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avec une affection convenable, nous l'approuvons comme étant conforme aux règles catholiques des Pères (1). »

496. Cette approbation a donné une telle autorité au concile d'Grange, que les décisions de ce concile ont été reçues comme règles de foi dans toute l'Église catholique. Ces décisions sont fondées, comme on a pu le remarquer, sur l'autorité même des Écritures de l'Ancien et du Nouveau Testament. Elles sont d'ailleurs conformes en tout à la tradition. Nous pourrions, en effet, citer non-seulement saint Augustin, qui a été le fléau de l'hérésie pélagienne, mais encore saint Prosper, saint Cyrille d'Alexandrie, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, saint Grégoire de Nysse, saint Grégoire de Nazianze, saint Basile, saint Cyprien, Origène, Clément d'Alexandrie, et saint Justin (2). De tout temps on a reconnu, dans l'Église, que l'homme déchu ne peut se récon cilier avec Dieu sans le secours de la grâce.

497. Il est de foi que la grâce est nécessaire pour tout ce qui a rapport au salut; il est également de foi que la grâce est gratuite à tous égards. C'est gratuitement que l'homme a été destiné à la gloire du ciel, à la vision intuitive qui dépasse l'exigence de notre nature; c'est gratuitement que nous avons été sauvés par JésusChrist; c'est gratuitement, dit saint Paul, que nous avons été justifiés par la gráce (3); c'est gratuitement qu'il est mort pour tous les hommes, et qu'il a obtenu pour tous les grâces nécessaires au salut. Depuis la chute d'Adam, l'homme n'a pu, par les seules forces de la nature, se rapprocher, ni de loin ni de près, de son Créateur, dont il se trouve séparé par le péché. Il ne peut plus, na

(1) Quod etiam fraternitatem tuam, habita collatione cum quibusdam sacerdotibus Galliarum, juxta fidem gaudemus sensisse catholicam: in his scilicet, in quibus uno, sicut indicasti, consensu definierunt fidem, qua in Christo credimus, gratia Divinitatis præveniente conferri : adjicientes etiam, nihil esse prorsus secundum Deum boni, quod sine Dei quis gratia aut velle, aut incipere, aut operari, aut perficere possit, dicente ipso Salvatore nostro : Sine me nihil potestatis facere. Certum est enim atque catholicum, quia iu omnibus bonis, i quorum caput est fides, nolentes nos adhuc misericordia divina præveniat, ut velimus; insit nobis, cum volumus; sequatur etiam, ut in fide duremus, sicut David propheta dicit (Ps. 58): Deus meus, misericordia ejus præveniet me; et iterum (Ps. 88) : Misericordia mea cum ipso est; et alibi (Ps. 22): Misericordia ejus subsequetur me........ Quapropter affectu congruo salutantes, supra scriptam confessionem vestram consentaneam catholicis Patrum regulis approbamus. Lettre à Césaire d'Arles ; Labbe, tom. iv, col. 1688. — (2) Voyez l'ouvrage du docteur Hallier, Theologia græcorum Patrum vindicata circa universam materiam gratiæ, c. VIII. — · (3) Justificati gratis per gratiam ipsius, per redemptionem, quæ in Christo Jesu. Lettre aux Romains, c. 11, v. 24.

turellement, parvenir à sa fin dernière, qui est d'un ordre surnaturel, ni par conséquent mériter à aucun titre la grâce, qui est le seul moyen qui nous y conduit. Nous dirons donc avec l'Apôtre que la grâce est essentiellement gratuite; elle ne vient point de nos œuvres; autrement, la grâce ne serait plus une grâce: Si autem gralia, jam non ex operibus; alioquin gratia jam non est gratia (1).

498. Toutefois, quand on dit que la grâce est essentiellement gratuite, on ne prétend pas qu'une grâce ne soit jamais la récompense du bon usage que l'homme a fait d'une grâce précédente; car le juste peut, avec la grâce, mériter la vie éternelle, qui est elle-même une grâce, la plus grande de toutes les grâces: gratia autem Dei, vita æterna (2). La grâce est gratuite, en ce sens que, d'après l'ordre établi de Dieu, elle ne peut être la récompense des dispositions naturelles de l'homme, ou des efforts qu'il a faits de lui-même pour la mériter, comme le prétendaient les pélagiens. Ainsi, cette maxime, que Dieu ne refuse point la gráce à celui qui fait ce qu'il peut, ne signifie et ne peut signifier qu'une chose, savoir, que Dieu ne refuse point une seconde grâce à celui qui a fait ce qui dépendait de lui avec le secours d'une première grâce: Cum dicitur homo facere quod in se est, dicitur hoc esse in potestate hominis, secundum quod est motus a Deo (3).

ARTICLE II.

