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souvenir de ce principe d'équité, que la plupart des règles ayant des exceptions, elles ne laissent pas d'avoir leur force dans les choses qui ne sont point comprises dans l'exception.

C'est par ces principes qu'il faut décider cette importante question, si l'on peut donner à ces paroles, ceci est mon corps, le sens de figure; ou plutôt, c'est par ces principes que toute la terre l'a décidée, toutes les nations du monde s'étant portées naturellement à les prendre au sens de réalité, et à en exclure le sens de figure; car les apôtres ne regardant pas le pain comme un signe, et n'étant point en peine de ce qu'il signifiait, Jésus-Christ n'aurait pu donner aux signes le nom des choses, sans parler contre l'usage de tous les hommes, et sans les tromper : ils pouvaient peut-être regarder ce qui se faisait comme quelque chose de grand; mais cela ne suffit pas.

Je n'ai plus à remarquer sur le sujet des signes, auxquels l'on donne le nom des choses, sinon qu'il faut extrêmement distinguer entre les expressions où l'on se sert du nom de la chose pour marquer le signe, comme quand on appelle un tableau d'Alexandre du nom d'Alexandre, et celles dans lesquelles le signe étant marqué par son nom propre, ou par un pronom, on en affirme la chose signifiée; car cette règle, qu'il faut que l'esprit de ceux à qui on parle regarde déjà le signe comme signe, et soit en peine de savoir de quoi il est signe, ne s'entend nullement du premier genre d'expressions, mais seulement du second, où l'on affirme expressément du signe de la chose signifiée; car on ne se sert de ces expressions que pour apprendre à ceux à qui l'on parle ce que signifie ce signe, et on ne le fait en cette manière que lorsqu'ils sont suffisamment préparés à concevoir que le signe n'est la chose signifiée qu'en signification et en figure.

CHAPITRE XV.

De deux sortes de propositions qui sont de grand usage dans les sciences, la division et la définition, et premièrement de la division.

Il est nécessaire de dire quelque chose en particulier de deux sortes de propositions qui sont de grand usage dans les sciences, la division et la définition.

La division est le partage d'un tout en ce qu'il contient.

Mais comme il y a deux sortes de tout, il y a aussi deux sortes de divisions. Il y a un tout composé de plusieurs parties réellement distinctes, appelé en latin totum, et dont les parties sont appelées

parties intégrantes. La division de ce tout s'appelle proprement partition; comme quand on divise une maison en ses appartements, une ville en ses quartiers, un royaume ou un état en ses provinces, l'homme en corps et en âme, le corps en ses membres. La seule règle de cette division est de faire des dénombrements bien exacts et auxquels il ne manque rien.

L'autre tout est appelé en latin omne, et ses parties, parties subjectives ou inférieures, parce que ce tout est un terme commun, et ses parties sont les sujets compris dans son étendue. Le mot d'animal est un tout de cette nature, dont les inférieurs, comme homme et béte, qui sont compris dans son étendue, sont les parties subjectives. Cette division retient proprement le nom de division, et on en peut remarquer de quatre sortes.

La 1 est quand on divise le genre par ses espèces : Toute substance est corps ou esprit; tout animal est homme ou béte.

La 2o est quand on divise le genre par ses différences : Tout animal est raisonnable ou privé de raison; tout nombre est pair ou impair; toute proposition est vraie ou fausse; toute ligne est droite ou courbe.

La 3o quand on divise un sujet commun par les accidents opposés dont il est capable, ou selon ses divers inférieurs, ou en divers temps, comme: Tout astre est lumineux par soi-même, ou seulement par réflexion; tout corps est en mouvement ou en repos ; tous les Français sont nobles ou roturiers; tout homme est sain ou malade; tous les peuples se servent pour s'exprimer, ou de la parole seulement, ou de l'écriture outre la parole.

La 4o d'un accident en ses divers sujets, comme la division des biens en ceux de l'esprit et du corps.

