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756. Aussi, lorsque, vers le milieu du onzième siècle, Bérenger osa attaquer le dogme de la présence réelle, il souleva le monde chrétien contre lui. Adelman, évêque de Brescia, qui avait été son disciple; Lanfranc, prieur du monastère du Bec, et depuis archevêque de Cantorbéry; Hugues, évêque de Langres; Théoduin, évêque de Liége; Guitmund, qui de moine devint archevêque dans le royaume de Naples, s'élevèrent contre cette hérésie, reprochant à son auteur de scandaliser l'Église universelle, de se séparer de l'unité de notre mère la sainte Église, de vouloir troubler la république de la cité chrétienne; et les papes et les évêques le condamnèrent dans plus de quinze conciles, dont plusieurs se tinrent à Rome; et les prêtres, et les moines, et les simples fidèles, le traitèrent d'impie et d'hérétique. Frappé d'une réprobation générale, après bien des tergiversations il finit par renoncer entièrement à ses erreurs, reconnaissant le mystère ineffable contre lequel il avait blasphémé.

757. Nous avons d'ailleurs prouvé, par le témoignage des Pères grecs et des Pères latins, que le dogme de la présence réelle a été constamment reçu dans l'Église pendant les huit premiers siècles, sans interruption. Il faut donc reconnaître que ce dogme vient des apôtres, dont l'enseignement n'a pu, de l'aveu des protestants, s'écarter en rien de la doctrine de Jésus-Christ.

758. On nous fait une objection: on dit que les Pères désignent l'eucharistie sous le nom de pain, sous celui de signe, de figure, de type, d'image; ce qui, ajoute-t-on, ne peut s'accorder avec la croyance au dogme de la présence réelle. Nous conviendrons qu'on trouve ces expressions dans les Pères; mais on a tort d'en conclure qu'ils n'admettaient point la présence réelle. En effet, les Pères ont-ils dit que le sacrement de l'eucharistie ne contient que du pain et du vin; que le pain et le vin sont après la consécration ce qu'ils étaient auparavant? Non! Ont-ils dit que le pain et le vin ne sont qu'un signe, qu'une figure, qu'une image, qu'un type du corps et du sang de Jésus-Christ? Non! Mais ceux-là même qui ont employé les mots de signe, de figure, de type, d'image, comme saint Cyrille de Jérusalem, saint Ambroise, saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Gaudence, répètent que, par la consécration, le pain et le vin deviennent le corps et le sang de Jésus-Christ, sont faits le corps et le sang de Jésus-Christ, sont changés au corps et au sang de Jésus-Christ. Ce n'est donc point par l'usage que les Pères ont fait des mots de signe, de figure ou d'image, en parlant de l'eucharistie, que nous devons juger de

leur croyance; c'est au contraire par leur croyance qui nous est connue, qu'ils ont clairement exprimée, que nous devons déterminer le sens de ces mots, qui n'excluent pas plus par eux-mêmes la réalité du corps et du sang de Notre-Seigneur, que le mot de sacrement, qui de sa nature est un signe, ne l'exclut dans la bouche des catholiques. Il est des signes, des figures qui ne contiennent point la réalité des choses qui en sont l'objet, comme on le voit par les figures de l'Ancien Testament. Mais il est d'autres figures qui contiennent les dons qu'elles signifient: tels sont les sacrements de la nouvelle alliance, qui contiennent la grâce dont ils sont les signes; tel est, particulièrement, le sacrement de l'eucharistie, qui nous offre, en réalité, la chair et le sang de JésusChrist, comme étant vraiment la nourriture et le breuvage de notre âme, signifiés ou figurés par les espèces sensibles du pain et du vin: Caro mea vere est cibus, et sanguis meus vere est potus.

SIII. Preuve de la présence réelle, tirée de la croyance générale et constante de l'Église universelle.

759. On prouve le dogme de la présence réelle par la prescription, c'est-à-dire par la possession ou la croyance générale et constante de l'Église. Nous dirons donc : Ce que l'Église universelle croit et qu'elle a toujours cru ne peut venir que des apôtres, que de Jésus-Christ. Or, l'Église universelle croit et a toujours cru que le corps et le sang de Jésus-Christ sont réellement présents dans l'eucharistie; donc le dogme de la présence réelle nous vient des apôtres, de Jésus-Christ.

