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Quentin Massys pressentit l'art de Shakespeare et l'art de Rembrandt, ce Shakespeare hollandais. Comme dans Homère et dans la Bible, ses conceptions embrassent le haut et le bas de l'humanité, le côté tragique et le côté burlesque. Il a encore quelque parenté avec son contemporain Rabelais, et le vieux Brvegel a été un de ses continuateurs. On peut même dire que, dans ses épisodes familiers accolés à des scènes terribles, dans ses Avares et ses Peseurs d'or, dans ses types de figures populaires, est en germe toute l'école flamande qui, au temps de Teniers et après lui, se consacra aux tableaux de mœurs. Il est absolument dans l'école flamande le pendant de Lucas de Leyde chez les Hollandais, lequel sert de lien entre l'école primitive et la grande école du XVIIe siècle.

Le musée d'Anvers possède encore de Quentin Massys une Madeleine, à mi-corps, soulevant le couvercle d'un vase à parfums, - le portrait d'un comptable des anciens droits d'accise à Anvers, - et, en pendants, une Tête de Christ et une Tête de Vierge, grandeur naturelle, peintes avec une délicatesse et une morbidesse extraordinaires, presque sans ombres. et dans la plus douce harmonie.

Quentin Massys avait eu plusieurs fils qui suivirent sa profession. Le plus connu est Jan, reçu franc-maître de la guilde de Saint-Luc en 1531, au moment où mourut son père. Ce Jan Massys, qui certainement alla étudier en Italie, cherche le style florentin dans plusieurs de ses œuvres. Anvers a de lui deux tableaux, une Visitation de la Vierge, signée JOANES MASSIIS 1558, et la Guérison de Tobie, avec cinq personnages de grandeur naturelle, signée JOANNES MASSIIS 1564. Au musée du Louvre une Bethsabée, également avec figures de grandeur naturelle, porte la même signature et la date 1562.

Jan Gossaert, de Maubeuge, plus connu sous le nom de Mabuse comme on appelait autrefois sa ville natale, est un des premiers artistes du Nord qui se laissèrent influencer par les Italiens. Mais, avant ses voyages outre monts, il avait peint, dans le style traditionnel de son pays, des tableaux très-caractérisés. Tels sont les Quatre Maries revenant.du tombeau du Christ et les Juges intègres, qui doivent dater de sa première manière, bien que les cadres portent les armoiries d'Adolphe de Bourgogne, auquel il s'attacha postérieurement à son retour d'Italie. Ces deux peintures peuvent compter parmi les chefs-d'œuvre du musée d'Anvers. Elles ont une religiosité grave, qu'on n'attendrait pas de cet artiste excentrique, représenté par les biographes comme un bouffon et un débauché. Est-il vrai qu'il ait causé indirectement la mort du grand Lucas de Leyde en l'entraînant dans ses orgies? Ce qu'il y a de sûr, c'est

que Dürer, comme il le raconte lui-même, admira beaucoup sa Descente de croix, dans une église de Middelburg.

La manière italianisée de Jan Gossaert a encore une certaine originalité, témoin la magnifique Adoration des Mages, signée JENNI Gossært, appartenant au comte de Carlisle, et qui fut exposée à Manchester. Un Ecce Homo du musée d'Anvers, provenant du célèbre cabinet Brentano d'Amsterdam, est signée IOANNES MALBODIVS INVENIT. Il doit aussi avoir été peint dans la seconde période du maître, de même qu'une Madone avec l'Enfant, un portrait de Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pas-Bas sous Charles-Quint, et un autre portrait de femme blonde, coiffée d'une toque rouge. En tout, six Mabuse au musée d'Anvers.

Viennent ensuite les Raphaëls flamands: Bernard Van Orley et son élève Michel Van Coxcyen le jeune. Van Orley eut l'honneur d'être lié avec Raphaël, et Van Coxcyen avec Vasari. C'est eux surtout qui rapportèrent dans les Flandres le style exotique et l'y implantèrent décidément pour tout un siècle. Bernard ne manque pas de délicatesse, mais il est maniéré souvent jusqu'à l'afféterie. Michel a une pratique fort délibérée, et il a produit un nombre considérable de grands tableaux, dispersés dans les musées et les églises de la Belgique. Il faut dire aussi qu'il a vécu très-vieux, et qu'il travaillait encore à l'âge de quatre-vingt-dix ans ! Le musée d'Anvers a de Bernard Van Orley une Adoration des Mages, dont les volets furent peints plus tard par A. de Rycker, un Enfant Jésus couché sur un coussin de velours, et trois portraits; de Michel Van Coxcyen un grand et vigoureux martyre de saint Sébastien, signé MICHIEL D. COXCYEN ÆTATIS SUE 76 FE. 1575, provenant de l'autel du Vieux Serment de l'Arc, à la cathédrale, et dont les volets peints par Ambroise Francken le Vieux sont également au musée; - un grand Triomphe du Christ, signé sans date; - et deux volets, Épisodes du martyre de saint Georges, ayant pour revers un Saint Georges, qui est le portrait du peintre lui-même, et une Sainte Marguerite, qu'on présume être le portrait de sa première femme.

