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droit le plus périlleux du lac, on voit un temple placé fur un rocher escarpé. Les matelots battent alors d'une espece de tambour de cuivre, pour avertir l'idole de leur paffage; ils allument en fon honneur des bougies fur le devant de la barque; ils brûlent des parfums, & facrifient un coq.

(2) J'ai vu plufieurs de ces barques entretenues pour fecourir ceux qui courent quelque rifque de naufrage me promenant un jour fur le rivage du lac de Jao-tcheou, je fus témoins du promt fecours qu'on donna à une barque qui étoit fur le point de périr. On me raconta à cette occafion que quelquefois ceux qui font établis dans ces barques pour prêter du fecours, font les premiers à faire périr les marchands, afin de s'enrichir de leurs dépouilles, fur-tout s'ils efpérent de n'être pas découverts. C'est ainfi que la malice des hommes tourne le bien en mal, malgré la vigilance des Magiftrats qui eft grande à la Chine: car un Mandarin fait confifter fa gloire à affifter le peuple, & à montrer qu'il a pour lui un coeur de pere. J'ai fçu que depuis peu dans un temps d'orage, un Mandarin ne fe contenta pas de défendre qu'on traverfât la riviere, mais

encore qu'il fe transporta fur le rivage,, & y demeura tout le jour pour empêcher par fa préfence que quelque téméraire fe laiffant emporter à l'avidité du gain, ne s'expofât au danger de périr miférablement.

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Voilà, Madame, divers traits de miféricorde, que la raifon & le fentiment naturel infpirent à des Infideles: ces œuvres, toutes louables qu'elles font, n'ont point pour principe la vraie charité; auffi toute leur récompenfe fe borne-t-elle à l'eftime des hommes, & à une félicité temporelle. Néanmoins il est étonnant que l'olivier fauvage & inculte produife tant de fortes de fruits & que l'oliver franc planté au milieu du Chriftianifme, & arrofé du fang précieux de Jefus-Chrift, en produife fi peu; qu'une charité toute païenne foit fi ingénieufe à fecourir le prochain dans fes befoins temporels; & que la charité chrétienne infpire fi peu de zele pour le bien fpirituel des ames, qu'il feroit fi facile de placer dans le ciel. Le vénérable Pere de Sanvitores, qui fonda de fes fueurs & de fon fang la Miffion des ifles Marianes, écrivoit tous les ans en Espagne des lettres remplies d'un zele apoftoli

que, par lefquelles il follicitoit la charité des riches du fiecle en faveur des enfans infideles, dont on pouvoit affurer le falut en les régénérant dans les eaux du baptême. « Combien de perfonnes » puiffantes, s'écrioit-il, lefquelles pour » conferver la vie à un fils unique, » offrent à Dieu dans les chapelles de » dévotion des figures d'enfans en or » ou en argent ! J'approuve leur piété, ajoûtoit il; mais qu'ils feroient » une œuvre bien plus glorieuse à Dieu » & bien plus utile à la fanté de leurs

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fils, s'ils mettoient dans le ciel un » grand nombre d'enfans d'Idolâtres, » en leur procurant la grace du baptême! » C'eft la confolation que vous avez, Madame, puifque vous envoyez tous les jours devant vous au ciel, plufieurs enfans Chinois, qui font redevables à vos libéralités, de leur bonheur éternel: & c'eft principalement de cette forte d'aumône qu'on fera l'éloge dans l'affemblée des Saints. Elee mofynas illius enarrabit omnis Ecclefia Sanctorum. J'ai l'honneur d'être avec la plus refpectueuse reconnoiffance

&c.

LETTRE

DU PERE CAZIER.

A Canton, le 5 novembre 1720. ›

Je vois par vos lettres l'inquiétude où Vous êtes de fçavoir quel a été le fort du Pere Cuberon & du Pere Cortil, qui entrerent il y a quelques années dans une des Ifles Palaos, ainfi que vous l'avez vû dans les lettres de nos Miffionnaires. Je voudrois pouvoir vous en apprendre des nouvelles certaines & bien circonftanciées. Mais quelque mouvemens qu'on fe foit donné jufqu'ici c'est toujours inutilement qu'on a tenté de retourner dans ces Ifles,

Lorfque je vins à la Chine, je pris ma route par les Philippines, & j'étois à Manille, lorfque le Pere Serrano fit équiper un vaiffeau pour commencer une Miffion chez les Infulaires de Pa laos, ou pour la continuer, fuppofé que les deux Peres euffent trouvé grace auprès de ces barbares. Mais Dieu, dont les deffeins font impénétrables, ne permit pas que cette expédition eût lẹ fuccès auquel on devoit s'attendre.

Le Pere Serrano mit à la voile, & fut porté par un vent favorable dans T'Embocadero, (c'eft ainfi que les Espagnols appellent l'entrée des Ifles Philippines). La quantité d'Ifles qui fe trouvent dans cette paffe, la rendent trèsdangereufe, & les Galions font quelquefois obligés d'y hyverner fans pouvoir gagner Cabite qui eft le port de Manille. Le vaiffeau qui portoit le Pere Serrano & fon compagnon n'alla pas loin: il périt près de l'ifle de Marinduqué, & rien ne fut plus trifte que ce naufrage, dont il n'échappa que peu de perfonnes. Quelques-uns s'étoient jettés dans la chaloupe, mais le trouble où ils étoient les empêcha de prendre une précaution néceffaire, qui étoit de couper le cable lequel tenoit la chaloupe amarrée au vaiffeau: ils allerent au fond de la mer entraînés par le poids du bâtiment. Il n'y eut qu'un feul Indien qui s'étant emparé de l'habitacle (c'eft un réduit en forme d'armoire où l'on enferme la bouffole) s'en fervit pour fe fauver, & à fa faveur gagna heureufement la terre, après avoir long-temps lutté contre les flots. C'eft par cet Indien, qui retourna auffi-tôt à Manille, qu'on fut informé de ce détail, Ainfi

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