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RECHERCHES

SUR

L'HISTOIRE DE L'ORFÉVRERIE FRANÇAISE

IV.

DIX-HUITIEME SIÈCLE.

(SUITE)

La recherche d'un style plus sage, l'esprit et la délicatesse de la main-d'œuvre, les moyens de donner aux pierreries artificielles la solidité qui leur manquait, telles étaient les préoccupations des orfévres et des joailliers lorsque s'ouvrit le règne de Louis XVI. Le sacre du roi fut, comme d'ordinaire, une occasion ardemment saisie par les artistes désireux de montrer leur habileté. C'est surtout en cette circonstance qu'Auguste mit le sceau à sa réputation, déjà brillante. Il est bon de rappeler qu'en 1761 il avait exécuté, d'après le dessin de l'architecte Charles de Wailly, les ornements de bronze doré. d'une colonne de porphyre qui, placée chez le marquis de Voyer, devait servir de support à un vase antique. Dans ce travail, Auguste s'était surtout montré ciseleur, et c'était là, en effet, son principal mérite. Il travailla aussi pour madame de Pompadour, et il fit pour elle une salière et une

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el 250.

1. Gazette des Beaux-Arts, t. IX, p. 45 et 82; t. X, p. 44 et 129; t. XI, p. 440

2. Mercure, octobre 1764.

poivrière en or dont la description nous a été conservée par l'auteur du catalogue du cabinet Randon de Boisset: « La salière était représentée par un matelot assis sur un rocher et tenant une huître; la poivrière par un jeune garçon qui tenait un sac sur lequel était figuré du poivre en grain. » Ces deux morceaux, dont chacun se plut à reconnaître le bon goût et la merveilleuse exécution, reposaient sur des pieds octogones en vermeil et ils furent vendus 6,000 livres. A la vente du cabinet Jacqmin, on vit passer un autre petit chef-d'œuvre d'Auguste; c'était un médaillon placé sur une boîte, et représentant un groupe d'enfants se livrant à divers jeux. Les Tablettes de renommée, qui font mention d'Auguste en 1772, le citent pour son habileté dans « tout ce qui concerne la vaisselle et les bijoux ciselés. »

A l'avènement de Louis XVI, Auguste devint l'orfévre préféré de la cour. Chargé d'exécuter la couronne du sacre, il montra dans ce travail un goût dont les connaisseurs surent lui tenir compte, et qui le mit au premier rang parmi les artistes du nouveau règne. Plus tard, il devint, avec son fils, fermier et régisseur des affinages de Paris, de Lyon et de Trévoux (lettres patentes du 20 janvier 1788). Enfin, par une lettre inédite conservée à Versailles dans la collection d'autographes de M. FosséDarcosse, et timbrée du 23 ventôse an XIII, le miniaturiste Augustin nous apprend qu'Auguste vient de mourir au Louvre. Cet habile artiste a une véritable importance historique : il caractérise d'autant mieux le goût du temps de Louis XVI que nous savons qu'en matière d'art il avait embrassé les doctrines nouvelles, et qu'il recherchait avant tout les formes pures imitées de l'antique. Ce témoignage lui est rendu par un des apôtres de la réforme, Bachelier, qui, dans un discours prononcé à l'école gratuite de dessin, en 1779, le cite comme un modèle, et presque comme un Grec1. Vous entendez bien qu'il s'agit ici d'un Grec à la manière de Vien.

Auguste n'avait pas été seul employé à faire la couronne du sacre : les travaux de cette œuvre solennelle exigeaient toujours le concours de deux artistes, un orfévre et un joaillier; à l'habileté d'Auguste, on associa donc celle d'Aubert. Le Régent, le Sancy et les plus belles pierreries du

1. Journal de Paris, 28 décembre 1779. Notons, en passant, que Bachelier décerne le même éloge à l'orfévre Rameau qui, sans avoir jamais eu autant de réputation qu'Auguste, doit cependant être considéré comme un artiste de quelque mérite. On ne sait presque rien sur son compte. Suvée, qui avait épousé la fille de Rameau, nous a laissé un portrait de son beau-père. Dans ce portrait, que nous avons vu au musée de Bruges, l'artiste est figuré dessinant d'après un modèle en terre cuite ou en cire représentant un groupe de femmes dans le goût pseudo-antique de Clodion.

roi furent utilisées en cette circonstance, et il paraît qu'Aubert les monta d'une manière nouvelle. Louis XV, qui avait pu apprécier son talent, l'avait logé au Louvre en 1773. Aubert s'enrichit dans le commerce des diamants. Fidèle à la tradition dont nous avons déjà montré plus d'un exemple, il aima les tableaux; il commandait deux paysages à Vernet (1772), il achetait une scène sentimentale à Wille le fils (1775). La vente de son cabinet eut lieu en 1786, et nous croyons qu'elle a suivi de très-près la mort du fameux joaillier.