Les règles de la division sont : 1, qu'elle soit entière, c'est-àdire que les membres de la division comprennent toute l'étendue du terme que l'on divise, comme pair et impair comprennent toute l'étendue du terme de nombre, n'y en ayant point qui ne soit pair ou impair. Il n'y a presque rien qui fasse faire tant de faux raisonnements que le défaut d'attention à cette règle; et ce qui trompe est qu'il y a souvent des termes qui paraissent tellement opposés, qu'ils semblent ne point souffrir de milieu, et qui ne laissent pas d'en avoir. Ainsi, entre ignorant et savant, il y a une certaine médiocrité de savoir qui tire un homme du rang des ignorants, et qui ne le met pas encore au rang des savants. Entre vicieux et vertueux, il y a aussi un certain état dont on peut dire ce que Tacite dit de Galba, magis extra vitia, quàm cum virtuti

bus 70; car il y a des gens qui, n'ayant point de vices grossiers, ne sont pas appelés vicieux, et qui, ne faisant point de bien, ne peuvent point être appelés vertueux, quoique devant Dieu ce soit un grand vice que de n'avoir point de vertu. Entre sain et malade, il y a l'état d'un homme indisposé ou convalescent : entre le jour et la nuit, il y a le crépuscule: entre les vices opposés, il y a le milieu de la vertu, comme la piété entre l'impiété et la superstition; et quelquefois ce milieu est double, comme entre l'avarice et la prodigalité, il y a libéralité, et une épargne louable: entre la timidité qui craint tout et la témérité qui ne craint rien, il y a la générosité, qui ne s'étonne point des périls, et une précaution raisonnable, qui fait éviter ceux auxquels il n'est pas à propos de s'exposer.

La deuxième règle, qui est une suite de la première, est que les membres de la division soient opposés, comme pair, impair; raisonnable, privé de raison. Mais il faut remarquer ce qu'on a déjà dit dans la première partie, qu'il n'est pas nécessaire que toutes les différences qui font ses membres opposés soient positives; mais qu'il suffit que l'une le soit, et que l'autre soit le genre seul avec la négation de l'autre différence; et c'est même par là qu'on fait que les membres sont plus certainement opposés. Ainsi, la différence de la bête d'avec l'homme n'est que la privation de la raison, qui n'est rien de positif : l'imparité n'est que la négation de la divisibilité en deux parties égales. Le nombre premier n'a rien que n'ait le nombre composé; l'un et l'autre ayant l'unité pour mesure, et celui qu'on appelle premier n'étant différent du composé, qu'en ce qu'il n'a point d'autre mesure que l'unité.

Néanmoins, il faut avouer que c'est le meilleur d'exprimer les différences opposées par des termes positifs, quand cela se peut; parce que cela fait mieux entendre la nature des membres de la division. C'est pourquoi la division de la substance en celle qui pense et celle qui est étendue, est beaucoup meilleure que la commune, en celle qui est matérielle, et celle qui est immatérielle, ou bien en celle qui est corporelle, et celle qui n'est pas corporelle; parce que les mots d'immatérielle ou d'incorporelle ne nous donnent qu'une idée fort imparfaite et fort confuse de ce qui se comprend beaucoup mieux par les mots de substance qui pense.

La troisième règle, qui est une suite de la seconde, est que l'un des membres ne soit pas tellement enfermé dans l'autre, que l'autre en puisse être affirmé, quoiqu'il puisse quelquefois y être enfermé en une autre manière; car la ligne est enfermée dans la

surface comme le terme de la surface, et la surface dans le solide comme le terme du solide. Mais cela n'empêche pas que l'étendue ne se divise en ligne, surface et solide, parce qu'on ne peut pas dire que la ligne soit surface, ni la surface solide. On ne peut pas, au contraire, diviser le nombre en pair, impair et carré, parce que tout nombre carré étant pair ou impair, il est enfermé dans les deux premiers membres.

On ne doit pas aussi diviser les opinions en vraies, fausses et probables, parce que toute opinion probable est vraie ou fausse. Mais on peut les diviser premièrement en vraies et en fausses, et puis diviser les unes et les autres en certaines et en probables 71.

