plantes, et accompagnées d'un texte explicatif pour chaque plante. Rousseau les a rangées suivant la méthode de Linnée, et a joint au texte des notes en assez grand nombre. Ce recueil en deux volumes grand in-folio contenant 398 planches, et ayant pour titre la Botanique mise à la portée de tout le monde, par les sieur et dame Regnault, Paris, 1774 (*), est actuellement déposé à la bibliothéque de la Chambre des Députés. En tête est, avec l'original de la lettre qu'on va lire, une Table raisonnée et méthodique faite par Rousseau avec beaucoup de soin.

Vos

A Paris, le 13 avril 1778.

os planches gravées, monsieur, sont revues et arrangées comme vous l'avez désiré. Vous êtes prié de vouloir bien les faire retirer. Elles pourroient se gâter dans ma chambre, et n'y feroient plus qu'un embarras, parce que la peine que j'ai eue à les arranger me fait craindre d'y toucher derechef. Je dois vous prévenir, monsieur, qu'il y a quelques

(*) Il forme maintenant trois volumes; mais à l'époque où Rousseau l'eut entre les mains, on n'avoit encore publié que les deux premiers.

feuilles du discours extrêmement barbouillées et presque inlisibles; difficiles même à relier sans rogner de l'écriture que j'ai quelquefois prolongée étourdiment sur la marge. Quoique j'aie assez rarement succombé à la tentation de faire des remarques, l'amour de la botanique et le désir de vous complaire m'ont quelquefois emporté. Je ne puis écrire lisiblement que quand je copie, et j'avoue que je n'ai pas eu le courage de doubler mon travail en faisant des brouillons. Si ce griffonnage vous dégoûtoit de votre exemplaire après l'avoir parcouru, je vous offre, monsieur, le remboursement, avec l'assurance qu'il ne restera pas à ma charge. Agréez, monsieur, mes très-humbles salutations.

La Table méthodique dont il vient d'être parlé, est précédée d'un court préliminaire et terminée par cette observation :

« La méthode de Linnæus n'est pas, à la vérité, >> parfaitement naturelle. Il est impossible de réduire >> en un ordre méthodique et en même temps vrai et » exact les productions de la nature qui sont si va>> riées et qui ne se rapprochent que par des gra>> dations insensibles. Mais un système de botanique » n'est point une histoire naturelle : c'est une table, >> une méthode qui, à l'aide de quelques caractères >> remarquables et à peu près constans, apprend à » rassembler les végétaux connus et à y ramener les »> nouveaux individus qu'on découvre. Ce moyen est

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