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nous avons rencontré, parmi ces chercheurs de l'impression et ces amis de la nature verte, M. Achard, paysagiste toujours distingué, mais plus sérieux jadis, quand il interprétait dans un sentiment sobre et robuste les mâles beautés du Dauphiné. De même M. Lavieille donne sans effort ce que l'on pourrait appeler la note verte. Sa Matinée des premiers jours de mai ne le cède pas en fraîcheur aux plus fraîches matinées de M. Lambinet. Mais l'effet de neige, intitulé Décembre, révèle un talent bien autrement original, un sentiment délicat, une étude savante de la nature. Est-il encore besoin de signaler M. Anastasi, qui se maintient égal à luimême, et M. Flers, ce peintre charmant, un des pères conscrits de l'école, un peu dépassé peut-être par les conscrits? Plus d'un nom nouveau mériterait une mention spéciale. Nous nous contenterons de nommer M. Mercier, M. Baudit, M. Mellé et M. Gourlier, dont la Plage est, sans aucune trace de prétention, une ravissante étude. Une place tout à fait à part doit être réservée aux artistes consciencieux qui ont renouvelé à l'école de Lyon la tradition du paysage. M. Allemand se montre toujours fidèle à l'exemple de Ruysdael: si ses ciels sentent moins la nature que l'émail des vieux tableaux, ses arbres ont un cachet de vérité poétique qui sent le maître. M. Appian, pour gagner en largeur d'effet lumineux, perd un peu de la finesse qu'il avait acquise. Le marché à Clermont le rapproche des peintres de genre; comme paysagiste, c'est à ses fusains, harmonieux et simples, qu'il faut demander la vraie mesure de M. Appian. L'originalité de l'école lyonnaise passe décidément du côté de M. Chevalier, et même on aurait peine à trouver parmi les paysagistes parisiens des tendances analogues c'est l'impression d'une nature pauvre, traduite par une exécution plus sommaire que large, qui, sans vouloir perdre la transparence, vise à la solidité. Dans ces données restreintes, M. Chevalier marche d'un pas chaque jour plus assuré, suivi de M. Joannin et de M. Fontanesi.

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La marine, genre délaissé depuis quelques années, a révélé au Salon de 1861 un artiste de premier ordre. C'est le titre dont la critique a salué M. Aiguier. Pour nous qui, depuis quelques années, assistons aux efforts persévérants de M. Aiguier, et qui l'avons suivi d'étape en étape, nous pouvons dire que les Pêcheurs de Saint-Mandrier marquent dans sa carrière un progrès décidé et décisif. Sa couleur, longtemps embarrassée d'une brume épaisse, s'est éclaircie, son exécution s'est fixée. La ligne horizontale, habilement prodiguée, donne à sa composition beaucoup d'assiette la grande barque placée au premier plan la soutient, fait valoir le ton exquis du sable, et contraste vivement avec la transparence du ciel et de la mer. Il était difficile d'imaginer un motif plus simple et d'y ajouter, par l'interprétation poétique, un intérêt plus saisissant.

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M. Schutzemberger a su, à moins de frais encore, rendre un de ces effets de mer qui ne sont rien et qui cependant vous captivent et vous retiennent pendant des heures l'œil fixé sur l'horizon. M. Thiollet a exposé une très-jolie Marée basse, M. Ponson une Vue du château d'If animée et presque dramatique. D'autres, que leurs travaux passés placent au rang des maîtres, comme s'ils étaient blasés sur les aspects simples de la mer, cherchent à rehausser l'intérêt de leurs tableaux par un élément pittoresque ou historique. C'est ainsi que M. Gudin, au lieu de peindre une Tempête, un Beau temps, une Plage, représente en d'immenses toiles l'Arrivée de la reine d'Angleterre à Cherbourg, la Flotte française se rendant à Cherbourg, ou, dans de moins grandes proportions, la Dispersion de l'Armada espagnole. Les petits cadres de M. Gudin nous ont toujours paru préférables aux grands. C'est ainsi encore que M. Courdouan veut ajouter à la valeur de sa vue de Gênes en y représentant l'arrivée d'un Vaisseau français chargé de troupes. Une teinte chaude et harmonieuse enveloppe la ville, le ciel et la mer, mais cette vue, aussi bien que le paysage élégant intitulé la Rade d'Hyères, laisse à désirer une interprétation plus personnelle. Ni l'un ni l'autre ne donne une idée suffisante du talent de M. Courdouan. Il est à regretter que les peintures remarquables exécutées depuis deux ans par cet artiste pour les paquebots des messageries ne soient rappelées au Salon ni par une suite de dessins ni même par des photographies. Cette œuvre multiple eût permis de juger la souplesse de talent de M. Courdouan en même temps qu'elle eût témoigné d'un fait de décoration navale unique en ce temps-ci.

IX.

MM. COURBET, VERLAT, BRENDEL, BONHEUR, VAN MARCKE, SIMON,

LUMINAIS, PALIZZI, ETC.;

MM. COUTURIER, PH. ROUSSEAU; M. BL. DESGOFFE; MM. PERRACHON, CHABAL-DUSSURGEY ET LEGEndre.

