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ARTICLE II.

De la fin du mystère de l'Incarnation.

338. L'Incarnation a une double fin, le salut des hommes et la gloire de Dieu. Les anges, annonçant la naissance du Sauveur aux bergers de Bethleem, entonnèrent ce cantique : « Gloire à Dieu au « plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne « volonté! Gloria in altissimis Deo, et in terra pax hominibus « bonæ voluntatis (1) ! » Mais la fin prochaine, le motif principal de l'Incarnation, est la rédemption du genre humain : c'est pourquoi le Verbe fait chair, Jésus-Christ, est appelé le Sauveur du monde. Dieu, dit saint Jean, a tellement aimé le monde, qu'il a donné «son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. Car il n'a pas envoyé son Fils dans « le monde pour condamner le monde, mais afin que le monde « soit sauvé par son Fils (2). Le Fils de l'homme est venu pour « chercher et sauver ce qui avait péri par le péché (3). C'est une « vérité certaine, et digne d'être reçue avec une entière déférence, « que Jésus-Christ est venu dans ce monde pour sauver les pécheurs (4). » Aussi nous confessons, avec les Pères de Nicée et de Constantinople, avec l'Église tout entière, que Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, est descendu du ciel, s'est incarné et s'est fait homme pour nous et pour notre salut: propter nos homines et propter nostram salutem (5). Les Pères semblent même dire que, sans la chute de l'homme, l'Incarnation du Verbe n'aurait pas eu lieu (6); ce qui s'accorde avec ce que chante l'Église le samedi saint, au sujet du péché d'Adam : « O heureuse « faute qui a mérité d'avoir un tel et aussi grand Rédempteur!

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(1) Saint Luc, c. II, v. 14. — (2) Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret: ut omnis qui credit in eum, non pereat, sed habeat vitam æternam.. Non enim misit Deus Filium suum in mundum, ut judicet mundum, sed ut salvetur mundus per ipsum. Saint Jean, c. Iн, v. 16 et 17. — (3) Venit Filius hominis quærere et salvum facere quod perierat. Saint Luc, c. xix, v 10. – (4) Fidelis sermo et omni acceptione dignus quod Christus Jesus venit in hunc mundum peccatores salvos facere. Ire épître à Timothée, c. 1, v. 15. — (5) Symbole de Nicée et de Constantinople. — (6) Saint Irénée, liv. v contre les hérésies, c. XIV; saint Athanase, discours II, alias III, contre les ariens; saint Grégoire de Nazianze, discours xxxvi; saint Basile, homélie xxix; saint Chrysostome, homélie xxx1; saint Ambroise, liv. de l'Incarnation, c. vi; saint Augustin, en plusieurs endroits, etc

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« O felix culpa, quæ talem ac tantum meruit habere Redemp

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torem (1)! »

ARTICLE III.

De la nécessité de l'Incarnation.

389. Dieu est libre dans ses œuvres; il a fait tout ce qu'il a voulu, quand il l'a voulu et comme il l'a voulu, sans être astreint par aucune nécessité à vouloir ce qu'il a voulu. Il pouvait donc s'abstenir de créer le monde, et d'envoyer son Fils sur la terre. L'Incarnation n'est pas même nécessaire dans l'hypothèse de la création. L'homme aurait pu être en rapport avec Dieu, comme il y a été avant sa chute, sans la médiation du Verbe incarné. D'ailleurs, lors même que l'Incarnation n'aurait pas eu lieu, il eût toujours été vrai de dire que tout ce que le Créateur a fait est bon et très-bon, et cuncta erant valde bona (2); non d'une bonté ou perfection absolue, qui ne peut convenir qu'à Dieu, mais d'une bonté relative et à la fin qu'il se proposait, et aux moyens par lesquels il devait arriver à cette fin. Enfin, l'Incarnation nous est représentée dans l'Écriture, dans les ouvrages des Pères et les enseignements de l'Église, non comme une conséquence ou un appendice de la création, mais comme un bienfait surnaturel, comme un pur effet de la bonté, de la miséricorde, de l'amour de Dieu pour les hommes. « Dieu a fait paraître son amour pour nous, « dit saint Jean, en ce qu'il a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui. C'est en cela que consiste « cet amour, que ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais que <«< c'est lui qui nous a aimés le premier, et qu'il nous a envoyé son « Fils comme une victime de propitiation pour nos péchés (3). •

