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appeller d'autres barques unies à la fienne pour le même commerce, qui étoient parties un moment auparavant. Elles revinrent fur leurs pas fans fçavoir de quoi il s'agiffoit. Mais ces bonnes gens n'eurent pas plutôt fçu la raison pour laquelle on les avoit appellés, qu'ils fortirent de leur barque afin de me joindre. Les deux premiers qui m'aborderent étoient d'anciens & de fervens chrétiens. « Ah! mon Pere, me dirent

ils en me faluant, il y a trois ans que »nous cherchons inutilement un Chinfou, c'est-à-dire un Pere fpirituel » Voici fept groffes barques, fur lef » quelles il y a cinquante perfonnes : » quelques-unes ont reçu le baptême; » d'autres, qui ont renoncé depuis longtemps au culte des Idoles, le demandent avec inftance; ne pourriez-vous pas leur accorder une demi-journée » pour achever de les inftruire, & leur procurer une grace après laquelle ils foupirent depuis tant d'années ?»

Ils finiffoient de parler lorfque ceux de leur fuite arriverent: il me faluerent • tous en frappant la terre du front, felon le cérémonial chinois. Je les fis lever, & je leur dis que ma joie en ce moment ne cédoit en rien à celle qu'ils me té

moignoient avoir, que nulle affaire ne pouvoit m'empêcher de leur accorder autant de temps qu'ils en fouhaiteroient pour leur inftruction; qu'ils ne devoient pas regarder cette rencontre, qui leur étoit fi agréable, comme une chofe fortuite & arrivée par hafard; qu'elle avoit été ménagée par la providence spéciale d'un Dieu qui les aime, & qui veut leur ouvrir le chemin du Ciel; qu'ils n'avoient qu'à préparer la plus grande de leurs barques d'une maniere propre à tenir notre affemblée, & que je m'y, rendrois auffi tôt qu'elle feroit prête.

Les Chinois ont toujours fur leurs barques quantité de nattes fort minces, d'environ cinq pieds en quarré: ils les dreffent en forme de voûte, pour se défendre de la pluie & des ardeurs du foleil. Ces bonnes gens formerent en trèspeu de temps avec ces nattes une espece de longue falle fur une barque. Je m'y tranfportai, & j'employai prefque tout le jour à les inftruire: je m'attachai principalement à leur donner une grande idée du nom chrétien, & à exciter dans leurs cœurs de vifs fentimens de componction & de pénitence. Je ne puis me reffouvenir, mon cher frere, fans avoir encore les yeux mouillés de lar

mes, de l'attention, ou plutôt de l'avi dité avec laquelle ces pauvres gens m'écoutoient, & de la ferveur qu'ils faifoient paroître en prononçant les divers actes que je leur infpirois.

L'inftruction achevée, je les interrogeai l'un après l'autre fur les articles principaux qu'ils devoient croire. J'en trouvai deux ou trois qui n'étoient pas fermes dans leurs réponses. Je les avertis de fonger férieusement à fe faire inftruire; que je ne les admettrois pas pour ce jour-là au baptême, mais qu'il fe préfenteroit quelque autre occafion où ils pourroient le recevoir. Ils fe jetterent auffi-tôt à genoux: «He! mon Pere, » me dirent-ils, fondant en pleurs, quand » la trouverons-nous, cette occafion? » Il y a trois ans que nous la cherchons » en vain ». Leurs parens, qui étoient Chrétiens, joignirent d'inftantes prieres à leurs larmes, & me folliciterent vivement en leur faveur, en m'affurant qu'ils apporteroient tous leurs foins à leur inftrution. Leurs follicitations furent fi preffantes, que je ne crus pas devoir permettre qu'il fe répandît ce jour-là d'autres larmes que des larmes de joie ou de contrition. Ainfi, je leur conférai à tous le faint baptême. La cérémonie finit par quel

ques prieres, qui furent prononcées à haute voix par les anciens & les nouveaux Chrétiens réunis enfemble.

On oblige les Catechumenes, avant qu'ils reçoivent le baptême, à apporter les idoles & tout ce qu'ils ont de fuperftitieux. Le Miffionnaire les brûle, & en échange il donne des images de Notre Seigneur & de la fainte Vierge, des chapelets & des médailles. Les idoles qu'ils m'avoient apportées dès le matin étoient rangées fur ma barque, & j'attendis à les brûler que je fuffe de retour dans ma maison. Je vis arriver de nouvelles barques qui devoient paffer la nuit au même endroit où nous étions. C'étoit un lieu défert fur le bord d'un lac, qui a quatre-vingt lieues de circuit, & qu'on appelle Tong-tin-hou. Il me vint alors une penfée que je proposai à mes Néophytes; c'étoit de dreffer un bûcher de ces idoles, d'y mettre le feu, & de rendre à Dieu à genoux nos actions de graces, jufqu'à ce qu'elles fuffent confumées. Je me perfuadai que cette cérémonie feroit de grandes impreffions, non-feulement fur les nouveaux Chrétiens, mais encore fur les infideles qui venoient d'arriver. Mon idée fut généralement approuvée des Chrétiens; ils

fortirent auffi-tôt de leurs barques, & fe rangerent en demi-cercle autour du bûcher, & quand on y eut mis le feu, ils s'agenouillerent, & entonnerent des hymnes & des cantiques en langue Chinoife.

La curiofité attira, comme je l'avois prévu, les infideles à ce fpectacle. Ils demanderent au maître de ma barque ce que fignifioit cette cérémonie. Quand il le leur eut expliqué: « Eo fi leo, s'écrie» rent-ils, quel dommage! Il y a là pour » plus de dix onces d'argent ; au lieu de » les brûler, que ne nous les donnez»vous? Le Néophyte leur répondit par une comparaifon plus capable de frapper P'efprit de ces fortes de gens, que les raifons les plus folides. «Si j'avois acheté » un remede chez un Droguifte, lui ditil, & qu'enfuite un homme habile m'eût fait connoître que ce prétendu remede eft un poison, voudriez-vous que je vous trompaffe comme j'aurois » été trompé, & que vous amufant de l'efpoir d'une prompte guérifon, je vous livraffe à une mort certaine ? Appliquez ce que je vous dis à la demar de que vous me faites ». Ils parurent fatisfaits de cette réponse, & ils virent tranquillement brûler les idoles.

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