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conçu en niant de lui la chose dont il serait mode. D'où l'on infère encore que la pensée n'étant point un mode de la substance. étendue, il faut que ce soit l'attribut d'une autre substance; et qu'ainsi la substance qui pense et la substance étendue soient deux substances réellement distinctes. D'où il s'ensuit que la destruction de l'une ne doit point emporter la destruction de l'autre; puisque même la substance étendue n'est point proprement détruite, mais que tout ce qui arrive, en ce que nous appelons destruction, n'est autre chose que le changement ou la dissolution de quelques parties de la matière qui demeure toujours dans la nature, comme nous jugeons fort bien qu'en rompant toutes les roues d'une horloge, il n'y a point de substance détruite, quoique l'on dise que cette horloge est détruite: ce qui fait voir que l'âme, n'étant point divisible et composée d'aucunes parties, ne peut périr, et par conséquent qu'elle est immortelle.

Voilà ce qu'on appelle analyse ou résolution, où il faut remarquer 1° qu'on doit y pratiquer, aussi bien que dans la méthode qu'on appelle de composition, de passer toujours de ce qui est plus connu à ce qui l'est moins; car il n'y a point de vraie méthode qui puisse se dispenser de cette règle.

2o Mais qu'elle diffère de celle de composition, en ce que l'on prend ces vérités connues dans l'examen particulier de la chose que l'on se propose de connaître, et non dans les choses plus générales, comme on fait dans la méthode de doctrine. Ainsi, dans l'exemple que nous avons proposé, on ne commence pas par l'établissement de ces maximes générales: Que nulle substance ne périt à proprement parler; que ce qu'on appelle destruction n'est qu'une dissolution de parties; qu'ainsi ce qui n'a point de parties ne peut être détruit, etc.; mais on monte par degrés à ces connaissances générales.

3o On n'y propose les maximes claires et évidentes qu'à mesure qu'on en a besoin, au lieu que dans l'autre on les établit d'abord, ainsi que nous dirons plus bas.

4o Enfin, ces deux méthodes ne diffèrent que comme le chemin qu'on fait en montant d'une vallée en une montagne, de celui que l'on fait en descendant de la montagne dans la vallée; ou comme diffèrent les deux manières dont on peut se servir pour prouver qu'une personne est descendue de saint Louis, dont l'une est de montrer que cette personne a tel pour père, qui était fils d'un tel, et celui-là d'un autre, et ainsi jusqu'à saint Louis; et l'autre de commencer par saint Louis, et montrer qu'il a eu tels enfants, et

ces enfants d'autres, en descendant jusqu'à la personne dont il s'agit: et cet exemple est d'autant plus propre, en cette rencontre, qu'il est certain que, pour trouver une généalogie inconnue, il faut remonter du fils au père; au lieu que, pour l'expliquer après l'avoir trouvée, la manière la plus ordinaire est de commencer par le tronc pour en faire voir les descendants; qui est aussi ce qu'on fait d'ordinaire dans les sciences, où, après s'être servi de l'analyse pour trouver quelque vérité, on se sert de l'autre méthode pour expliquer ce qu'on a trouvé.

On peut comprendre par là ce que c'est que l'analyse des géomètres car voici en quoi elle consiste. Une question leur ayant été proposée, dont ils ignorent la vérité ou la fausseté, si c'est un théorème, la possibilité ou l'impossibilité, si c'est un problème, ils supposent que cela est comme il est proposé; et, examinant ce qui s'ensuit de là, s'ils arrivent, dans cet examen, à quelque vérité claire dont ce qui leur est proposé soit une suite nécessaire, ils en concluent que ce qui leur est proposé est vrai; et reprenant ensuite par où ils avaient fini, ils le démontrent par l'autre méthode qu'on appelle de composition. Mais s'ils tombent, par une suite nécessaire de ce qui leur est proposé, dans quelque absurdité ou impossibilité, ils en concluent que ce qu'on leur avait proposé est faux et impossible.

Voilà ce qu'on peut dire généralement de l'analyse, qui consiste plus dans le jugement et dans l'adresse de l'esprit que dans des règles particulières. Ces quatre néanmoins, que Descartes propose dans sa Méthode, peuvent être utiles pour se garder de l'erreur en voulant rechercher la vérité dans les sciences humaines, quoique, à dire vrai, elles soient générales pour toutes sortes de méthodes, et non particulières pour la seule analyse.

La 1re est de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, qu'on ne la connaisse évidemment étre telle, c'est-à-dire d'éviter soigneument la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en ses jugememts que ce qui se présente si clairement à l'esprit, qu'on n'ait aucune occasion de le mettre en doute.

les

La 2o de diviser chacune des difficultés qu'on examine en autant de parcelles qu'il se peut, et qu'il est requis pour les résoudre. La 3o, de conduire par ordre ses pensées, en commençant par objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

La 4o, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, qu'on puisse s'assurer de ne rien omettre 98.

Il est vrai qu'il y a beaucoup de difficulté à observer ces règles; mais il est toujours avantageux de les avoir dans l'esprit, et de les garder autant que l'on peut lorsqu'on veut trouver la vérité par la voie de la raison, et autant que notre esprit est capable de la connaître.

CHAPITRE III.

De la méthode de composition, et particulièrement de celle qu'observent les géomètres.

