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LA MARQUISE.
Oui.

LE MARQUIS.

Belles railleries!

ALCIDON.

Il est fait tout de même ; il vient le nez au vent,
Les pieds en parenthèse, et l'épaule en avant;
Sa perruque, qui suit le côté qu'il avance,
Plus pleine de lauriers qu'un jambon de Mayence;
Les mains sur les côtés, d'un air peu négligé,
La tête sur le dos, comme un mulet chargé ;
Les yeux fort égarés; puis, débitant ses rôles,
D'un hoquet éternel sépare ses paroles;
Et lorsque l'on lui dit : « Et commandez ici, »
(Il répond :)

<< Connaissez-vous César, de lui parler ainsi?
>> Que m'offrirait de pis la fortune enuemie,
» A moi qui tiens le sceptre égal à l'infamie?

1663.

Ce portrait, si nous le
comparons à ceux que les.
peintres et les écrivains contemporains nous ont
laissés de Molière, offre plus d'un trait de res-
semblance. La couronne de lauriers se trouve
dans presque tous, et le hoquet n'a point été
oublié non plus par les historiens du théâtre. Il
avait contracté ce tic en s'efforçant de se rendre
maître d'une excessive volubilité de prononcia-
tion. Mais, dans la comédie, son art infini dis-
simulait ce défaut autant que possible '. « Les an-
ciens, disait un journal peu de temps après sa
» mort, n'ont jamais eu d'acteur égal à celui dont

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1. Grimarest, p. 207 et 208.

1663. »> nous pleurons aujourd'hui la perte; et Roscius, > ce fameux comédien de l'antiquité, lui aurait » cédé le premier rang, s'il eût vécu de son temps. » C'est avec justice qu'il le méritait : il était tout >> comédien depuis les pieds jusqu'à la tête. Il > semblait qu'il eût plusieurs voix, tout parlait >> en lui; et, d'un pas, d'un sourire, d'un clin» d'œil et d'un remuement de tête, il faisait plus >> concevoir de choses que le plus grand parleur » n'aurait pu dire en une heure'. » « Il n'était ni >> trop gras, ni trop maigre, dit un autre contem» porain. Il avait la taille plus grande que petite, » le port noble, la jambe belle; il marchait gra»>vement, avait l'air très-sérieux, le nez gros, la >> bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, >> les sourcils noirs et forts, et les divers mouve» mens qu'il leur donnait lui rendaient la physio>> nomie extrêmement comique '. »

Bien que Molière eût tout l'avantage dans ses attaques avec les comédiens rivaux, il ne voyait pas sans dépit leurs représentations plus suivies que les siennes et les auteurs tragiques leur confier de préférence leurs ouvrages. Il résolut de

1. Oraison funèbre de Molière, MERCURE GALANT, t. IV, Ire année, p. 302,

2. Voir le Mercure de France; mai 1740, p. 840; Lettre sur la vie et les ouvrages de Molière et sur les comédiens de son

temps

monter une tragédie qui pût faire valoir le talent 1663. de ses acteurs; mais, n'ayant aucune pièce reçue, il songea à Racine qui, l'année précédente, lui avait apporté son Théagène et Chariclée. Il l'engagea à traiter le sujet de la Thébaïde pour lequel Molière eut toujours, comme nous l'avons déjà vu, une prédilection souvent malheureuse'. Le jeune poète se mit à l'ouvrage. La GrangeChancel raconte avoir entendu des amis de Racine assurer que, pressé par le temps, il emprunta, sans presque y rien changer, deux récits à l'Antigone de Rotrou '. D'autres écrivains ont dit qu'il ne s'était permis cet emprunt que pour ne pas avoir l'air de lutter avec celui que Corneille appelait son maître, et de refaire ce qui était alors réputé inimitable 3. Mais, ce qui paraît constant, c'est que Molière, peu satisfait du parti qu'avait pris Racine, l'encouragea à avoir confiance en ses propres forces, et le détermina à ne rien devoir qu'à lui-même : la pièce, jouée en 1664 et imprimée peu après, n'offrait plus de témoignage de cette ressemblance répréhensible (12).

1. Racine dit en effet, dans la Préface de sa Thébaïde, que ce sujet lui fut proposé.

2. Préface des OEuvres de La Grange-Chancel, p. 38.—Histoire du Théâtre français, tom. IX, p. 305, note.

3. OEuvres de J. Racine, Lefèvre, 1820, t. I., p. xxij, note.

1663.

Le Roi ayant créé, en 1663, des pensions pour un certain nombre d'hommes de lettres, n'oublia point Molière dans cet acte de munificence. Dans la liste que l'on dressa des élus, on fit suivre chaque nom d'une note où était apprécié le talent de l'auteur pensionné. Ces notes et la bizarre répartition des sommes font de cette pièce un renseignement curieux pour l'histoire littéraire. La postérité n'a pas ratifié l'égalité que le surintendant des finances établissait entre l'abbé de Pure et Molière, et l'immense supériorité qu'il accordait à Mézeray, à Menage, à Benserade, à Chapelain, à Cassagne et à l'abbé Cottin, sur l'auteur de l'École des Femmes, de l'École des Maris, et des Précieuses (15). Celui-ci adressa au Roi un remercîment en vers pleins de mouvement et de comique qui prouve qu'il savait animer les moindres jeux de son imagination.

Vers la fin de cette même année, il se trouva en butte à des calomnies dont une réputation moins bien établie que la sienne n'eût peut-être triomphé qu'avec peine. Montfleuri, dont nous avons rapporté les débats avec lui, n'était que faiblement consolé de son injure. Il voyait bien que la pièce de son fils était mauvaise; aussi regardait-il, avec assez de raison, sa vengeance comme incomplète. Malheureusement pour sa cause comme pour sa gloire, il crut que la meil

leure réponse qu'il pût faire à son antagoniste 1663. était de prendre contre lui le rôle infâme de calomniateur: il présenta au Roi une requête dans laquelle il l'accusait d'avoir épousé sa propre fille (14).

Cette horrible accusation se fondait en partie sur ce que quelques personnes s'étaient persuadé alors (et tout le monde le croyait encore naguère) qu'Armande Béjart, femme de Molière, était fille de Madeleine Béjart. On pensait que c'était elle qui avait été baptisée, le 11 juillet 1638, comme étant née du commerce illégitime du comte de Modène avec mademoiselle Bé

jart l'aînée. Mais Montfleuri ne manqua pas d'affirmer que cet enfant, dont le comte de Modène avait bien voulu se reconnaître le père, n'était qu'un fruit secret des liaisons de Molière avec Madeleine Béjart. Aujourd'hui que, grâces à des recherches nouvelles, nous possédons l'acte de mariage de celui-ci d'où il résulte clairement que sa femme est sœur et non pas fille de Madeleine Béjart 1, la fausseté de l'accusation de Montfleuri devient évidente; mais nous croyons pouvoir assurer que, du temps de Molière, elle dut le paraître tout autant, non-seulement à ceux qui avaient été à même d'apprécier son caractère,

1. Voir cet acte, note 2 du livre II.

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