Images de page
PDF
ePub

uns aux autres des morceaux précieux mais dissemblables, amène à un résultat sans unité, mais fécond en surprises1.

Au moment de terminer cette rapide revue, nous ne craignons point d'être l'écho de la surprise universelle qui a accueilli la distribution des récompenses. Que la plus haute des distinctions, la croix d'honneur, soit échue à M. Émile Lassale, nous n'avons qu'à constater le fait; elle suit d'ordinaire la reproduction des peintures officielles. Mais il est un artiste modeste et travailleur qui partage avec M. Mouilleron, et avec des mérites différents, l'honneur d'avoir reproduit quelques-unes des belles pages de l'art contemporain. Le jury n'a point su discerner tout l'art sérieux qui se cache sous l'apparente simplicité de M. Eugène Le Roux; il n'a point su que, lorsque M. Le Roux pourrait trouver des succès lucratifs dans les reproductions hâtives, il se dévoue, avec une rare persistance, aux talents qui parlent à son âme, et que son œuvre d'après Decamps traduit le maître avec une inspiration toujours soutenue. Le jury n'a regardé ni l'anatomie du Samson rompant ses liens, ni les terrasses qui soutiennent l'autel dans la flamme duquel s'élance l'Ange annonçant à Manoé et à sa femme la naissance de Samson ; et le nom de M. Eugène Le Roux n'a pas été mentionné... même parmi les accessit.

De semblables erreurs seraient-elles commises si le jury d'admission, après s'être montré plus sévère pour une foule d'exposants, que je ne veux pas contrister, avait exigé un placement favorable dans un salon réservé? Nous ne le pensons pas. Les œuvres, mieux exposées, auraient été regardées avec plus de soin. Tout y gagnerait les artistes, qui se livreraient à des travaux plus importants; le public, qui apprendrait à y voir autre chose que des couvertures de romances. Les véritables maîtres de la lithographie depuis 1830, MM. Gavarni, Daumier, n'ont jamais exposé; Raffet et M. Gigoux n'ont envoyé qu'une seule fois, le premier quelques pages du siége d'Anvers, le second des portraits. Il faut donc rehausser cet art essentiellement français, et qui a produit de si délicates improvisations. Mais, hélas! comment le réhabiliter aux yeux d'une génération qui, « grâce à cette nouveauté, » disait le vaudeville, a vu

[blocks in formation]

1. M. Rodolphe Bresdin a jadis fourni à M. Champfleury le prétexte de la charmante étude intitulée Chien Caillou, et plus récemment à M. Étienne Maurice quelques pages très-intéressantes, en tête d'un volume, Ceci n'est pas un livre.

Mais il ne suffit plus d'encourager ceux qui luttent pour le but suprème de l'idéal, par les moyens consacrés par la tradition, il faut encore soutenir ceux qui essayent d'asservir aux progrès de l'humanité les forces inconscientes de la nature. Le jury de l'Exposition des beaux-arts l'a compris cette année, et a entr'ouvert le sanctuaire à une des applications les plus intéressantes de la photographie, je veux dire à la gravure héliographique. Il est vrai que c'était un élève de Paul Delaroche et de M. Ingres, aussi familier avec le pinceau qu'avec le burin, avec la cornue du chimiste qu'avec l'objectif du photographe, M. Charles Nègre, qui frappait discrètement à la porte. Sans préjuger de l'avenir, nous pouvons constater que les détails de sa Porte royale de la Cathédrale de Chartres sont merveilleusement fidèles, que l'effet est doux sans monotonie, ferme sans opacité, et M. Charles Nègre nous a affirmé que le soleil seul avait gravé cet acier d'une dimension énorme et qui peut tirer deux mille exemplaires. Peut-être y a-t-il là, au moins pour la reproduction des monuments qui n'exigent qu'une traduction intelligente et fidèle, toute une révolution. Elle ne saurait atteindre cependant ceux qui tendent vers l'art absolu, et Nicolas Poussin s'adresserait encore aujourd'hui à Jean Pesnes ou à Claudine Stella.

[merged small][graphic]

CORRESPONDANCE PARTICULIÈRE

DE LA GAZETTE DES BEAUX-ARTS

LE PALAIS JAPONAIS, A DRESDE

Dresde, 14 juillet 1861.

Je doute qu'il existe en Europe une réunion de porcelaines de Chine aussi nombreuse que celle du Palais japonais de Dresde. Le catalogue remplit cinq gros volumes in-folio, et ne compte pas moins de 60,000 numéros dont 55,000 au moins s'appliquent à des objets de céramique de l'extrême Orient.

