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ce qui a fait qu'il a toujours condamné l'arrogance et présomption de ceux qui opinent, c'est-à-dire de ceux qui présument savoir ce qu'ils ne savent pas, mais qu'il n'a jamais blâmé la juste persuasion de ceux qui croient avec prudence 28. Car, comme remarque fort judicieusement saint Augustin au chapitre xv, de l'utilité de la croyance: « il y a trois choses en l'esprit de l'homme qui ont - entre elles un très grand rapport et semblent quasi n'être qu'une « même chose, mais qu'il faut néanmoins très soigneusement distinguer, savoir est: ENTENDRE, CROIRE et OPINER.

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« Celui-là ENTEND qui comprend quelque chose par des raisons certaines. Celui-là CROIT, lequel, emporté par le poids et le crédit de quelque grave et puissante autorité, tient pour vrai cela même qu'il ne comprend pas par des raisons certaines. Celui-là OPINE qui se persuade ou plutôt qui présume de savoir « ce qu'il ne sait pas.

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Or c'est une chose honteuse et fort indigne d'un homme que d'OPINER, pour deux raisons : la première, pource que celui-là

. n'est plus en état d'apprendre qui s'est déjà persuadé savoir de « ce qu'il ignore; et la seconde, pource que la présomption est de soi la marque d'un esprit mal fait et d'un homme de peu de

a

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sens.

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Donc ce que nous entendons nous le devons A LA RAISON, ce « que nous croyons A L'AUTORITÉ, ce que nous opinons A L'ERREUR. Je dis cela afin que nous sachions qu'ajoutant foi même « aux choses que nous ne comprenons pas encore, nous sommes exempts de la présomption de ceux qui opinent. Car ceux qui disent qu'il ne faut rien croire que ce que nous savons, tâchent - seulement de ne point tomber dans la faute de ceux qui opinent, laquelle en effet est de soi honteuse et blâmable. Mais si quel«qu'un considère avec soin la grande différence qu'il y a entre celui qui présume savoir ce qu'il ne sait pas, et celui qui croit « ce qu'il sait bien qu'il n'entend pas, y étant toutefois porté par - quelque puissante autorité, il verra que celui-ci évite sage«ment le péril de l'erreur, le blâme de peu de confiance et d'humanité, et le péché de superbe.

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Et un peu après, chap. XII, il ajoute :

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On peut apporter plusieurs raisons qui feront voir qu'il ne « reste plus rien d'assuré parmi la société des hommes, si nous sommes résolus de ne rien croire que ce que nous pourrons - connaître certainement. Jusques ici saint Augustin.

"

M. Descartes peut maintenant juger combien il est nécessaire

de distinguer ces choses, de peur que plusieurs de ceux qui penchent aujourd'hui vers l'impiété ne puissent se servir de ses paroles pour combattre la foi et la vérité de notre créance.

Mais ce dont je prévois que les théologiens s'offenseront le plus est que, selon ses principes, il ne semble pas que les choses que l'Église nous enseigne touchant le sacré mystère de l'Eucharistie puissent subsister et demeurer en leur entier. Car nous tenons pour article de foi que la substance du pain étant ôtée du pain eucharistique, les seuls accidents y demeurent. Or ces accidents sont l'étendue, la figure, la couleur, l'odeur, la saveur et les autres qualités sensibles.

De qualités sensibles notre auteur n'en reconnaît point, mais seulement certains différents mouvements des petits corps qui sont autour de nous, par le moyen desquels nous sentons ces différentes impressions, lesquelles puis après nous appelons du nom de couleur, de saveur, d'odeur, etc. Ainsi il reste seulement la figure, l'étendue et la mobilité. Mais notre auteur nie que ces facultés puissent être entendues sans quelque substance en laquelle ils résident, et partant aussi qu'elles puissent exister sans elle; ce que même il répète dans ses réponses aux premières Objections.

Il ne reconnaît point aussi entre ces modes ou affections et la substance d'autre distinction que la formelle, laquelle ne suffit pas, ce semble, pour que les choses qui sont ainsi distinguées puissent être séparées l'une de l'autre, même par la toute-puissance de Dieu.

Je ne doute point que M. Descartes, dont la piété nous est très connue, n'examine et ne pèse diligemment ces choses, et qu'il ne juge bien qu'il lui faut soigneusement prendre garde qu'en tâchant de soutenir la cause de Dieu contre l'impiété des libertins, il ne semble pas leur avoir mis des armes en main pour combattre une foi que l'autorité du Dieu qu'il défend a fondée, et au moyen de laquelle il espère parvenir à cette vie immortelle qu'il a entrepris de persuader aux hommes.

