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termes les plus flatteurs, et lui assigna une pension qui doit passer pour une preuve éclatante de la piété et de la générosité de ce prince, mais qui n'ôte point à madame de Warens le mérite d'avoir abandonné de grands biens et un rang brillant dans sa patrie, pour , pour suivre la voix du Seigneur, et se livrer sans réserve à sa providence. Il eut même la bonté de lui offrir d'augmenter cette pension de sorte qu'elle pût figurer avec tout l'éclat qu'elle souhaiteroit, et de lui procurer la situation la plus gracieuse, si elle vouloit se rendre à Turin, auprès de la reine. Mais madame de Warens n'abusa point des bontés du monarque: elle alloit acquérir les plus grands biens en participant à ceux que l'Église répand sur les fidèles; et l'éclat des autres n'avoit désormais plus rien qui pût la toucher. C'est ainsi qu'elle s'en explique à M. de Bernex; et c'est sur ces maximes de détachement et de modération qu'on l'a vue se conduire constamment depuis lors.

Enfin le jour arriva où M. de Bernex alloit assurer à l'Église la conquête qu'il lui avoit acquise. Il reçut publiquement l'abjuration de madame de Warens, et lui administra le sacrement de confirmation le 8 septembre 1726, jour de la Nativité de NotreDame, dans l'église de la Visitation, devant la relique de saint François de Sales. Cette dame eut l'honneur d'avoir pour marraine, dans cette cérémonie, madame la princesse de Hesse, sœur de la princesse de Piémont, depuis reine de Sardaigne. Ce fut un

spectacle touchant de voir une jeune dame d'une naissance illustre, favorisée des grâces de la nature et enrichie des biens de la fortune, et qui, peu de temps auparavant, faisoit les délices de sa patrie, s'arracher du sein de l'abondance et des plaisirs, pour venir déposer au pied de la croix du Christ l'éclat et les voluptés du monde, et y renoncer pour jamais. M. de Bernex fit à ce sujet un discours trèstouchant et très-pathétique : l'ardeur de son zèle lui prêta ce jour-là de nouvelles forces; toute cette nombreuse assemblée fondit en larmes; et les dames, baignées de pleurs, vinrent embrasser madame de Warens, la féliciter, et rendre grâces à Dieu avec elle de la victoire qu'il lui faisoit remporter. Au reste, on a cherché inutilement, parmi tous les papiers de feu M. de Bernex, le discours qu'il prononça en cette occasion, et qui, au témoignage de tous ceux qui l'entendirent, est un chef-d'œuvre d'éloquence; et il y a lieu de croire que, quelque beau qu'il soit, il a été composé sur-le-champ et sans préparation.

pas

Depuis ce jour-là, M. de Bernex n'appela plus madame de Warens que sa fille, et elle l'appeloit son père. Il a en effet toujours conservé pour elle les bontés d'un père; et il ne faut s'étonner qu'il regardât avec une sorte de complaisance l'ouvrage de ses soins apostoliques, puisque cette dame s'est toujours efforcée de suivre, d'aussi près qu'il lui a été possible, les saints exemples de ce prélat, soit dans son détachement des choses mondaines, soit

dans son extrême charité envers les pauvres; deux vertus qui définissent parfaitement le caractère de madame de Warens.

Le fait suivant peut entrer aussi parmi les preuves qui constatent les actions miraculeuses de M. de

Bernex.

Au mois de septembre 1729, madame de Warens, demeurant dans la maison de M. de Boige, le feu prit au four des cordeliers, qui donnoit dans la cour de cette maison, avec une telle violence, que ce four, qui contenoit un bâtiment assez grand, entièrement plein de fascines et de bois sec, fut bientôt embrasé. Le feu, porté par un vent impétueux, s'attacha au toit de la maison, et pénétra même par les fenêtres dans les appartemens. Madame de Warens donna aussitôt ses ordres pour arrêter les progrès du feu, et pour faire transporter ses meubles dans son jardin. Elle étoit occupée à ces soins, quand elle apprit que M. l'évêque étoit accouru au bruit du danger qui la menaçoit, et qu'il alloit paroître à l'instant; elle fut au-devant de lui. Ils entrèrent ensemble dans le jardin; il se mit à genoux, ainsi que tous ceux qui étoient présens, du nombre desquels j'étois, et commença à prononcer des oraisons avec cette ferveur qui étoit inséparable de ses prières. L'effet en fut sensible; le vent qui portoit les flammes pardessus la maison jusque près du jardin, changea tout à coup, et les éloigna si bien, que le four, quoique contigu, fut entièrement consumé, sans que la mais

son eût d'autre mal que le dommage qu'elle avoit reçu auparavant. C'est un fait connu de tout Annecy, et que moi, écrivain du présent mémoire, ai vu de mes propres yeux.

M. de Bernex a continué constamment à prendre le même intérêt dans tout ce qui regardoit madame de Warens. Il fit faire le portrait de cette dame, disant qu'il souhaitoit qu'il restât dans sa famille, comme un monument honorable d'un de ses plus heureux travaux. Enfin, quoiqu'elle fût éloignée de lui, il lui a donné, peu de temps avant que de mourir, des marques de son souvenir, et en a même laissé dans son testament. Après la mort de ce prélat, madame de Warens s'est entièrement consacrée à la solitude et à la retraite, disant qu'après avoir perdu son père rien ne l'attachoit plus au monde.

NOTES

EN REFUTATION DE L'OUVRAGE D'HELVÉTIUS, INTITULÉ DE L'ESPRIT.

ROUSSEAU

AVIS DE L'ÉDITEUR.

LOUSSEAU prêt à quitter l'Angleterre, et voulant se défaire de ses livres, avoit prié son hôte, M. Davenport, de lui trouver un acheteur. « Parmi ces livres, lui écrivoit-il en » février 1767, il y a le livre de l'Esprit, in-4°, première » édition, qui est rare, et où j'ai fait quelques notes aux >> marges; je voudrois bien que ce livre ne tombât qu'entre » des mains amies. » A cet égard son désir a été pleinement satisfait. Il traita directement de ses livres avec un François nommé Dutens, établi depuis long-temps à Londres, connu en France par quelques écrits, et avec lequel Rousseau a été quelque temps en correspondance. Dutens nous apprend lui-même, dans une brochure dont il sera ci-après parlé, qu'il acheta tous ces livres, au nombre d'environ mille volumes, moyennant une rente de dix livres sterling, et que ce fut cet exemplaire de l'ouvrage d'Helvétius qui le détermina principalement à cette acquisition; mais Rousseau, dit-il, « ne consentit à me les vendre qu'à condition que, » pendant sa vie, je ne publierois point les notes que je » pourrois trouver sur les livres qu'il me vendoit, et que, >> lui vivant, l'exemplaire du livre de l'Esprit ne sortiroit » point de mes mains. »

« Il paroit, dit encore Dutens, qu'il avoit entrepris de

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