Toutefois, malgré ce chiffre, on ne peut pas se former à Dresde une idée générale, non-seulement du degré d'avancement où les Chinois ont poussé l'industrie ayant trait à ce que l'on appelle en France la curiosité, mais encore de l'ingéniosité, du goût qu'ils ont apporté dans toutes les branches de la céramique, de la délicatesse merveilleuse de leurs procédés de fabrication. Sous ce rapport, le musée de Sèvres, le musée ethnographique du Louvre, le musée chinois de La Haye offrent un intérêt supérieur, parce qu'ils comprennent une infinité d'articles bien plus variés. Ainsi, en dehors de la porcelaine, Dresde ne contient ni bronzes, ni émaux champlevés ou peints, ni laques, ni pierres dures, ni cristaux de roche, ni ivoires, ni bois, dont l'étude jette un si grand jour sur la fertilité d'inventions de l'industrie chinoise. Si l'on circonscrit ses recherches à la céramique, on n'y rencontrera pas de boccaros, on n'y trouvera aucune de ces pièces en gros bleu flambé, en rouge haricot, en rouge vermillon, en blanc lacté à reflets opalins, en gris truité, en vert céladon de toutes nuances, aucun de ces vases d'un tout petit volume en porcelaine émaillée rose vif, rose pâle, jaune maïs, bleu céleste, bleu de Chine, qui sont le mérite et l'attrait des collections Poinsot, Barbet de Jouy, Malinet, d'Aigremont, et que madame la duchesse de Montebello avait réunis en si grande quantité. Il semble que ce soit dans les objets d'un tout petit volume que le goût chinois ait pris plaisir à déployer toutes ses ressources, soit comme pureté de formes, soit comme richesse d'ornementation. A Dresde, ces délicieux produits brillent par leur absence. Mais si l'on veut étudier les pièces d'une dimension relativement grande, les pièces de décoration, c'est à Dresde qu'il faut aller. En circonscrivant ses recherches dans le sens que j'indique, on sera surpris que l'on ait pu rassembler une pareille quantité de produits. Quand on y rencontre une pièce rare, ce n'est pas par unité qu'on la trouve, mais par centaines et quelquefois par milliers.

La collection est rangée dans dix-huit salles au rez-de-chaussée du Palais japonais. Ces salles, qui font le tour de l'édifice, sont, je le crains, les anciennes cuisines ou les anciennes offices du palais, situé à l'extrémité occidentale de Dresde, sur la rive droite de l'Elbe. Construit de 1715 à 4730 par Auguste Le Fort sous la dénomination qu'il porte encore, l'édifice offre la forme d'un parallélogramme flanqué de quatre ailes et de

deux pavillons centraux. Le toit vert, dont la saillie est relevée en forme de chapeau chinois, le fait facilement reconnaître entre les monuments de Dresde. Auguste Le Fort, grand amateur de curiosités, avait, paraît-il, un goût prononcé pour les porcelaines chinoises; il les faisait venir de Hollande par centaines de caisses, et prenait plaisir, dit-on, à en orner lui-même les murs de ce palais. Je doute que la collection ait été beaucoup augmentée depuis lui. Sur le listel du pavillon d'entrée on a gravé cette inscription, à laquelle il ne faut pas prêter une trop aveugle confiance: Museum usui publico patens. Comme c'est le conservateur lui-même qui veut bien servir de guide aux curieux, et comme il a ses occupations particulières, le public en trouve parfois les portes parfaitement closes. Mais lorsqu'elles sont ouvertes, les explications qu'il fournit sont si claires, si précises, elles font preuve d'une science si solide et si exercée, que l'on n'a rien à regretter.

On sait bien peu de chose en Europe sur l'histoire de la porcelaine chinoise, et il ne semble pas que l'on soit beaucoup plus avancé en Chine. Les deux seuls ouvrages que nous possédions sur ce sujet sont : le mémoire du père Dentrecolles, reproduit dans l'Encyclopédie de Diderot, et la traduction du livre chinois intitulé: Histoire et fabrication de la porcelaine chinoise, par M. Stanislas Julien. Ce qui ressort de plus clair de la lecture de ces deux ouvrages, c'est que de tout temps on s'est livré avec une grande ardeur, dans toute l'étendue de l'empire du Milieu, à la fabrication de la porcelaine. Mais ce que ne disent pas ces deux auteurs, c'est que, de tout temps aussi, l'habileté de la contrefaçon a été un des caractères essentiels du génie chinois; c'est que ce génie d'imitation a dû s'exercer sur la fabrication de la porcelaine comme sur tout le reste; c'est qu'enfin il est fort probable que nous nous extasions souvent sur l'antiquité de certaines pièces frappées d'une marque connue pour être celle d'une fabrique du vIII ou du Ixe siècle, tandis que ces pièces, œuvre de quelque faussaire de talent, n'ont peut-être par cent ans d'existence. On ne saurait trop le répéter, les marques de la porcelaine chinoise, pas plus que les signatures des tableaux, ne sont une preuve irrécusable d'authenticité.

