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suivante pour avoir une couronne pareille à celle qui avait servi à Louis XV; seulement, il eut grand soin de recommander à l'artiste de substituer des pierres fausses aux diamants : le Portugal ne pouvait alors se permettre que ce luxe modeste 1.

Il est à peine utile de dire que, lorsque Ballin le neveu donnait les modèles de la couronne du sacre, il n'était pas à son coup d'essai. Loin de là, il travaillait déjà depuis longtemps, étant né en 1661, et ayant appris son art dans l'atelier de son oncle. Peu s'en fallut qu'il ne se fit une réputation pareille à celle du vieux Ballin; mais, si grande que soit la place qu'il occupe dans l'orfévrerie sous Louis XV, il demeura de beaucoup au-dessous du célèbre artiste qui l'avait formé. Dès 1708 il s'était acquis une gloire infinie par l'exécution du soleil donné à Notre-Dame par le chanoine Antoine de La Porte. Tous les livres du temps ont parlé de cet ostensoir, qui était d'argent vermeil doré, et qui, haut de cinq pieds pour le moins, passait pour « le premier et le seul qui eût été traité d'une manière historique. » Ce monument, écrit l'auteur des Curiosités de l'église de Paris, « est composé d'un ange qui soutient une espèce de table en cul-de-lampe, sur laquelle est placé l'agneau pascal, qui se repose sur le livre mystérieux de l'Apocalypse, fermé aux sept sceaux ; au-dessus est une grande Gloire chargée autour de rayons et de têtes de chérubins..., et, au milieu de la Gloire, est un double cristal de roche, en forme de boîte..., dans laquelle est un croissant d'or pour mettre la sainte hostie. Au-dessous on aperçoit quatre vieillards qui adorent, dans la frayeur et le tremblement, Jésus-Christ présent dans l'auguste mystère de nos autels. >>

Tout cela est singulièrement ingénieux ; mais nous sommes obligé de dire que la conception de cette grande pièce n'appartenait pas à Ballin. De Cotte le père en avait donné le dessin, le sculpteur Bertrand en avait fait le modèle en ronde bosse; Claude Ballin ne fut chargé que de la façon. Le lampadaire d'argent à sept lumières, qu'on plaça en 1734 devant la chapelle de la Vierge, dans la même cathédrale, était aussi de sa main, de même que la croix et les chandeliers exécutés en 1749 pour l'église Saint-Jean, à Lyon. C'étaient des œuvres de grand apparat qui réunissaient toutes les qualités du monde, excepté la simplicité, la sobriété religieuse.

4. Il resterait à préciser avec plus d'exactitude le rôle et l'importance des deux Rondet. En 1724, le père portait le titre de joaillier de la couronne, et c'est en cette qualité qu'il montra les diamants du roi à l'ambassadeur turc. Quant à son fils, nous croyons sans en être bien sûr qu'il est le même que Claude-Dominique Rondet, qui fut doyen de l'orfévrerie en 4759.

Claude Ballin réussit mieux encore, nous le croyons, dans les travaux d'orfévrerie civile, que le luxe croissant de la France et de l'étranger lui demanda de toutes parts. Le prince Eugène eut plus d'une fois recours à son habileté. Ballin exécuta en 1726 pour le maréchal comte de Dawn, gouverneur du Milanais, un service d'argenterie et un surtout de table qui obtinrent un merveilleux succès. Cet ouvrage, exposé publiquement, attira « la curiosité des personnes de la plus grande considération. » Le surtout représentait la Fête de Comus. Quant au service, des figures hardiment ciselées en décoraient chaque pièce. Le roi d'Espagne désira pouvoir placer sur sa table une décoration analogue. Ballin fit pour lui un autre surtout qui, pour être moins mythologique que celui du comte de Dawn, n'était pas moins compliqué. « La base de cet ouvrage, nous dit-on, supporte un terrain élevé en haut duquel on voit un chasseur et une chasseuse qui se reposent à l'ombre d'un chêne. » Autour d'eux se groupaient des chiens, des bêtes fauves de toutes sortes. Quatorze bobèches destinées à porter les bougies se cachaient avec beaucoup d'art parmi les branches de l'arbre (1745). On voit que dans ces grandes pièces l'ornement cédait la place à la figure, et qu'avec un peu de bonne volonté Claude Ballin aurait pu se prendre pour un sculpteur. Tel était encore le caractère de l'œuvre à laquelle le fécond artiste attacha son nom aux derniers jours de sa vie. Le marquis de la Ensenada, ambassadeur du roi d'Espagne, voulut rivaliser avec son maître, et, en 1751, il demanda un surtout à Claude Ballin, qui dépensa dans l'exécution de cet ouvrage un zèle excessif et beaucoup de talent d'ailleurs. Neptune y paraissait sur une conque « artistement rocaillée; » les naïades, les tritons, les sirènes, toutes les divinités charmantes de la mer faisaient cortége à leur dieu; les écueils que venait battre le flot, les roseaux du rivage furent regardés comme des merveilles de ciselure1. Ce fut là, à peu près, le dernier travail de Claude Ballin: l'habile artiste mourut le 18 mars 1754.