760. Premièrement, l'Église universelle croit que Notre-Seigneur est réellement présent dans l'eucharistie. De l'aveu de nog frères séparés, elle croit ce qu'elle croyait au seizième siècle, co qu'elle croyait lorsque Zwingle et Calvin ont commencé à dogmatiser. Or, au seizième siècle elle croyait au dogme de la présence réelle. Il était reçu alors dans l'Église catholique, chez les Latins, chez les Grecs, et ceux des Orientaux qui sont en communion avec le saint-siége, que Jésus-Christ est véritablement, réellement et substantiellement présent dans le sacrement de l'autel, ainsi qu'on le voit par les décrets du concile de Trente, auxquels ont souscrit tous les catholiques. Et ce qu'il est important de remarquer, c'était aussi la croyance des Grecs schismatiques. Les ennemis de la présence réelle ayant cherché à se faire des partisans chez les Grecs, Jérémie, patriarche de Constantinople, leur répondit nette

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ment, en 1570 : « C'est une chose décidée par le jugement de l'É« glise, que, dans la cène, après la consécration et la bénédiction, « le pain se trouve changé au corps même de Jésus-Christ, et le « vin en son sang, par la vertu du Saint-Esprit.... Le propre corps, « le corps véritable de Jésus-Christ est contenu sous les espèces « du pain et du vin. » Et Cyrille Lucar, un des successeurs de Jérémie, ayant osé publier une profession de foi contraire à cette déclaration, fut anathématisé par le concile de Constantinople de 1638, où se trouvèrent, avec le patriarche de cette ville, le patriarche de Jérusalem, celui d'Alexandrie, et vingt-trois évêques d'Orient. Il fut aussi condamné par un autre concile de Constantinople, en 1642. Les conciles de Jérusalem de 1668, et de Bethléem de 1672, se sont également déclarés en faveur de la présence réelle. D'ailleurs, les liturgies de l'Église grecque ne laissent aucun doute sur ce point; elles s'accordent parfaitement avec les liturgies de l'Église latine. Enfin, nous trouvons la même croyance dans les écrits, les professions de foi, les eucologes et les liturgies des Syriens, des Arméniens, des Maronites, des Cophtes, des Éthiopiens, des eutychiens ou jacobites, des nestoriens, des Russes ou Moscovites. Ainsi donc, au seizième siècle comme aujourd'hui, le dogme de la présence réelle était reçu, non-seulement dans l'Église catholique, mais encore chez les Grecs schismatiques et chez les différentes sectes de l'Orient, dont quelques-unes, comme celles des nestoriens et des eutychiens, sont séparées de l'Église romaine depuis le cinquième siècle (1).

761. Secondement, ce que l'Eglise universelle croit, ce qu'elle croyait au seizième siècle, elle l'a toujours eru; ce qu'elle enseigne aujourd'hui, elle l'enseignait hier, et l'a enseigné dans tous les temps. D'abord, son enseignement ne varie point; il ne varie pas plus que la vérité, puisque celui qui est la vérité même lui a promis d'être avec elle tous les jours, absolument tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles (2). D'ailleurs, si l'Église n'a pas toujours eu la même croyance au sujet de la présence réelle, si la foi de nos pères a été altérée, si elle a souffert des variations, dites-nous donc comment cette altération a pu être universellement adoptée, tant en Orient qu'en Occident, non-seulement par les catholiques, mais encore par les schismatiques et les différentes sectes d'hérétiques, aussi séparés entre eux qu'ils le sont de l'É

(1) Voyez la Perpétuité de la foi sur l'eucharistie, etc.; le Traité de Re sacramentaria, liv. Iv, etc. —(2) Saint Matthieu, c. xxvш, v. 20.