340. L'Incarnation n'était point non plus nécessaire de la part de Dieu, dans l'hypothèse de la chute de l'homme : autrement elle ne serait point, à proprement parler, un effet de la miséricorde ou de l'amour de Dieu pour les hommes. D'ailleurs, à quel titre eût-elle été nécessaire? En se révoltant contre le Créateur, la créature aurait-elle acquis des droits à ses bonnes grâces? Non, notre rédemption n'est point un acte de justice, mais un don gra

(1) Missel romain, Benedictio cerei. — (2) Genèse, c. I, v. 31. (3) In hoc apparuit charitas Dei in nobis, quoniam Filium suum unigenitum misit Deus in mundum, ut vivamus per eum. In hoc est charitas; non quasi nos dilexerimus Denn, sed quoniam ipse prior dilexit nos, et misit Filium suum propitiationem pro peccatis nostris. Ire épitre de saint Jean, c. iv, v. 9 et 10.

tuit; nous ne devons notre salut qu'à la miséricorde de Dieu : Secundum suam misericordiam salvos nos fecit (1); nous avons été justifiés gratuitement par sa grâce: Justificati gratis per gratiam ipsius (2). Mais il était bien conforme a la bonté de Dieu, bien digne de celui qui se plaft à manifester sa miséricorde à l'égard des pécheurs, de ne point abandonner les coupables à euxmêmes, et de leur donner les moyens de se rapprocher de lui, en se rapprochant lui-même de nous par l'incarnation de son Fils; c'est pourquoi il est dit : « Dieu a tellement aimé le monde, qu'il « a envoyé son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne « périsse point, et qu'il ait la vie éternelle : Sic enim Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret; ut omnis qui credit in eum non pereat, sed habeat vitam æternam (3). »

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341. Il se présente une autre question, toujours dans l'hypothèse de la chute de l'homme : Dieu ayant résolu, dans sa miséricorde, de sauver les hommes, aurait-il pu le faire sans le mystère de l'Incarnation? La plupart des théologiens pensent qu'il l'aurait pu les uns, en soutenant qu'il pouvait renoncer aux droits de sa justice, et faire gratuitement la remise de la dette du péché, sans exiger aucune satisfaction; les autres, en disant qu'avec des secours ou des moyens extraordinaires que Dieu aurait puisés dans les trésors de sa sagesse, l'homme aurait pu offrir à la justice divine une satisfaction plus ou moins parfaite, mais suffisante pour obtenir sa grâce. Mais on croit assez généralement que l'homme n'aurait pu offrir à Dieu une satisfaction parfaite ou proportionnée à l'injure du péché, sans l'intervention d'un médiateur qui fût Dieu lui-même. Il n'y a pas de proportion entre une satisfaction dont la valeur se tire de la dignité d'une simple créature, et l'injure dont la gravité se tire de la majesté du Créateur, pas plus qu'entre le fini et l'infini. « Si l'homme, dit saint Irénée, - n'eût été uni à Dieu par l'Incarnation, il n'aurait pu participer « à l'immortalité (4). » Suivant saint Augustin, « le genre humain «-n'eût pas été délivré, si le Verbe de Dieu n'eût daigné se faire « homme (5). » C'est aussi la pensée de saint Athanase (6), de saint Cyrille d'Alexandrie (7), de saint Léon le Grand (8) et de saint

(1) Epitre de saint Paul à Tite, c. шu, v. 5. (2) Épître aux Romains, c. 1, v. 24. (3) Saint Jean, c. III, v. 16. — (4) Nisi homo conjunctus fuisset Deo, non potuisset particeps fieri incorruptibilitatis. Liv. 1, contre les hérésies, C. XVIII. (5) Non liberaretur humanum genus, nisi Sermo Dei dignaretur esse humanus. Sermon CLXXIV. (6) Discours m, contre les ariens. — (7) Dialogue su. Incarnation. — (8) Sermon 1, sur la passion de Notre-Seigneur.

Anselme (1). Nous reconnaitrons donc, dans l'hypothèse d'une satisfaction parfaite pour le péché, la nécessité de l'Incarnation, de ce mystère ineffable, où se manifestent tout à la fois la miséricorde et la justice de Dieu sa miséricorde, en ce qu'il a envoyé son Fils par amour pour nous: Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suun Unigenitum daret (2); sa justice, en ce qu'il l'a envoyé pour en faire une victime de propitiation pour nos péchés : Misit Filium suum propitiationem pro peccatis (3). C'est dans ce mystère que la miséricorde et la justice se sont rencontrées, que la justice et la paix se sont embrassées, et que tout est rentré dans l'ordre Misericordia et veritas obviaverunt sibi; justitia et pax osculatæ sunt (4).