Ramus et ses partisans se sont fort tourmentés pour montrer que toutes les divisions ne doivent avoir que deux membres. Tant qu'on peut le faire commodément, c'est le meilleur; mais la clarté et la facilité étant ce qu'on doit le plus considérer dans les sciences, on ne doit pas rejeter les divisions en trois membres, et plus encore, quand elles sont plus naturelles, et qu'on aurait besoin de subdivisions forcées pour les faire toujours en deux membres : car alors, au lieu de soulager l'esprit, ce qui est le principal fruit de la division, on l'accable par un grand nombre de subdivisions, qu'il est bien plus difficile de retenir, que si tout d'un coup on avait fait plus de membres à ce que l'on divise. Par exemple, n'est-il pas plus court, plus simple et plus naturel de dire : Toute étendue est, ou ligne, ou surface, ou solide, que de dire comme Ramus : Magnitudo est linea vel lineatum : lineatum est superficies vel solidum 72?

Enfin, on peut remarquer que c'est un égal défaut de ne faire pas assez et de faire trop de divisions; l'un n'éclaire pas assez l'esprit, et l'autre le dissipe trop. Grassot 75, qui est un philosophe estimable entre les interprètes d'Aristote, a nui à son livre par le trop grand nombre de divisions. On retombe par là dans la confusion que l'on prétend éviter : confusum est quidquid in pulverem sectum est 74.

CHAPITRE XVI.

De la définition qu'on appelle définition de choses.

Nous avons parlé fort au long, dans la première partie, des définitions de noms, et nous avons montré qu'il ne fallait pas les confondre avec les définitions des choses; parce que les définitions des noms sont arbitraires, au lieu que les définitions des choses ne

dépendent point de nous, mais de ce qui est enfermé dans la véritable idée d'une chose, et ne doivent point être prises pour principes, mais être considérées comme des propositions qui doivent souvent être confirmées par raison, et qui peuvent être combattues. Ce n'est donc que de cette dernière sorte de définition que nous parlons en ce lieu.

Il y en a de deux sortes: l'une plus exacte, qui retient le nom de définition; l'autre moins exacte, qu'on appelle description.

La plus exacte est celle qui explique la nature d'une chose par ses attributs essentiels, dont ceux qul sont communs s'appellent genre, et ceux qui sont propres différence.

Ainsi on définit l'homme un animal raisonnable; l'esprit, une substance qui pense; le corps, une substance étendue; Dieu, l'être parfait. Il faut, autant que l'on peut, que ce qu'on met pour genre dans la définition, soit le genre prochain du défini, et non pas seulement le genre éloigné.

On définit aussi quelquefois par les parties intégrantes, comme lorsqu'on dit que l'homme est une chose composée d'un esprit et d'un corps. Mais alors même il y a quelque chose qui tient lieu de genre, comme le mot de chose composée, et le reste tient lieu de différence.

La définition moins exacte, qu'on appelle description, est celle qui donne quelque connaissance d'une chose par les accidents qui lui sont propres, et qui la déterminent assez pour en donner · quelque idée qui la discerne des autres.

C'est en cette manière qu'on décrit les herbes, les fruits, les animaux, par leur figure, par leur grandeur, par leur couleur et autres semblables accidents. C'est de cette nature que sont les descriptions des poètes et des orateurs.

Il y a aussi des définitions ou descriptions qui se font par les causes, par la matière, par la forme, par la fin, etc., comme si on définit une horloge, une machine de fer composée de diverses roues, dont le mouvement réglé est propre à marquer les heures. Il y a trois choses nécessaires à une bonne définition : qu'elle soit universelle, qu'elle soit propre, qu'elle soit claire.

1o Il faut qu'une définition soit universelle, c'est-à-dire qu'elle comprenne tout le défini. C'est pourquoi la définition commune du temps, que c'est la mesure du mouvement, n'est peut-être pas bonne, parce qu'il y a grande apparence que le temps ne mesure pas moins le repos que le mouvement, puisqu'on dit aussi bien qu'une chose a été tant de temps en repos, comme on dit qu'elle

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