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conçue, pouvant être aussi l'attribut du verbe, comme dans le verbe affirmo, ce verbe signifie deux affirmations, dont l'une regarde la personne qui parle, et l'autre la personne de qui on parle, soit que ce soit de soi-même, soit que ce soit d'un autre. Car quand je dis Petrus affirmat, affirmat est la même chose que est affirmans, et alors est marque mon affirmation ou le jugement que je fais touchant Pierre; et affirmans, l'affirmation que je conçois et que j'attribue à Pierre. Le verbe nego, au contraire, contient une affirmation et une négation par la même raison.

Car il faut encore remarquer que, quoique tous nos jugements ne soient pas affirmatifs, mais qu'il y en ait de négatifs, les verbes néanmoins ne signifient jamais d'eux-mêmes que les affirmations; la négation ne se marquant que par des particules, non, ne, ou par des noms qui l'enferment, nullus, nemo, nul, personne, qui, étant joints aux verbes, en changent l'affirmation en négation: nul homme n'est immortel : nullum corpus est indivisibile.

CHAPITRE III.

Ce que c'est qu'une proposition, et des quatre sortes de propositions.

Après avoir conçu les choses par nos idées, nous comparons ces idées ensemble; et, trouvant que les unes conviennent entre elles et que les autres ne conviennent pas, nous les lions ou délions, ce qui s'appelle affirmer ou nier, et généralement juger. Ce jugement s'appelle aussi proposition, et il est aisé de voir qu'elle doit avoir deux termes : l'un de qui l'on affirme ou de qui l'on nie, lequel on appelle sujet ; et l'autre que l'on affirme ou que l'on nie, lequel s'appelle attribut ou prædicatum.

Et il ne suffit pas de concevoir ces deux termes; mais il faut que l'esprit les lie ou les sépare: et cette action de notre esprit est marquée dans le discours par le verbe est, ou seul quand nous affirmons, ou avec une particule négative quand nous nions. Ainsi quand je dis Dieu est juste, Dieu est le sujet de cette proposition, et juste en est l'attribut; et le mot est marque l'action de mon esprit qui affirme, c'est-à-dire qui lie ensemble les deux idées de Dieu et de juste comme convenant l'un à l'autre. Que si je dis Dieu n'est pas injuste, est, étant joint avec les particules ne, pas, signifie l'action contraire à celle d'affirmer, savoir: celle de nier par laquelle je regarde ces idées comme répugnantes l'une à l'autre,

parce qu'il y a quelque chose d'enfermé dans l'idée d'injuste qui est contraire à ce qui est enfermé dans l'idée de Dieu34.

Mais, quoique toute proposition enferme nécessairement ces trois choses, néanmoins, comme l'on a dit dans le chapitre précédent, elle peut n'avoir que deux mots ou même qu'un.

Car les hommes, voulant abréger leurs discours, ont fait une infinité de mots qui signifient tout ensemble l'affirmation, c'est-àdire ce qui est signifié par le verbe substantif, et de plus un certain attribut qui est affirmé. Tels sont tous les verbes, hors celui qu'on appelle substantif, comme Dieu existe, c'est-à-dire est existant; Dieu aime les hommes, c'est-à-dire Dieu est aimant les hommes et le verbe substantif, quand il est seul, comme quand je dis je pense, donc je suis, cesse d'être purement substantif, parce qu'alors on y joint le plus général des attributs qui est l'étre; car je suis veut dire, je suis un être, je suis quelque chose.

Il y a aussi d'autres rencontres où le sujet et l'affirmation sont renfermés dans un même mot, comme dans les premières et secondes personnes des verbes, surtout en latin; comme quand je dis: sum christianus; car le sujet de cette proposition est ego, qui est renfermé dans sum.

D'où il paraît que, dans cette même langue, un seul mot fait une proposition dans les premières et les secondes personnes des verbes, qui, par leur nature, enferment déjà l'affirmation avec l'attribut; comme veni, vidi, vici, sont trois propositions.