Et, chose étrange, le neveu du grand Ballin quitta ce monde en se lamentant sur la décadence de l'art. Lui, si malade pourtant, si inquiet de la couleur et du fracas dans ses œuvres compliquées, il prétendait, aux derniers temps de sa vie, que « le bon goût se perdoit, et qu'on gâtoit les belles formes en substituant, aux sages ornements des anciens, des écrevisses et des lapereaux qui ne sont pas faits, disait-il, pour garnir le dehors des vases d'orfévrerie et pour les revêtir. » De qui donc le

1. L. F. Lettre à l'auteur du Mercure, juin 1751. Voir aussi, dans le numéro de mai 1754, l'Éloge historique de Claude Ballin.

vieil artiste voulait-il parler avec ses lapereaux? Je ne saurais trop le dire; mais, pour les écrevisses, la critique va droit à l'adresse d'un orfévre qui en a fait une prodigieuse consommation, Just-Aurèle Meissonnier, un maître important dont nous aurons tout à l'heure à apprécier l'influence.

Claude Ballin laissa un fils qui lui succéda en qualité d'orfévre du roi. Dès 1742, il avait obtenu la survivance du logement que son père occupait au Louvre. Sa mission fut de terminer les ouvrages que le vieillard avait laissés inachevés; et, au mois de mai 1754, il eut l'honneur de présenter à Louis XV le grand surtout de table fait pour l'ambassadeur d'Espagne. L'histoire ne nous entretient pas autrement de ses mérites, et nous croyons que le troisième des Ballin fut une personnalité insignifiante. Un véritable artiste, Thomas Germain, balança, pendant cette première moitié du xvIe siècle, le succès de Claude Ballin le neveu. Dans un travail d'ensemble, tel que celui que nous avons entrepris, il ne saurait y avoir assez de place pour une biographie détaillée de Thomas Germain. MM. de Goncourt ont d'ailleurs promis de la raconter, et il serait de mauvais goût, il serait imprudent de chasser sur leurs terres. Toutefois, les exigences de l'histoire nous obligent à ébaucher à grands traits le récit de cette vie laborieuse, et à citer en courant les œuvres principales qui firent à l'habile artiste un nom si souvent répété dans les livres du XVIIIe siècle.

Thomas Germain, qui naquit à Paris en 1673, était un peu plus jeune le second Ballin; mais, comme lui, il appartenait, par ses origines et que ses premiers travaux, au règne de Louis XIV. Il n'avait que dix ans lorsqu'il perdit son père, le fameux Pierre Germain ; l'enseignement paternel doit donc ici être compté pour peu de chose, et j'ai peine aussi à faire état des leçons qui furent données à Thomas Germain par le peintre Bon Boullogne. Je note seulement qu'il entrait dans la pensée de sa famille de faire de lui un artiste à peu près universel. Ce but une fois marqué, le voyage d'Italie devenait indispensable. Thomas Germain (qui n'était encore qu'un enfant de quinze ans) partit pour Rome en 1688. Il y entra chez un orfévre dont le nom ne nous a pas été conservé, et fit chez lui un assez long apprentissage. C'est à Rome aussi qu'il rencontra le sculpteur Legros, ce savant tailleur de marbre que la France ne connaît pas assez. Il apprit à son école à modeler la figure humaine, à en varier les attitudes, à en assouplir les mouvements. Enfin, se sentant sûr de sa main, il fit pour les Jésuites un Saint Ignace en argent, et, pour le grandduc de Toscane, de vastes bassins du mème métal, que Florence admira beaucoup. Un séjour de douze ans à Rome n'ayant pas assouvi son be

soin d'apprendre, il employa encore trois ou quatre années à visiter les autres villes d'Italie, et l'on sait que, devenu quelque peu architecte, il donna les plans d'une église qui fut construite à Livourne. On put comprendre dès lors que Germain n'était pas un artiste ordinaire.