Peut-il y avoir des actions bonnes sans la grâce sanctifiante, ou sans la charité parfaite?

499. Il est de foi que toutes les actions qui précèdent la justification ne sont point mauvaises. « Si quelqu'un dit que toutes les « actions qui se font avant la justification, de quelque manière « qu'elles soient faites, sont de véritables péchés, ou qu'elles méritent la haine de Dieu, ou que plus on fait d'efforts pour se « disposer à la grâce, plus on pèche grièvement, qu'il soit ana« thème. » Ainsi s'exprime le concile de Trente (4).

500. Quelque temps après la tenue de ce concile, saint Pie V

(1) Epitre aux Romains, c. x1, v. 6. Thomas, Sum. part. 1, 2, quæst. 109

· (2) Ibidem, c. vI, V. 23. — (3) Saint

(4) Si quis dixerit, omnia opera quæ aute justificationem fiunt, quacumque ratione facta sint, vera esse peccata, vel odium Dei mereri; aut, quanto vehementius quis nititur se disponere ad gratiam, tanto eum gravius peccare· anathema sit. Sess. vi, can. vn.

et Grégoire XIII d'abord, puis Urbain VIII, ont condamné ces deux propositions de Baius: « Tout amour de la créature raison«nable est, ou cette cupidité vicieuse par laquelle on aime le

monde, ou cette louable charité par laquelle on aime Dieu, et ⚫ que le Saint-Esprit répand dans nos cœurs (1). L'obéissance qu'on « rend à la loi sans la charité n'est point une véritable obéis• sance (2). Tout ce que fait le pécheur ou l'esclave du péché, est « péché (3). » Il y a donc dans l'homme des mouvements qui n'émanent ni de la cupidité qui en ferait autant de péchés, ni de la charité parfaite qui les rendrait méritoires : il y a donc des actes véritablement bons, sans la grâce sanctifiante; une véritable obéissance à la loi, sans la charité; des actions non mauvaises en celui qui est en état de péché. Le pape Clément XI, par la constitution Unigenitus, a également condamné avec toute l'Église ces autres propositions de Quesnel : « Quand l'amour de Dieu ne règne plus « dans le cœur du pécheur, il est nécessaire que la cupidité char« nelle y règne, et corrompe toutes ses actions (4). La prière des impies est un nouveau péché; et ce que Dieu leur accorde est un « nouveau jugement de Dieu sur eux (5). »

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501. Non-seulement toutes les actions du pécheur ne sont pas criminelles aux yeux de Dieu; non-seulement elles peuvent être bonnes d'une bonté naturelle, mais elles peuvent même être surnaturellement bonnes. Suivant le dernier concile général, « les adultes se disposent à la justification, tandis que, excités et aidés « par la grâce divine, concevant la foi d'après ce qu'ils entendent, «< ils se portent librement vers Dieu, croyant comme vraies les ◄ choses qui ont été promises et révélées de Dieu, et, surtout, que « le pécheur est justifié de Dieu par sa grâce, en vue de la rédemptior qui est en Jésus-Christ; ensuite, tandis que se recon« naissant pécheurs, et passant de la crainte de la justice divine, par laquelle ils sont utilement troublés, à la considération de la ◄ miséricorde de Dieu, ils s'élèvent à l'espérance dans la confiance

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(1) Omnis amor creaturæ rationalis, aut vitiosa est cupiditas, qua mundus Miligitur, quæ a Joanne prohibetur ; aut laudabilis illa charitas, qua per Spiritum Sanctum in corde diffusa, Deus amatur. Prop. xxxvi. · (2) Non est vera legis obedientia, quæ fit sine charitate. Prop. xvi. — (3) Omne quod agit peccator, vel servus peccati, peccatum est. Prop. xxxv. — (4) Amore Dei in corde peccatorum non amplius regnante, necesse est ut in eo carnalis regnet cupi. ditas, omnesque actiones ejus corrumpat. Prop. XLV. - (5) Oratio impiorum est novum peccatum, et quod Deus illis concedit, est novum in eos judicium Prop. LIX.

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que Dieu leur sera propice à cause de Jésus-Christ, et com* mencent à l'aimer comme source de toute justice; et par cela ils s'éloignent du péché par une certaine haine et détestation, c'està-dire par cette pénitence qui doit précéder le baptême; enfin, tandis qu'ils se proposent de recevoir le baptême, de commencer « une nouvelle vie, et d'observer les commandements de Dieu. * Touchant cette préparation, il est écrit: Pour s'approcher de Dieu, il faut premièrement croire qu'il est, et qu'il récom• pense ceux qui le cherchent. Et: Mon fils, ayez confiance, « vos péchés vous sont remis. Et: La crainte du Seigneur chasse « le péché. Et Faites pénitence, et que chacun de vous soit « baptisé au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses pé« chés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. Et encore: Allez « donc, et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; et leur apprenant à ob« server toutes les choses que je vous ai commandées. Et enfin : Préparez vos cœurs au Seigneur (1). » Ces dispositions, savoir, la foi, la crainte de la justice divine, l'espérance en la miséricorde de Dieu, la détestation du péché, le désir du baptême, sont certainement des dispositions bonnes d'une bonté surnaturelle, puisqu'elles sont l'effet de la grâce: Excitali divina gratia, et adjuti; cependant elles précèdent la grâce sanctifiante, la charité parfaite; elles ne sont qu'une préparation à la justification: donc on peut faire des actes d'un ordre surnaturel sans la grâce sanotifiante, encore que ces actes ne soient point proprement méritoires pour le salut.