A ce sujet, j'ai été témoin d'un fait qui a singulièrement affermi mon scepticisme à l'égard des marques de fabrique. A une des plus belles ventes d'il y a quelques années, une jeune femme, donnant le bras à un savant dont la modestie n'est pas précisément l'apanage, examinait avec intérêt une potiche dont le galbe était aussi pur que la couleur était harmonieuse et riche. Son guide releva ses lunettes, souleva le vase, en examina le fond, et, après avoir déchiffré la marque dont il était frappé, raconta à la jolie visiteuse qu'il avait été exécuté sous la dynastie des Youen, de 1260 à 1368, et ne pouvait avoir, par conséquent, moins de cinq siècles d'existence. Le galant sinologue comptait sans les contrefaçons. Quelques années auparavant, l'amateur dont on faisait la vente, causant avec un négociant anglais de Shang-Haï du degré de perfection auquel atteint la contrefaçon chinoise, l'avait prié de lui en rapporter un spécimen. J'avais l'honneur d'être présent à l'entretien. C'est ce spécimen qui avait servi de prétexte à ce déploiement d'érudition. Mais en regardant à l'intérieur, sur l'étranglement du col du vase, on eût trouvé la marque du fabricant moderne, son nom, son adresse, la date de 1855, et, je crois bien, le nom du négociant anglais qui l'avait commandé.

Les Chinois en savent peut-être encore moins que nous sur cet objet. Si ce que disent les voyageurs revenant de ces lointaines contrées est exact, les nombreux amateurs du pays même paraissent ignorer ce que c'est que la contrefaçon, et ne font aucune différence entre les pièces imitées et les pièces originales.

De tout ceci il résulte que le goût et l'habitude sont, dans ces délicates matières, des moyens d'information au moins aussi précis que la sinologie, et que l'on n'arrivera à fixer des données certaines qu'en étudiant la forme, la couleur et l'ornementation de chaque pièce, sans tenir compte des marques de fabrique, et qu'en les comparant aver les pièces similaires connues. Il faut appliquer à la chinoiserie les procédés pratiques de la psychologie et de la médecine, et faire de la chinoiserie expérimentale. Autrement, les marques de fabrique sont encore destinées à jouer de bien singuliers tours à tous les académiciens du monde, savants ou non.

Les deux premières salles sont remplies par d'immenses quantités de ces pièces dont la décoration fond blanc à dessins bleus prenait, au siècle dernier, le nom de porcelaine à broderie. C'est la production céramique chinoise la plus commune, et celle qui a été le plus imitée. En Hollande les fabriques de Delft, en France celles de Rouen, ont évidemment pris pour modèle l'ornementation de cette porcelaine.

La salle suivante ne contient que des pièces monochromes bleu ardoise. Ces produits sont peut-être plus communs encore que ceux de la porcelaine à broderie. Assiettes, plats, tasses, soucoupes, théières, saladiers, pots, potiches, cornets, amphores, pots-pourris, brûle-parfums, jeux complets de cinq, de sept et même de onze pièces, on a réun¡ là toutes les variétés de meubles à l'usage des Chinois. Puis viennent deux salles uniquement consacrées à ce que nous appelons porcelaine du Japon, c'est-à-dire à ces porcelaines de toutes formes et de toutes grandeurs, dont la décoration invariable consiste en un fond blanc sur lequel se détachent des fleurs à larges pétales bleus ou rouges relevés de rehauts d'or. La peinture de ces pièces n'est jamais fine, mais elle est toujours singulièrement éclatante et harmonieuse. Quand on les examine attentivement, on remarque une chose, c'est que l'émail blanc servant de fond est presque toujours fendillé, tandis que les couleurs de l'ornementation offrent une surface parfaiment unie. En voici, m'a-t-on assuré, la cause: le Japon fabrique relativement peu de porcelaines, et la grande quantité qui s'y débite est importée de Chine; elles entrent complétement blanches dans les ports du Japon, d'où elles sont dirigées sur les villes de l'intérieur pour y recevoir leur décoration. Il arrive alors que, présentées une seconde fois au four pour que les couleurs japonaises puissent se vitrifier, la chaleur de la seconde cuisson fait craqueler l'engobe chinoise, tandis qu'elle est juste suffisante pour polir et faire adhérer l'engobe japonaise. Il y a une autre espèce de porcelaines japonaises, plus communes, sur lesquelles les couleurs sont plus grossièrement posées et cuites à un feu d'une température relativement inférieure. Sur celles-là l'engobe blanche reste parfaitement unie. Ce sont ces dernières pièces qui nous passent journellement sous les yeux.

En continuant ma visite, j'ai aperçu de grands pots en bleu violacé flambé, c'està-dire dont la couleur offre les stries et les vives ondulations d'une flambe de feu de sarment, et des vases d'une dimension plus petite et de formes assez pures, ayant reçu deux couvertes, la première blanche, la seconde café au lait. En posant la seconde couverte, on a réservé certaines parties de la couverte blanche, et dessiné ainsi en blanc des arabesques qui s'accusent légèrement en creux sur le profil du vase.

Toute une salle est consacrée aux pièces en bleu soufflé et doré. Il y a là plusieurs douzaines de services (un service se compose habituellement de douze douzaines, 144 assiettes) de cette porcelaine dont j'ai vu vendre une seule soucoupe cinquante et soixante francs. Le père Dentrecolles nous apprend, dans les lignes suivantes, de quelle façon s'obtient le bleu soufflé : « On a du bleu tout préparé; on prend un tuyau dont

« PrécédentContinuer »