:

De retour à Paris vers 1704, il y fut tout de suite fort employé. Après avoir fait pour la chapelle de Fontainebleau un encensoir qui lui valut un mot gracieux de Louis XIV, il eut sa part dans les travaux qui rajeunirent ou qui mutilèrent Notre-Dame (1708). Parmi les pièces qu'il exécuta à diverses dates pour la décoration de la cathédrale, il faut citer le soleil d'argent qui servait à donner la bénédiction (1718). Des épis de blé et des grappes de raisin les deux formes visibles de l'eucharistie supportaient l'ostensoir la Gloire qui l'entourait était faite de rayons et de nuages, et décorée de têtes de chérubins « cravatés d'ailes, » comme dirait Théophile Gautier. On voit que Germain entendait l'orfévrerie religieuse à la manière de Ballin, et nous sommes forcé d'avouer que, pour les ouvrages de ce genre, il était un peu trop de son école. De là son succès. Aussi est-ce à lui que le régent confia l'exécution du soleil qui fut donné à la cathédrale de Reims en 1722, à l'occasion du sacre du jeune roi. Cette pièce n'avait pas moins de trois pieds huit pouces de hauteur. Au pied s'agenouillaient deux anges, l'un offrant à Dieu l'épée royale, l'autre présentant la couronne. Toute la partie supérieure était un amalgame incohérent de rayons, de têtes ailées, d'épis de blé et de grappes de raisin, car Germain tenait à son symbole. critique réprouverait aujourd'hui ces compositions fastueuses; mais on en jugeait autrement sous Louis XV. Les figures qui ornaient le soleil de Reims parurent aux meilleurs connaisseurs « vivantes et d'un sçavant goût de dessin; » on trouva les nuages transparents, les rayons lumineux, et l'on ne fit aucune difficulté d'admettre qu'un artiste qui, comme Germain, avait « étudié les plus beaux restes de l'antiquité, » était nonseulement un orfévre, mais un sculpteur véritable. Germain fit ensuite un calice d'or pour l'Électeur de Cologne (1725), et l'année suivante il obtint son succès le plus vif en mettant au jour la toilette qu'il avait exécutée pour la reine.

La

Cette toilette, dont les journaux du temps nous ont conservé une description que nous sommes contraint d'abréger, était tout entière en argent doré, et se composait de cinquante et une pièces, d'après le Mercure, de trente-cinq seulement d'après un document émané de Germain lui-même. Miroir, jattes, coffrets à bijoux, flacons, boîtes à poudre, gantières, nef « à mettre les racines pour les dents, » vase pour la pâte d'amande, boîtes à mouches, flambeaux en forme de lyre, un couteau

« pour ôter la poudre,» tout ce que peuvent rêver les fantaisies du luxe, tout ce que peut désirer une femme, Germain l'avait prévu et réalisé. Le miroir surtout était charmant. Les armes accolées du roi et de la reine décoraient la partie supérieure; quatre petits enfants répandaient des fleurs le long de la corniche, et la base était occupée par un bas-relief, merveille de ciselure où l'on reconnaissait Vénus à sa toilette et servie par les Grâces. Toutes ces splendeurs, toutes ces élégances furent présentées à Marie Leczinska par Germain lui-même, le 2 août 1726. La reine, malade, était couchée, mais elle fit à l'artiste « les plus grandes honnêtetés, » et elle voulut qu'il lui répétât cinq ou six fois la description des pièces qui composaient ce grand ouvrage 1.

Pour ne rien dissimuler, c'est surtout dans les travaux de ce genre que triomphait l'habileté de Germain. Tous les délicats, tous les heureux avaient recours à lui, et Voltaire n'a pas manqué de se faire l'écho de l'admiration universelle lorsqu'il a décrit (en 1736) la demeure élégante où le Mondain passe de si douces heures :

C'est Bouchardon qui fit cette figure,

Et cet argent fut poli par Germain.

Cisclé eût été mieux dit peut-être, mais les fatalités de la mesure repoussaient un mot de trois syllabes. C'est qu'en effet, en dehors de son mérite d'invention, Germain excellait dans la ciselure. La ville de Paris le savait bien lorsqu'elle lui fit faire, pour le dauphin, les premières armes qu'il était d'usage d'offrir au jeune prince (1734). L'or mêlait son rayon à la gravité de l'acier dans ce trophée, qui comprenait une épée, un fusil et deux pistolets; le dur métal était partout ciselé et gravé avec un art infini; le pistolet et le fusil sortaient des ateliers de Laroche, armurier du roi. Quant à l'épée, elle était l'œuvre personnelle de Germain, qui avait ciselé sur la garde deux fins bas-reliefs : des fleurs de lis, des palmettes, des entrelacs ornaient la lame et le fourreau.

Nous ne voulons pas pousser plus avant le catalogue des ouvrages de Thomas Germain. L'infatigable orfévre travaillait pour tous les rois, pour tous les princes. On le voit faire en 1729 une toilette pour la reine d'Espagne; une autre, en 1732, pour la princesse du Brésil; une troisième, en vermeil, pour la reine des Deux-Siciles (1738); une quatrième

4. Nous tirons ces détails du Mercure du mois de septembre 1726, et aussi d'un recueil de lettres inédites adressées par Germain à l'architecte Franque, d'Avignon. Ces lettres, qui nous ont été obligeamment communiquées par M. Léon Lagrange, donnent la meilleure idée du caractère de l'orfévre et de sa passion pour son art.

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