glise romaine. De gråce, dites-nous depuis quand ce nouveau dogme a paru dans le monde, quel en est l'auteur, et comment il s'est répandu partout? Il serait bien étonnant qu'on ignorât le novateur sur ce point, tandis que l'on connaît les Arius, les Pélage, les Nestorius, les Eutychès, les Macédonius, les Wiclef, les Luther, les Calvin, tous ceux qui ont voulu innover en matière de religion. On ne se persuadera point qu'un aussi grand changement dans une chose aussi importante, et tenant de si près à la pratique de tous les fidèles et de tous les jours, ait pu s'opérer sans bruit, sans difficulté, sans réclamation aucune. En effet, si, lorsque Bérenger se mit à parler contre la présence réelle, il rencontra la plus vive résistance, et de la part des peuples, qui le traitaient d'impie, et de la part des docteurs, qui réfutèrent ses erreurs, et de la part des évêques, des papes et des conciles, qui le condamnèrent comme novateur; celui qui, avant Bérenger, aurait eu la témérité de fabriquer ce même dogme, aurait-il pu le propager sans éprouver la moindre contradiction? Ce dogme, sans contredit l'un des plus grands et des plus incompréhensibles mystères de la religion; ce dogme, dont on ne peut rendre raison que par la foi, et qui réduit notre entendement en servitude; ce dogme, qu'on eût présenté comme venant des apôtres, quoiqu'il fût inconnu jusqu'alors dans l'Église, n'eût-il pas soulevé le monde entier contre son auteur? N'eût-on pas crié de toute part à l'ignorance ou à l'imposture? Et les évêques et les papes, qui se sont toujours prononcés contre toute nouveauté, n'eussent-ils pas frappé d'anathème le premier qui eût osé aggraver, outre mesure, le joug de la foi, en altérant l'enseignement de l'Église et la croyance de tous les peuples? Cependant l'histoire garde ici le silence; il ne nous reste aucun vestige, aucune trace des réclamations, des débats qu'eût infailliblement occasionnés le dogme de la présence réelle, s'il n'eût toujours été reçu partout comme ayant été transmis par les apôtres. Donc on a toujours cru, dans l'Église, à la présence réelle de JésusChrist dans l'eucharistie.

762. De plus, si ce dogme s'était introduit dans l'Église, c'eut été ou depuis le neuvième siècle jusqu'au temps de Calvin; ou depuis le cinquième siècle jusqu'au neuvième; ou depuis la mort des apôtres jusqu'au cinquième siècle. Or, on ne peut admettre aucune de ces suppositions. D'abord, ce dogme ne s'est point introduit depuis le neuvième siècle jusqu'au temps de Calvin. Venu des Latins, il eût été repoussé par les Grecs, et principalement par les schismatiques, dont la séparation remonte au neuvième siècle. Il

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eût également été repoussé par les nestoriens, les euty chiens et autres hérétiques, dont les sectes remontent encore plus haut que le schisme des Grecs. Venu des Grecs schismatiques, il eût soulevé les réclamations et des Orientaux et des Latins. On n'eût pas manqué de s'adresser de part et d'autre de vifs reproches, de s'accuser mutuellement d'altérer la vraie foi, la doctrine de JésusChrist. Cependant on ne trouve pas la moindre dissidence, au sujet de la présence réelle, entre les Eglises de l'Orient et celles de l'Occident, quoiqu'il y ait eu d'assez vives contestations entre elles sur la manière de célébrer les saints mystères, en ce qui regarde le pain azyme et le pain levé. Il faut donc renoncer à la première supposition. Le dogme que nous défendons ne s'est point introduit non plus depuis le cinquième au neuvième siècle; ni les Grecs ne l'eussent toléré chez les Latins, ni les Latins ne l'eussent toléré chez les Grecs. On connaît les rivalités qui se sont manifestées entre l'une et l'autre Église, depuis la fin du deuxième siècle, à l'occasion du jour de la célébration de la Pâque, et qui se sont développées depuis, plus ou moins sensiblement, jusqu'à l'époque du schisme de Photius. D'ailleurs, les nestoriens et les eutychiens se fussent-ils prêtés à cette innovation? ne l'eussent-ils pas, au contraire, reprochée aux catholiques, en s'en prévalant pour justifier leurs propres erreurs et leur séparation? La seconde supposition n'est donc pas plus admissible que la première. Enfin, le dogme de la présence réelle n'a pu s'introduire depuis la mort des apôtres jusqu'au cinquième siècle. Plus on se rapproche des temps apostoliques, plus il est difficile de supposer que l'Église ait varié dans son enseignement. Les calvinistes, les anglicans et les luthériens en conviennent eux-mêmes généralement; ils ont été forcés d'avouer que, pendant les trois ou quatre premiers siècles, l'Église a conservé pure et intacte la doctrine de Jésus-Christ. D'ailleurs, était-il possible que tous les chrétiens, qui étaient répandus dans les différentes parties du monde, s'accordassent à sanctionner comme venant de Dieu un dogme qu'ils n'auraient pas reçu de leurs pères ? Nous ajouterons que c'était l'usage dans les premiers temps, usage qui s'est maintenu jusqu'au sixième siècle, de communier toutes les fois qu'on assistait à la célébration des saints mystères, et de porter la communion aux absents. Le dogme eucharistique intéressait done au suprême degré tous les chrétiens; il était donc impossible que ce dogme souffrit la moindre altération, sans que ce changement fût aussitôt remarqué par les évêques, les prêtres, les diacres, et même par les simples fidèles. Or,

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