On voit par là que toute proposition est affirmative ou négative, et que c'est ce qui est marqué par le verbe, qui est affirmé ou nié.

Mais il y a une autre différence dans les propositions, laquelle naît de leur sujet, qui est d'être universelles, ou particulières, ou singulières.

Car les termes, comme nous avons déjà dit dans la première partie, sont ou singuliers, ou communs et universels.

Et les termes universels peuvent être pris, ou selon toute leur étendue, en les joignant aux signes universels exprimés, ou sousentendus, comme omnis, tout, pour l'affirmation ; nullus, nul, pour la négation tout homme, nul homme.

Ou selon une partie indéterminée de leur étendue, qui est lorsqu'on y joint le mot aliquis, quelque, comme quelque homme, quelques hommes, ou d'autres, selon l'usage des langues.

D'où il arrive une différence notable dans les propositions; car, lorsque le sujet d'une proposition est un terme commun qui est

pris dans toute son étendue, la proposition s'appelle universelle, soit qu'elle soit affirmative, comme tout impie est fou; ou négative, comme nul vicieux n'est heureux.

Et, lorsque le terme commun n'est pris que selon une partie indéterminée de son étendue, à cause qu'il est resserré par le mot indéterminé quelque, la proposition s'appelle particulière, soit qu'elle affirme, comme quelque cruel est lâche; soit qu'elle nie, comme quelque pauvre n'est pas malheureux.

Que si le sujet d'une proposition est singulier, comme quand je dis, Louis XIII a pris La Rochelle, on l'appelle singulière.

Mais, quoique cette proposition singulière soit différente de l'universelle, en ce que son sujet n'est pas commun, elle doit néanmoins plutôt s'y rapporter qu'à la particulière; parce que son sujet, par cela même qu'il est singulier, est nécessairement pris dans toute son étendue; ce qui fait l'essence d'une proposition universelle, et qui la distingue de la particulière; car il importe peu pour l'universalité d'une proposition, que l'étendue de son sujet soit grande ou petite, pourvu que, telle qu'elle soit, on la prenne tout entière; et c'est pourquoi les propositions singulières tiennent lieu d'universelles dans l'argumentation. Ainsi l'on peut réduire toutes les propositions à quatre sortes, que l'on a marquées par ces quatre voyelles, A, E, I, O, pour soulager la mémoire.

A. L'universelle affirmative, comme, tout vicieux est esclave.
E. L'universelle négative, comme, nul vicieux n'est heureux.
I. La particulière affirmative, comme, quelque vicieux est riche.
O. La particulière négative, comme, quelque vicieux n'est pas
riche.

Et pour les faire mieux retenir, on a fait ces deux vers:

Asserit A, negat E, verùm generaliter ambo;

Asserit 1, negat 0, sed particulariter ambo.

On a aussi accoutumé d'appeler quantité, l'universalité ou la particularité des propositions.

Et on appelle qualité, l'affirmation ou la négation qui dépendent du verbe, qui est regardé comme la forme de la proposition. Et ainsi, A et E conviennent selon la quantité, et different selon la qualité, et de même I et O.

Mais A et I conviennent selon la qualité, et diffèrent selon la quantité, et de même E et 0)55.

Les propositions se divisent encore, selon la matière, en vraies et en fausses; et il est clair qu'il n'y en peut point avoir qui ne soient ni vraies ni fausses, puisque toute proposition marquant le jugement que nous faisons des choses, elle est vraie quand ce jugement est conforme à la vérité, et fausse lorsqu'il n'y est pas conforme.

Mais, parce que nous manquons souvent de lumière pour reconnaître le vrai et le faux, outre les propositions qui nous paraissent certainement vraies, et celles qui nous paraissent certainement fausses, il y en a qui nous semblent vraies, mais dont la vérité ne nous est pas si évidente que nous n'ayons quelque appréhension qu'elles ne soient fausses, ou bien qui nous semblent fausses, mais de la fausseté desquelles nous ne nous tenons pas assurés. Ce sont les propositions qu'on appelle probables, dont les premières sont plus probables, et les dernières moins probables. Nous dirons quelque chose dans la quatrième partie, de ce qui nous fait juger avec certitude qu'une proposition est vraie.