342. Nous pensons même, contrairement à l'opinion de certains scolastiques, que Dieu ne pouvait absolument sauver les hommes sans exiger une satisfaction quelconque. En effet, Dieu est juste, essentiellement et souverainement juste; et c'est parce qu'il est essentiellement juste, quoique libre dans la manière d'exercer sa justice, qu'il exige nécessairement ou que l'injure du péché soit réparée par le sacrifice de l'amour, ou qu'elle soit expiée par la pénitence, ou qu'elle soit punie. Il est nécessaire, comme le dit saint Anselme, que tout péché soit suivi ou d'une satisfaction ou du châtiment Necesse est ut omne peccatum satisfactio aut pœna sequatur (5). Dieu peut bien, parce qu'il est aussi infiniment miséricordieux, donner au pécheur le moyen de réparer ses fautes et de satisfaire à la justice divine, d'une manière ou d'une autre ; mais il ne peut le dispenser de toute réparation, comme il ne peut se dispenser lui-même de récompenser la vertu (6).

ARTICLE IV.

Le mystère de l'Incarnation future a-t-il été connu des Juifs et des gentils avant la prédication de l'Évangile ?

343. La tradition primitive touchant la chute de l'homme et la promesse d'un rédempteur s'est conservée chez tous les peuples: partout on en trouve quelques vestiges, quelques souvenirs plus ou moins altérés par les superstitions du paganisme (7). Mais il y a

(1) Cur Deus homo, liv. II, c. VII. tre de saint Jean, c. Iv, v. 10. homo, liv. 1, c. XV. tom. I, no 584, etc.

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(2) Saint Jean, c. ш, v. 16. — (3) 1re épi(4) Psaume LXXXIV, v. 11.

(5) Cur Deus (6) Voyez, ci-dessus, le n° 51 et le n° 55. — (7) Voyez le

DE L'INCARNation.

loin de là à la connaissance du mystère de l'Incarnation, qui a été caché, dit l'Apôtre, dans tous les siècles et tous les âges, et qui maintenant est découvert aux saints: Mysterium quod absconditum fuit a sæculis et generationibus; nunc autem manifestatum est sanctis ejus (1). Cependant les patriarches, les prophètes et les docteurs de la loi chez les Juifs ont connu, plus ou moins parfaitement, l'incarnation future du Fils de Dieu; David, Isaïe et autres prophètes ont décrit par avance les principales circonstances de la vie de Jésus-Christ. Quelques justes, même parmi les gentils, ont eu une connaissance particulière de ce mystère : « Je sais, disait Job, Iduméen, que mon rédempteur est vivant, et qu'à la fin des temps il me ressuscitera de la poussière du tom<< beau. Et je serai revêtu de nouveau de ma peau, et je verrai « Dieu dans ma chair; je le verrai moi-même de mes propres « yeux, et non un autre. Je porte cette espérance dans mon sein (2). › Quant aux philosophes de l'antiquité, rien n'annonce qu'ils aient réellement connu distinctement l'Incarnation, quoique plusieurs d'entre eux aient pu lire les prophètes.

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ARTICLE V.

Peut-on prouver le mystère de l'Incarnation par la raison ?

344. On ne peut prouver l'incarnation du Verbe par la raison; c'est un mystère qui n'est pas moins incompréhensible que le mystère de la sainte Trinité. On prouve par le fait qu'il est possible, puisqu'on prouve qu'il existe; mais on ne peut en prouver, philosophiquement, ni l'existence ni même la possibilité. Mais si la raison de l'homme ne peut démontrer que ce mystère est possible, elle ne peut non plus, par cela même que c'est un mystère, démontrer qu'il soit impossible. La distinction de la nature divine et de la nature humaine dans une mème personne, dans un seul et même sujet, dans un seul et même Christ, vrai Dieu et vrai homme, est un dogme que nous ne connaissons que par la révélation : c'est un mystère que nous devons adorer, en soumettant notre entendement à la parole de Dieu, qui ne peut ni se tromper ni tromper les hommes.

345. Cependant, instruits par la foi, nous trouvons, dans l'union de notre âme avec le corps, une image de l'Incarnation, comme

(1) Ire épître aux Colossiens, c. 1, v. 26.

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- (2) Job, c XIX, V. 25.

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