NOTES

SUR LES OBJECTIONS CONTRE LES MÉDITATIONS

(1) On peut voir dans l'introduction ce qui avait amené le P. Mersenne à communiquer le manuscrit des Méditations à Arnauld.

(2) Arnauld, alors occupé à professer la philosophie et à se préparer à son doctorat, éprouvait des difficultés de la part du cardinal de Richelieu pour entrer dans la société de Sorbonne.

(3) Voyez la seconde Méditation.

(4) Ibid, ibid.

(5) Ibid., ibid.

(6) Voyez la sixième Méditation.

(7) La distinction formelle ou modale est celle qui se trouve entre les attributs d'une chose, comme la miséricorde et la justice en Dieu, le mouvement et la figure dans le corps. La distinction réelle est celle de deux êtres qui existent chacun à part, comme un arbre, une pierre, etc. Descartes admettait que la première suffit pour qu'une chose soit conçue, par abstraction de l'esprit, séparément d'une autre; mais que la distinction réelle est nécessaire pour que deux objets nous paraissent, comme le corps et l'âme, former chacun un être complet et différent. Sa pensée est très fidèlement exposée par Arnauld.

(8) Voyez les Réponses aux premières Objections.

(9) Voyez la seconde Méditation.

(10) Voyez la sixième Méditation.

(11) Voyez le premier Alcibiade de Platon, t. V, p. 110 des OEuvres complètes, traduites par M. Cousin.

(12) Voyez la troisième Méditation.

(13) Une chose est objectivement dans l'entendement, quand elle y est représentée, qu'il la connaît. Objectivement et par représentation, sont deux expressions synonymes. On les oppose en général à formellement ou éminemment. Suivant une définition donnée par Descartes même (Réponses aux secondes Objections) « les mêmes choses sont dites être formellement dans les objets des idées, quand elles sont en eux telles que nous les concevons, et elles sont dites y être éminemment, quand elles n'y sont pas à la vérité telles, mais qu'elles peuvent suppléer à ce défaut par leur excellence.»

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OBJECTIONS CONTRE LES MEDITATIONS. (14) Voyez la troisième Méditation.

(15) Ibid., ibid.

(16) Ibid., ibid.

(17) Voyez les premières Objections, par Catérus. (18) Voyez les Réponses aux premières Objections. (19) Voyez la troisième Méditation.

(20) Voyez les Réponses aux premières Objections. (21) Voyez la troisième Méditation.

(22) Ibid., ibid.

(23) Voyez les Réponses aux premières Objections.

(24) Voyez la cinquième Méditation. En répondant à Arnauld, Descartes convient, comme nous l'avons dit dans l'introduction, 1o que Dieu n'est pas la cause efficiente de lui-même; 20 qu'il ne se conserve par aucune influence positive, et il se borne à justifier les termes de la troisième Méditation; ce qu'il déduisit peut-être plus au long que la chose ne semblait le mériter, « afin, dit-il, de montrer qu'il prenait soigneusement garde à ne pas mettre dans ses écrits la moindre chose que les théologiens pussent censurer avec raison.

(25) Voyez la troisième Méditation. Arnauld est revenu sur cette objection dans une lettre à Descartes, sous la date du 15 juillet 1648. Descartes lui répondit le jour même et le ramena à son sentiment. La question a été reprise par Locke, Essai sur l'Ent. hum., II, ch. 1, § 9 et suivants. (26) Voyez la sixième Méditation.

(27) En publiant les Méditations, Descartes a suivi le conseil d'Arnauld. (28) Le conseil d'Arnauld a été également suivi par Descartes dans l'Abrégé des Méditations qui accompagne l'ouvrage.

LA LOGIQUE

OU

L'ART DE PENSER

CONTENANT, OUTRE LES RÈGLES COMMUNES,

PLUSIEURS OBSERVATIONS NOUVELLES

PROPRES A FORMER LE JUGEMENT.

AVIS.

La naissance de ce petit ouvrage est due entièrement au hasard, et plutôt à une espèce de divertissement qu'à un dessein sérieux. Une personne de condition entretenant un jeune seigneur (a), qui dans un âge peu avancé faisait paraître beaucoup de solidité et de pénétration d'esprit, lui dit qu'étant jeune, il avait trouvé un homme qui l'avait rendu, en quinze jours, capable de répondre sur une partie de la logique. Ce discours donna occasion à une autre personne qui était présente, et qui n'avait pas grande estime pour cette science, de répondre en riant, que si Monseigneur... voulait en prendre la peine, on s'engagerait bien à lui apprendre en quatre ou cinq jours tout ce qu'il y avait d'utile dans la logique. Cette proposition faite en l'air ayant servi quelque temps d'entretien, on se résolut d'en faire l'essai; mais comme on ne jugea

(a) Honoré d'Albert, duc de Chevreuse.

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