CHAPITRE IV.

De l'opposition entre les propositions qui ont même sujet et même attribut.

Nous venons de dire qu'il y a quatre sortes de propositions, A, E, I, O. On demande maintenant quelle convenance ou disconvenance elles ont ensemble, lorsqu'on fait du même sujet et du même attribut diverses sortes de propositions. C'est ce qu'on appelle opposition.

Et il est aisé de voir que cette opposition ne peut être que de trois sortes, quoique l'une des trois se divise en deux autres.

Car, si elles sont opposées en quantité et en qualité tout ensemble, comme A, O, et E, I, on les appelle contradictoires, comme, tout homme est animal, quelque homme n'est pas animal; nul n'est impeccable, quelque homme est impeccable.

Si elles diffèrent en quantité seulement, et qu'elles conviennent en qualité, comme A, I, et E, O, on les appelle subalternes, comme, tout homme est animal, quelque homme est animal; nul homme homme n'est impeccable, quelque homme n'est pas impeccable.

Et si elles diffèrent en qualité, et qu'elles conviennent en quantité. alors elles sont appelées contraires, ou subcontraires; con»

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traires, quand elles sont universelles, comme, tout homme est animal, nul homme n'est animal;

Subcontraires, quand elles sont particulières, comme, quelque homme est animal, quelque homme n'est pas animal.

En regardant maintenant ces propositions opposées selon la vérité ou la fausseté, il est aisé de juger,

1° Que les contradictoires ne sont jamais ni vraies, ni fausses ensemble; mais si l'une est vraie, l'autre est fausse; et si l'une est fausse, l'autre est vraie : car s'il est vrai que tout homme soit animal, il ne peut pas être vrai que quelque homme n'est pas animal; et si, au contraire, il est vrai que quelque homme n'est pas animal, il n'est donc pas vrai que tout homme soit animal. Cela est si clair, qu'on ne pourrait que l'obscurcir en l'expliquant davantage. 2o Les contraires ne peuvent jamais être vraies ensemble; mais elles peuvent être toutes deux fausses. Elles ne peuvent être vraies, parce que les contradictoires seraient vraies; car s'il est vrai que tout homme soit animal, il est faux que quelque homme n'est pas animal, qui est la contradictoire, et par conséquent encore plus faux que nul homme ne soit animal, qui est la contraire.

Mais la fausseté de l'une n'emporte pas la vérité de l'autre ; car il peut être faux que tous les hommes soient justes, sans qu'il soit vrai pour cela que nul homme ne soit juste, puisqu'il peut y avoir des hommes justes, quoique tous ne soient pas justes.

3o Les subcontraires, par une règle toute opposée à celle des contraires, peuvent être vraies ensemble, comme ces deux-ci, quelque homme est juste, quelque homme n'est pas juste; parce que la justice peut convenir à une partie des hommes, et ne pas convenir à l'autre; et ainsi l'affirmation et la négation ne regardent pas le même sujet, puisque quelque homme est pris pour une partie des hommes dans l'une des propositions, et pour une autre partie dans l'autre. Mais elles ne peuvent être toutes deux fausses; puisque autrement les contradictoires seraient toutes deux fausses, car s'il était faux que quelque homme fût juste, il serait donc vrai que nul homme n'est juste, qui est la contradictoire, et à plus forte raison que quelque homme n'est pas juste, qui est la subcontraire.

4o Pour les subalternes, ce n'est pas une véritable opposition, puisque la particulière est une suite de la générale; car, si tout homme est animal, quelque homme est animal; si nul homme n'est singe, quelque homme n'est pas singe. C'est pourquoi la vérité des universelles emporte celle des particulières; mais la vérité des particulières n'emporte pas celle des universelles; car il ne s'en

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