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502. D'ailleurs, si les actes du pécheur sont autant de péchés, si la prière de l'impie qui revient au Seigneur est rejetée de Dieu comme un acte d'impiété ; si la crainte des jugements de Dieu, la confiance en sa bonté, ne sont qu'hypocrisie et ne servent qu'à rendre le pénitent plus coupable, pourquoi donc les prophètes, pourquoi Jésus-Christ, les apôtres, les Pères de l'Église et l'Église elle-même, exhortent-ils les pécheurs à se convertir et à faire pénitence, en les menaçant de la justice du souverain juge, de la rigueur des peines de l'enfer et des châtiments éternels? Non, Dieu ne se joue point des hommes; il ne veut point la mort de l'impie; il n'imputera point à crime la crainte salutaire qu'il veut bien, dans sa miséricorde, imprimer lui-même au pécheur. 503. On nous objecte que saint Augustin ne reconnaît pas de

(1) Voyez le texte du concile de Trente dans la vi session, ch. VI.

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milieu entre l'amour de Dieu et l'amour de la créature, entre la cupidité charnelle et la charité parfaite: Regnat carnalis cupiditas, ubi non est Dei charitas (1). Mais il en est de cette objection comme de celles que font tous les novateurs; elle tombe devant l'autorité de l'Église : quand on connaît ses décisions, on est dispensé d'examiner si elles sont conformes ou non aux opinions de tel ou tel docteur en particulier. Quel que soit le mérite d'un docteur, il ne fera jamais autorité contre l'enseignement de l'Église. Aussi, le saint-siége a-t-il condamné la proposition suivante : Quand on trouve une doctrine clairement établie dans saint « Augustin, on peut absolument la soutenir et l'enseigner, sans « avoir égard à aucune bulle du pape (2). » Le saint évêque d'Hippone lui-même convient qu'on n'est pas toujours obligé de le suivre. « Ce n'est pas, dit-il, que je veuille qu'on adopte aveuglé<< ment tous mes sentiments; je souhaite, au contraire, qu'on ne « me suive que sur les points où l'on verra que je ne me suis pas trompé. C'est pour cela même que je m'occupe actuellement à « faire une révision exacte de tout ce que j'ai écrit, afin de faire « voir que je ne me suis point fait une loi de me suivre moi-même « en tout. Je crois que Dieu m'a fait la grâce de croître en lumières, « à mesure que j'ai écrit ; je n'ai point commencé par la perfection. « Et si, à l'âge où je suis, je prétendais y être arrivé, au point de « croire que je ne me trompe en rien de ce que j'écris, il y aurait « en cela plus de présomption que de vérité (3). »

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504. Mais il est possible de concilier les opinions de saint Augustin avec la croyance de l'Église. Pour ce qui regarde cette pensée, que la cupidité charnelle règne où la charité ne se trouve pas, on peut très-bien l'entendre en ce sens, qu'il n'y a pas de milieu pour nous entre l'état de grâce et l'état du péché mortel, entre la vie et la mort spirituelle; que l'homme est nécessairement esclave du démon par le péché, cu enfant de Dieu par la charité,

(1) Enchiridion, c. cxvii. — (2) Ubi quis invenerit doctrinam in Augustino clare fuudatam, illam absolute potest tenere et docere, non respiciendo ad ullam pontificis bullam. Décret d'Alexandre VIII, du 7 décembre 1690; prop. xxx. ·(3) Quamvis neminem velim sic amplecti omnia mea, ut me sequatur, nisi in iis in quibus me non errasse perspexerit. Nam propterea nunc facio libros, in quibus opuscula mea retractanda suscepi, ut nec meipsum in omnibus me secutum fuisse demonstrem; sed proficienter me existimo Deo miserante scripsisse, non tamen a perfectione cœpisse : quandoquidem arrogantius loquor quam verius, si vel nunc dico, me ad perfectionem sine ullo errore scribendi jam in ista ætate venisse. Du Don de persévérance, c. xxI. — Voye2 aussi la lettre cXLVIN® du même docteur, etc.

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