Une des preuves les plus évidentes de la poésie intime de la nature et de l'intérêt qu'elle nous inspire, en dehors de toute intervention de la figure humaine, c'est le plaisir que nous prenons à la représentation des animaux. Les animaux participent étroitement de la vie du paysage, et cependant on n'a jamais songé à les soumettre aux lois du paysage historique. M. Brascassat lui-même, le seul paysagiste que possède l'Institut,

n'a pas cru devoir donner à ses taureaux et à ses moutons, alors qu'il se plaisait à peindre des moutons et des taureaux, un intérêt d'emprunt tiré de la fable ou de l'histoire romaine. Il s'est contenté, en les plaçant au milieu de paysages qui n'ont rien d'historique, de montrer en eux le développement de la vie impersonnelle de la nature. C'est en effet cette poésie purement naturaliste qui constitue le charme de la peinture d'animaux. Or, dans cette voie, M. Courbet, s'il ne dépasse pas M. Brascassat, marche au moins du même pas. S'acheminerait-il vers l'Institut? Son Combat de cerfs, intitulé avec une crudité toute réaliste le Rut du printemps, reproduit une scène que M. Brascassat a traitée plus d'une fois en se servant d'autres acteurs, deux taureaux se disputant une génisse. La scène se compose à peu près de même, et il a fallu à M. Courbet le même effort d'interprétation idéale pour rendre vivant sur la toile un combat qu'il n'a certainement pas étudié d'après la réalité. Le Rut n'a donc de réaliste que le nom : c'est une œuvre poétique au premier degré, rêve superbe d'une imagination trop longtemps captive, mâle production d'un talent qui n'a jamais si bien montré sa puissance qu'aujourd'hui qu'il se déjuge lui-même. Les cerfs luttent avec la passion acharnée des bêtes, mais cette passion, exprimée surtout par les plis du museau, par le regard et par le mouvement général, laisse leur corps trop insensible: sous la fourrure admirablement peinte on ne sent pas assez les muscles en jeu. Le Cerf à l'eau est d'un modelé supérieur. Quant au paysage, celui du Cerf à l'eau, qui offre cependant un beau terrain au premier plan et un lointain d'un grand caractère, ne peut le disputer à la forêt solitaire dont le soleil, seul témoin du Combat, illumine les profondeurs. Le Piqueur nous ramène aux plus mauvais jours de M. Courbet. Le Renard dans la neige essaye en vain de faire mentir le dicton non bis in idem: la facture mesquine du paysage rappelle la manière du célèbre Malebranche. Est-ce bien de la même main qu'est sortie la Roche Oragnon, paysage de l'exécution la plus large et la plus solide? Le caractère saisissant de cette peinture énergique ne saurait toutefois nous en imposer. L'artiste qui a dessiné et peint la forêt du Combat de cerfs, le grand rocher et les eaux de la Roche Oragnon, est impardonnable quand, dans le même paysage, il place à droite un objet informe, rocher ou terrain, dont on ne peut définir la nature, quand il donne aux troncs d'arbres la valeur de simples morceaux de bois et qu'il étouffe les plans intermédiaires en dressant contre l'horizon un coteau d'un dessin lourd et d'une couleur épaisse. Les gaietés de la critique n'ont jamais manqué à M. Courbet: aujourd'hui qu'il a mis les rieurs de son côté, il ne nous laisse que le droit d'être sévères.

M. Verlat peint les animaux de grandeur naturelle, mais l'habileté de sa main réduit bien vite ces proportions insolites qui ne se soutiennent que par la puissance du ton et la largeur du dessin. Malgré l'éclat des fourrures, malgré le brillant du paysage et l'expression des figures, Au Loup n'est qu'un petit tableau, plus petit que l'étude charmante de M. Brendel, Au plateau de Belle-Croix. C'est par accident que M. Brendel s'est égaré dans la forêt et qu'il a peint un cerf, lui dont le pinceau semble voué à l'humble race moutonnière. Le Parc appartient au paysage : l'effet de soir y devient le vrai motif aux dépens du troupeau. La Rentrée à la ferme nous donne seule les qualités rustiques de M. Brendel là on le voit vraiment ami de ses doux modèles, prenant plaisir à étudier le caractère de leur physionomie, leur marche, les accidents de leur toison, et reportant cet intérêt sur tout ce qui les entoure, le berger qui les compte, l'étable où ils se poussent en bêlant, les poules qui les regardent défiler, le ciel sous lequel s'écoule leur tranquille existence. L'exécution de M. Brendel répond par sa sobriété au sentiment simple et fort avec lequel il interprète la nature. Quel excellent berger ce serait pour M. Aug. Bonheur ! Il garderait pendant la semaine les troupeaux que celui-ci peint le dimanche, quand les moutons ont frisé leur laine, quand les vaches ont lavé leur robe, et que la nature a fait la toilette de ses arbres et de ses terrains. Le grand tableau de M. Bonheur, par la propreté exquise du ton et l'air de fête du paysage, prête le flanc à la critique. La même puissance d'illusion et d'expression mieux ménagée a produit l'Arrivée à la foire. Dans la Rencontre des deux troupeaux il n'y a plus place pour ces défauts bourgeois; tout est large et grand : le caractère plus sauvage des bœufs de la montagne s'accuse avec simplicité et énergie; et cependant je vois encore la trace des qualités trop brillantes que l'école anglaise a mises à la mode et que M. Bonheur emprunte à ses confrères d'outre-Manche.

En l'absence de M. Troyon, M. Van Marcke mérite de nous arrêter. Si l'Effet du matin rappelle trop une composition célèbre du maître, la Mare aux pies est un tableau personnel assez heureusement traité, plus heureusement que le Hameau, où l'air manque perdant que le soleil abonde, et où des figures inutiles encombrent le second plan. M. Brissot, qui excelle à inonder de soleil les grandes plaines peuplées de troupeaux, n'a exposé que des petits sujets finement compris, mais insuffisants à le représenter. Au contraire on peut parfaitement juger M. Jacque sur les quatre tableaux que possède de lui le Salon : les mêmes qualités s'y reproduisent et aussi le même parti pris de gris et de vert. Quant à l'intelligence du sujet, c'est-à-dire de la bête, M. Jacque n'en est pas à ses preuves : depuis longtemps ses piquantes eaux-fortes l'ont mis au rang des maîtres

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