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Un autre ardent propagateur de la Renaissance italienne fut Lambert Susterman, dit Lambert Lombard, de Liége, savant homme, à la fois poëte, philosophe, architecte, graveur, numismate et peintre. Il avait d'abord étudié chez Jan Gossaert, puis il avait couru en Italie demander des leçons à Andrea del Sarto. Il ne marque guère au musée d'Anvers, avec un seul portrait d'homme, en buste; mais son disciple Frans de Vriendt le Vieux, dit Frans Floris, y occupe une large place, avec une composition extrêmement fantastique, la Chute des anges rebelles, signée FF. IV. ET. FE. A. 1554. L'audacieux Frans Floris ambitionnait d'égaler

Michel-Ange, tout simplement. Il y a sans doute une énergie extraordinaire dans le dessin et le mouvement de ces groupes démoniaques qui combattent en l'air et tombent en grappes de monstres entremêlés avec des formes humaines; il y a une imagination désordonnée, et si bizarre, que M. Fierlants, qui a photographié quarante tableaux du musée d'Anvers pour le grand ouvrage publié à Bruxelles par la librairie Muquardt, n'a pas risqué la reproduction photographique de cette espèce de chef

d'œuvre !

Frans Floris était assurément un grand dessinateur, et il peint en anatomiste consommé les figures nues, peu familières à ses prédécesseurs. Dans un second tableau, l'Adoration des bergers, avec personnages et animaux de proportion naturelle, il montre également son habileté à peindre les draperies et les accessoires. Un troisième tableau représente son vieil ami Ryckaert Aertsz, déguisé en saint Luc et assis devant un chevalet, près duquel repose le bœuf symbolique, portant au front le blason de la confrérie des peintres; en arrière, un homme broie des couleurs c'est le portrait de Frans lui-même.

Son élève, Martin de Vos le vieux, tient encore plus de place que lui sur les lambris du musée; il y compte quatre triptyques, dont un a trois mètres et demi de haut, un Calvaire et une Nativité, de deux mètres et demi, un Saint François d'Assise, de même grandeur, avec onze petits tableaux qui l'entouraient dans le chœur de l'église des Récollets, une Tantation de saint Antoine, deux grisailles, etc. Les sujets principaux des triptyques sont le Triomphe du Christ, Saint Thomas touchant les plaies du Christ, le Denier de César, et Saint Luc peignant le portrait de la Vierge, avec l'un des volets peint par Otho Van Veen et l'autre par Martin Pepyn.

Plusieurs de ces tableaux ont des signatures entières, ou des monogrammes, et des dates 1579, 1590, 1601, 1602. Dans tous, on constate le style italien et l'imitation du Tintoret, dont Martin de Vos fut l'élève et l'ami, après qu'il eut quitté son premier maître, Frans Floris.

Parmi ces artistes du xvre siècle, il ne faut pas oublier Lambert Van Noort, né en Hollande, mais naturalisé Anversois par sa réception dans la bourgeoisie de la ville et dans la guilde de Saint-Luc. C'est pour cette corporation qu'il peignit les sept Sibylles conservées encore au musée, qui possède, de plus, une suite de neuf sujets empruntés à la vie du Christ, depuis la Nativité jusqu'à la Résurrection; ils sont datés de 1655 à 1665; deux ont la signature entière. Ce Lambert Van Noort est le père d'Adam Van Noort, à qui Rubens doit sa première éducation de peintre. Citons encore, de la même génération à peu près, Gilles Mostaert le

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vieux, reçu franc-maître en 1554, auteur d'un Christ en croix, entouré de portraits; Crispin Van den Broeck, auteur d'un Jugement dernier, signé et daté 1571; - Adrien Key, auteur de plusieurs portraits de la famille De Smidt et d'une Cène, signée et datée 1575; - Gilles Congnet le vieux, auteur d'un portrait du tambour du Vieux Serment de l'Arc, signé et daté 1581; François Francken le vieux et Ambroise Francken le vieux, tous deux fils de Nicolas Francken d'Herenthals, tous deux élèves du vieux Frans Floris; les tableaux d'Ambroise sont nombreux au musée : vingt compositions (volets compris), avec figures de grandeur naturelle! C'est estimable comme science, mais très-froid et peu attrayant. Nous retrouverons plus tard la seconde lignée de ces Francken.

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A présent, puisque nous avons passé les anonymes du xve siècle, si nous passons aussi ceux du xvi, parmi lesquels, cependant, on pourrait noter tant d'œuvres précieuses, entre autres un superbe triptyque peint en 1588 pour le Métier des forgerons, nous touchons aux maîtres qui enjambent sur le xvIIe siècle et qui purent avoir des relations quelconques avec Rubens.

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DESSINS DE M. INGRES'

DEUXIÈME SÉRIE

Lyng

C

SUR les murs de la modeste chambre où Girodet-Trioson couchait près de son superbe atelier, deux dessins de M. Ingres étaient fixés une première pensée pour la Stratonice et deux femmes communiant à l'autel 2. L'admiration que le peintre de la Révolte du Caire avait pour les œuvres dessinées de notre grand maître moderne a été tout dernièrement consacrée par le public. Le succès qu'obtint, auprès des artistes et des amateurs, la première exposition des dessins de M. Ingres, avait créé aux personnes qui en avaient eu la pensée l'obligation de compléter cette exhibition. D'autres morceaux ayant donc remplacé les premiers offerts aux

regards du public, nous avons à donner la provenance, la destination, l'histoire, en un mot, de ces nouveaux venus. Comme dans notre premier travail, nous diviserons ces dessins en trois classes. Dans la première, nous mettrons les composi

4. Voir dans la Gazette des Beaux-Arts, t. IX, p. 257, la profonde appréciation que M. Delaborde a faite des dessins de M. Ingres, ainsi que notre article, p. 343 du même tome.

2. Ce fait curieux nous a été raconté par un témoin oculaire, M. Émile Wattier.

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