Ce que nous avons dit dans le chapitre précédent nous a déjà donné quelque idée de la méthode de composition, qui est la plus importante, en ce que c'est celle dont on se sert pour expliquer toutes les sciences.

Cette méthode consiste principalement à commencer par les choses les plus générales et les plus simples, pour passer aux moins générales et plus composées. On évite par là les redites; puisque, si on traitait les espèces avant le genre, comme il est impossible de bien connaître une espèce sans en connaître le genre, il faudrait expliquer plusieurs fois la nature du genre dans l'explication de chaque espèce.

Il y a encore beaucoup de choses à observer pour rendre cette méthode parfaite et entièrement propre à la fin qu'elle doit se proposer, qui est de nous donner une connaissance claire et distincte de la vérité : mais, parce que les préceptes généraux sont plus difficiles à comprendre, quand ils sont séparés de toute matière, nous considérerons la méthode que suivent les géomètres comme étant celle qu'on a toujours jugée la plus propre pour persuader la vérité et en convaincre entièrement l'esprit ; et nous ferons voir premièrement ce qu'elle a de bon, et en second lieu ce qu'elle semble avoir de défectueux.

Les géomètres ayant pour but de n'avancer rien que de convaincant, ils ont cru pouvoir y arriver en observant trois choses en général.

La 1re est de ne laisser aucune ambiguïté dans les termes, à quoi ils ont pourvu par les définitions des mots dont nous avons parlé dans la première partie.

La 2e est de n'établir leurs raisonnements que sur des principes clairs et évidents, et qui ne puissent être contestés par aucune per

sonne d'esprit ce qui fait qu'avant toutes choses ils posent les axiomes qu'ils demandent qu'on leur accorde, comme étant si clairs, qu'on les obscurcirait en voulant les prouver.

La 3e est de prouver démonstrativement toutes les conclusions qu'ils avancent, en ne se servant que des définitions qu'ils ont posées, des principes qui leur ont été accordés comme étant très évidents, ou des propositions qu'ils en ont déjà tirées par la force. du raisonnement, et qui leur deviennent après autant de principes. Ainsi, on peut réduire à ces trois chefs tout ce que les géomètres observent pour convaincre l'esprit, et renfermer le tout en ces cinq règles très importantes.

RÈGLES NÉCESSAIRES :

Pour les définitions.

1re. Ne laisser aucun des termes un peu obscurs ou équivoques, sans le définir.

2o. N'employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués.

Pour les axiomes.

3e. Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évidentes.

Pour les démonstrations.

4e. Prouver toutes les propositions un peu obscures, en n'employant à leur preuve que les définitions qui auront précédé, ou les axiomes qui auront été accordés, ou les propositions qui auront déjà été démontrées, ou la construction de la chose même dont il s'agira, lorsqu'il y aura quelque opération à faire.

5e. N'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant d'y substituer mentalement les définitions qui les restreignent et qui les expliquent.

Voilà ce que les géomètres ont jugé nécessaire pour rendre les preuves convaincantes et invincibles : et il faut avouer que l'attention à observer ces règles est suffisante pour éviter de faire de faux raisonnements en traitant les sciences, ce qui sans doute est le principal, tout le reste pouvant se dire utile plutôt que nécessaire 99.

CHAPITRE IV.

Explication plus particulière de ces règles, et premièrement de celles qui regardent les définitions.

Quoique nous ayons déjà parlé dans la première partie de l'utilité des définitions des termes, néanmoins cela est si important que l'on ne peut trop l'avoir dans l'esprit; puisque par là on démêle une infinité de disputes qui n'ont souvent pour sujet que l'ambiguïté des termes, que l'ún prend en un sens, et l'autre en un autre de sorte que de très grandes contestations cesseraient en un moment, si l'un ou l'autre des disputants avait soin de marquer nettement et en peu de paroles ce qu'il entend par les termes qui sont le sujet de la dispute.

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Cicéron a remarqué que la plupart des disputes entre les philosophes anciens, et surtout entre les Stoïciens et les Académiciens 100, n'étaient fondées que sur cette ambiguïté de paroles, les Stoïciens ayant pris plaisir, pour se relever, de prendre les termes de la morale en d'autres sens que les autres, ce qui faisait croire que leur morale était bien plus sévère et plus parfaite, quoique en effet cette prétendue perfection ne fût que dans les mots, et non dans les choses: le sage des Stoïciens ne prenant pas moins tous les plaisirs de la vie que les philosophes des autres sectes qui paraissaient moins rigoureux, et n'évitant pas avec moins de soin les maux et les incommodités, avec cette seule différence, qu'au lieu que les autres philosophes se servaient des mots ordinaires de biens et de maux, les Stoïciens, en jouissant des plaisirs, ne les appelaient pas des biens, mais des choses préférables, πρonyμévα, et en fuyant les maux, ne les appelaient pas des maux, mais seulement des choses rejetables, ἀποπροηγμένα.

C'est donc un avis très utile de retrancher de toutes les disputes tout ce qui n'est fondé que sur l'équivoque des mots, en les définissant par d'autres termes si clairs qu'on ne puisse plus s'y méprendre.

A cela sert la première des règles que nous venons de rapporter: Ne laisser aucun terme un peu obscur ou équivoque qu'on ne le définisse.

Mais, pour tirer toute l'utilité que l'on doit de ces définitions, il faut encore y ajouter la seconde règle: N'employer, dans les définitions, que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués;

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