La cérémonie du sacre de Louis XVI donna à un autre artiste l'occasion de se produire. On avait dû faire faire pour cette solennité un splendide carrosse, et cette voiture, s'il en faut croire les témoignages contemporains, ressemblait un peu à celle d'Amaranthe « où tant d'or se relevait en bosse. » Seulement, l'or était remplacé ici par des bronzes dorés qui avaient été fondus et ciselés par Jean-Louis Prieur, sculpteur, ciseleur et doreur du roi. Cet habile praticien publia plus tard (1783) une série d'eaux-fortes reproduisant les plus beaux ornements du carrosse du sacre, et il y ajouta des fleurons, des rinceaux, documents précieux à consulter comme témoignage du goût décoratif en honneur sous le règne de Louis XVI. Et, il faut bien le dire, nous touchons ici au moment précis où la ciselure a produit en France ses plus fines merveilles. Les maîtres qui y excellèrent alors sont en grand nombre; les textes font mention de Delarche, sculpteur ciseleur, qui, en 1777, présenta au roi la réduction en bronze du monument qui avait été érigé à Rouen en l'honneur de son prédécesseur, sur les modèles de J.-B. Lemoine 1; ils nous parlent aussi d'Hervieux, qui avait ciselé à la même époque les ornements en bronze doré de la chapelle de la Vierge, à Saint-Sulpice. Enfin, les Mémoires du temps citent en outre un certain Hauré, élève de Lemoine, qui sculptait des modèles de pendules, et qui, un peu trop épris des sujets compliqués, imagina, en 1779, de représenter en bronze doré au mat la cérémonie du couronnement de Voltaire à la Comédie-Française, composition aventureuse, œuvre d'un goût douteux qu'accompagnait le cortège des allégories à la mode ".

Ni Prieur, ni Delarche, ni Hervieux, ni Hauré, n'appartenaient au corps de l'orfévrerie de Paris : ils ne s'attaquaient guère qu'au cuivre ou aux compositions qui en tenaient lieu, mais ils le fondaient et le ciselaient de manière à rendre jaloux les plus savants orfévres. Bien d'autres, dont la biographie est resté ignorée, montraient dans cet art une dextérité

4. Mercure, mars 1777.

2. Journal de Paris, 23 avril 1777, et Mémoires secrets, X, 109.
3. Mémoires secrets, XIV, p. 24, et Journal de Paris, 11 avril 1779.

pareille. Qui ne connaît Gouttière, l'habile artiste qui montait si savamment les vases de porcelaine de Chine?... L'histoire de la curiosité est encore si peu avancée que nous manquons de documents authentiques sur ce maître, dont tout le monde parle, dont on sait à peine écrire le nom 1. M. Jules Labarte, dans son savant catalogue de la collection DebrugeDuménil, nous apprend seulement qu'il vivait sous Louis XV et sous Louis XVI, renseignement qui, à bien des égards, peut paraître vague. Nous avons le regret de ne pouvoir le préciser beaucoup. C'est en 1777 que nous voyons, pour la première fois, apparaître à la vente Randon de Boisset un ouvrage de Gouttière, « une paire de bras à deux branches portées par une figure d'enfant en forme de Terme; » et le catalogue ajoute que ces pièces, qui se vendirent 440 livres, étaient parfaitement finies et dorées d'or mat. Le cabinet de madame de Mazarin, vendu en 1781, montra aux amateurs un grand nombre « de lustres, de feux et de bras de bronze doré par Gouttier. » Enfin, c'est lui qui avait monté les plus beaux vases de la collection du duc d'Aumont, dispersée en 1782. Quand mourut Gouttière, nul, je le crois, ne l'a dit encore.

Cet art merveilleux de la ciselure triompha non-seulement dans ces grandes pièces d'apparat qui décoraient les cabinets des princes et des financiers, mais aussi dans l'exécution de ces mille menus objets qui se trouvaient dans tous les boudoirs, et, pour ainsi dire, dans toutes les mains. Le bijou, et même le bijou inutile, devint une sorte de frénésie. Qu'ils prissent ou non du tabac, les hommes avaient, dit Mercier, des boîtes pour chaque saison, et il était de bon goût d'en changer tous les jours. Lorsque le prince de Conti mourut, en 1776, il laissa près de huit cents tabatières. Un peu plus tard, il était d'une suprême élégance de porter deux montres (1780), et le vieux maréchal de Richelieu fut un des premiers à adopter cette mode, qui dut lui faire manquer plus d'un rendez-vous. En façonnant les flacons pour les eaux de senteur, les étuis que les coquettes avaient sur leur table, les crochets qu'elles suspendaient à leur ceinture, les boîtes à poudre qui décoraient leur toilette, les orfévres mélangeaient volontiers les ors de couleurs diverses, et ils tiraient de cette association, si longtemps défendue, des effets harmonieux et charmants. Le bijou monochrome cessa dès lors d'être toléré. Mercier va jusqu'à prétendre que, pour venir à bout de certaines dames aux mœurs faciles, il suffit « de changer leur navette, leur étui, leurs boîtes, parce que l'or ne sera point de plusieurs couleurs, et qu'il est indispensable que la mode à cet égard soit constamment suivie. »>

1. Les catalogues de ventes écrivent Gouthière, Gouttier, et même Gonthier.

Nous reproduisons, d'après une gravure de P. Moreau, un étui qui représente à merveille l'orfévrerie élégante des premières années du règne de Marie-Antoinette. Ce Moreau est encore un inconnu : nous ne possé

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dons sur son compte que deux dates: celle de 1771, inscrite sur le recueil d'où nous avons tiré notre étui1, et celle de 1776, que nous trouvons sur un autre cahier qui contient de charmants modèles de voitures. Nous ne sommes guère mieux informés en ce qui touche un certain Ma

1. Nouveau et IVe cahier concernant l'orpheverie, bijouterie et émeaux, dédié aux artistes, composé et gravé par P. Moreau, à Paris. 4771.

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