Images de page
PDF
ePub

LL

y

LA REINE

FANTASQUE,

CONTE.

avoit autrefois un roi qui aimoit son peuple.... Cela commence comme un conte de fée, interrompit le druïde. C'en est un aussi, répondit Jalamir. Il y avoit donc un roi qui aimoit son peuple, et qui, par conséquent, en étoit adoré. Il avoit fait tous ses efforts pour trouver des ministres aussi bien intentionnés que lui; mais, ayant enfin reconnu la folie d'une pareille recherche, il avoit pris le parti de faire par lui-même toutes les choses qu'il pouvoit dérober à leur malfaisante activité. Comme il étoit fort entêté du bizarre projet de rendre ses sujets heureux, il agissoit en conséquence; et une conduite si singulière lui donnoit parmi les grands un ridicule ineffaçable. Le peuple le bénissoit; mais, à la cour, il passoit pour un fou. A cela près, il ne manquoit pas de mérite: aussi s'appeloit-il Phénix.

Si ce prince étoit extraordinaire, il avoit une femme qui l'étoit moins. Vive, étourdie, capricieuse, folle par la tête, sage par le cœur, bonne par tempérament, méchante par caprice; voilà, en quatre mots, le portrait de la reine. Fantasque étoit son nom: nom célèbre qu'elle avoit reçu de ses ancêtres

en ligne féminine, et dont elle soutenoit dignement l'honneur. Cette personne si illustre et si raisonnable étoit le charme et le supplice de son cher époux; car elle l'aimoit aussi fort sincèrement, peut-être à cause de la facilité qu'elle avoit à le tourmenter. Malgré l'amour réciproque qui régnoit entre eux, ils passèrent plusieurs années sans pouvoir obtenir aucun fruit de leur union. Le roi en étoit pénétré de chagrin, et la reine s'en mettoit dans des impatiences dont ce bon prince ne se ressentoit pas tout seul: elle s'en prenoit à tout le monde de ce qu'elle n'avoit point d'enfans. Il n'y avoit pas un courtisan à qui elle ne demandât étourdiment quelque secret pour en avoir, et qu'elle ne rendît responsable du

mauvais succès.

Les médecins ne furent point oubliés; car la reine avoit pour eux une docilité peu commune, et ils n'ordonnoient pas une drogue qu'elle ne fît préparer très-soigneusement, pour avoir le plaisir de la leur jeter au nez à l'instant qu'il la falloit prendre. Les derviches eurent leur tour; il fallut recourir aux neuvaines, aux vœux, surtout aux offrandes. Et malheur aux desservans des temples où sa majesté alloit en pèlerinage! elle fourrageoit tout; et, sous prétexte d'aller respirer un air prolifique, elle ne manquoit jamais de mettre sens dessus dessous toutes les cellules des moines. Elle portoit aussi leurs reliques, et s'affubloit alternativement de tous leurs différens équipages: tantôt c'étoit un cordon blanc,

tantôt une ceinture de cuir, tantôt un capuchon, tantôt un scapulaire; il n'y avoit sorte de mascarade monastique dont sa dévotion ne s'avisât; et comme elle avoit un petit air éveillé qui la rendoit charmante sous tous ces déguisemens, elle n'en quittoit aucun sans avoir eu soin de s'y faire peindre.

Enfin, à force de dévotions si bien faites, à force de médecines si sagement employées, le ciel et la terre exaucèrent les vœux de la reine; elle devint grosse au moment qu'on commençoit à en désespérer. Je laisse à deviner la joie du roi et celle du peuple. Pour la sienne, elle alla, comme toutes ses passions, jusqu'à l'extravagance : dans ses transports, elle cassoit et brisoit tout; elle embrassoit indifféremment tout ce qu'elle rencontroit, hommes, femmes, courtisans, valets : c'étoit risquer de se faire étouffer que se trouver sur son passage. Elle ne connoissoit point, disoit-elle, de ravissement pareil à celui d'avoir un enfant à qui elle pût donner le fouet tout à son aise dans ses momens de mauvaise humeur.

Comme la grossesse de la reine avoit été longtemps inutilement attendue, elle passoit pour un de ces événemens extraordinaires dont tout le monde veut avoir l'honneur. Les médecins l'attribuoient à leurs drogues, les moines à leurs reliques, le peuple à ses prières, et le roi à son amour. Chacun s'intéressoit à l'enfant qui devoit naître, comme si c'eût été le sien; et tous faisoient des vœux sincères pour l'heureuse naissance du prince, car on en vouloit

un; et le peuple, les grands et le roi réunissoient leurs désirs sur ce point. La reine trouva fort mauvais qu'on s'avisât de lui prescrire de qui elle devoit accoucher, et déclara qu'elle prétendoit avoir une fille, ajoutant qu'il lui paroissoit assez singulier que quelqu'un osât lui disputer le droit de disposer d'un bien qui n'appartenoit incontestablement qu'à elle seule.

Phénix voulut en vain lui faire entendre raison: elle lui dit nettement que ce n'étoient point là ses affaires, et s'enferma dans son cabinet pour bouder; occupation chérie à laquelle elle employoit régulièrement au moins six mois de l'année. Je dis six mois, non de suite, c'eût été autant de repos pour son mari, mais pris dans des intervalles propres à le chagriner.

Le roi comprenoit fort bien que les caprices de la mère ne détermineroient pas le sexe de l'enfant ; mais il étoit au désespoir qu'elle donnât ainsi ses travers en spectacle à toute la cour. Il eût sacrifié tout au monde pour que l'estime universelle eût justifié l'amour qu'il avoit pour elle; et le bruit qu'il fit mal à propos en cette occasion ne fut pas la seule folie que lui eût fait faire le ridicule espoir de rendre sa femme raisonnable.

Ne sachant plus à quel saint se vouer, il eut recours à la fée Discrète son amie, et la protectrice de son royaume. La fée lui conseilla de prendre les voies de la douceur, c'est-à-dire, de demander ex

la

cuse à la reine. Le seul but, lui dit-elle, de toutes les fantaisies des femmes est de désorienter un peu morgue masculine, et d'accoutumer les hommes à l'obéissance qui leur convient. Le meilleur moyen que vous ayez de guérir les extravagances de votre femme est d'extravaguer avec elle. Dès le moment que vous cesserez de contrarier ses caprices, assurez-vous qu'elle cessera d'en avoir, et qu'elle n'attend, pour devenir sage, que de vous avoir rendu bien complétement fou. Faites donc les choses de bonne grâce, et tâchez de céder en cette occasion, pour obtenir tout ce que vous voudrez dans une autre. Le roi crut la fée; et, pour se conformer à son avis, s'étant rendu au cercle de la reine, il la prit

part, lui dit tout bas qu'il étoit fàché d'avoir contesté contre elle mal à propos, et qu'il tâcheroit de la dédommager à l'avenir, par sa complaisance, de l'humeur qu'il pouvoit avoir mise dans ses discours en disputant impoliment contre elle.

Fantasque, qui craignit que la douceur de Phénix ne la couvrît seule de tout le ridicule de cette affaire, se hâta de lui répondre que sous cette excuse ironique elle voyoit encore plus d'orgueil que dans les disputes précédentes; mais que, puisque les torts d'un mari n'autorisoient point ceux d'une femme, elle se hâtoit de céder en cette occasion comme elle avoit toujours fait. Mon prince et mon époux, ajoutat-elle tout haut, m'ordonne d'accoucher d'un garçon, et je sais trop bien mon devoir pour manquer

« PrécédentContinuer »