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Et tous au caractère avec choix mariés;

La fierté de l'obscur, sur la douceur du clair

Et c'est là qu'un grand peintre, avec pleine largesse, Triomphant de la toile, en tire avec puissance

D'une féconde idée étale la richesse,
Faisant briller partout de la diversité,

Et ne tombant jamais dans un air répété :

Mais un peintre commun trouve une peine extrême
A sortir dans ces airs de l'amour de soi-même :
De redites sans nombre il fatigue les yeux,
Et plein de son image, il se peint en tous lieux.
Il nous enseigne aussi les belles draperies,
De grands plis bien jetés suffisamment nourries,
Dont l'ornement aux yeux doit conserver le nu,
Mais qui pour le marquer soit un peu retenu;
Qui ne s'y colle point, mais en suive la grâce,
Et sans la serrer trop, la caresse et l'embrasse.
Il nous montre à quel air, dans quelles actions,
Se distinguent à l'œil toutes les passions,

Les mouvements du cœur, peints d'une adresse ex-
Par des gestes puisés dans la passion même, [trême,
Bien marqués pour parler, appuyés, forts et nets,
Imitant en vigueur les gestes des muets.
Qui veulent réparer la voix que la nature
Leur a voulu nier, ainsi qu'à la peinture.
Il nous étale enfin les mystères exquis
De la belle partie où triompha Zeuxis',
Et qui, le revêtant d'une gloire immortelle,
Le fit aller de pair avec le grand Apelle :
L'union, les concerts et les tons des couleurs,
Contrastes, amitiés, ruptures et valeurs,
Qui font les grands effets, les fortes impostures,
L'achèvement de l'art et l'âme des figures.
Il nous dit clairement dans quel choix le plus beau
On peut prendre le jour et le champ du tableau.
Les distributions et d'ombre et de lumière
Sur chacun des objets et sur la masse entière;
Leur dégradation dans l'espace de l'air,

Par les tons différents de l'obscur et du clair;
Et quelle force il faut aux objets mis en place
Que l'approche distingue et le lointain efface;
Les gracieux repos que par des soins communs
Les bruns donnent aux clairs, comme les clairs aux
Avec quel agrément d'insensible passage [bruns,
Doivent ces opposés entrer en assemblage,
Par quelle douce chute ils doivent y tomber,
Et dans un milieu tendre aux yeux se dérober;
Ces fonds officieux qu'avec art on se donne,
Qui reçoivent si bien ce qu'on leur abandonne,
Par quels coups de pinceau, formant de la rondeur,
Le peintre donne au plat le relief du sculpteur:
Quel adoucissement des teintes de lumière
Fait perdre ce qui tourne, et le chasse derrière,
Et comme avec un champ fuyant, vague et léger,

Le coloris, troisième partie de la peinture. ( Note de Molière.)

Les figures que veut garder sa résistance,
Et malgré tout l'effort qu'elle oppose à ses coups,
Les détache du fond, et les amène à nous.

Il nous dit tout cela, ton admirable ouvrage :
Mais, illustre Mignard, n'en prends aucun ombrage
Ne crains pas que ton art, par ta main découvert,
A marcher sur tes pas tienne un chemin ouvert,
Et que de ses leçons les grands et beaux oracles
Élèvent d'autres mains à tes doctes miracles;
Il y faut des talents que ton mérite joint,

Et ce sont des secrets qui ne s'apprennent point.
On n'acquiert point, Mignard, par les soins qu'on se donne
Trois choses dont les dons brillent dans ta personne,
Les passions, la grâce, et les tons de couleur
Qui des riches tableaux font l'exquise valeur; [ble,
Ce sont présents du ciel, qu'on voit peu qu'il assem-
Et les siècles ont peine à les trouver ensemble,
C'est par là qu'à nos yeux nuls travaux enfantés
De ton noble travail n'atteindront les beautés;
Malgré tous les pinceaux que ta gloire réveille,
Il sera de nos jours la fameuse merveille,
Et des bouts de la terre en ces superbes lieux
Attirera les pas des savants curieux.

O vous, dignes objets de la noble tendresse
Qu'a fait briller pour vous cette auguste princesse,
Dont au grand Dieu naissant, au véritable Dieu,
Le zèle magnifique a consacré ce lieu 1,
Purs esprits, où du ciel sont les grâces infuses,
Beaux temples des vertus, admirables recluses,
Qui dans votre retraite, avec tant de ferveur,
Mêlez parfaitement la retraite du cœur,
Et par un choix pieux hors du monde placéos,
Ne détachez vers lui nulle de vos pensées,
Qu'il vous est cher d'avoir sans cesse devant vous
Ce tableau de l'objet de vos vœux les plus doux,
D'y nourrir par vos yeux les précieuses flammes
Dont si fidèlement brûlent vos belles âmes,
D'y sentir redoubler l'ardeur de vos désirs,
D'y donner à toute heure un encens de soupirs,
Et d'embrasser du cœur une image si belle
Des célestes beautés de la gloire éternelle,
Beautés qui dans leurs fers tiennent vos libertés
Et vous font mépriser toutes autres beautés!

Et toi, qui fus jadis la maîtresse du monde
Docte et fameuse école en raretés feconde,
Où les arts déterrés ont, par un digne effort
Réparé les dégâts des barbares du Nord;
Source des beaux débris des siècles mémorables,

1 L'église du Val de Grâce était consacrée à Jésus naissant of à la Vierge sa mère; on lisait sur la frise du portique >

Jesu nascenti Virginique matri.

O Rome, qu'à tes soins nous sommes redevables
De nous avoir rendu, façonné de ta main,
Ce grand homme, chez toi devenu tout Romain,
Dont le pinceau célèbre, avec magnificence,
De ces riches travaux vient parer notre France,
Et dans un noble lustre y produire à nos yeux
Cette belle peinture inconnue en ces lieux :
La fresque, dont la grâce, à l'autre préférée,
Se conserve un éclat d'éternelle durée,

Mais dont la promptitude et les brusques fiertés
Veulent un grand génie à toucher ses beautés!
De l'autre, qu'on connaît, la traitable méthode
Aux faiblesses d'un peintre aisément s'accommode :
La paresse de l'huile, allant avec lenteur,
Du plus tardif génie attend la pesanteur;
Elle sait secourir, par le temps qu'elle donne,
Les faux pas que peut faire un pinceau qui tâtonne;
Et sur cette peinture on peut, pour faire mieux,
Revenir, quand on veut, avec de nouveaux yeux.
Cette commodité de retoucher l'ouvrage
Aux peintres chancelants est un grand avantage;
Et ce qu'on ne fait pas en vingt fois qu'on reprend,
On le peut faire en trente, on le peut faire en cent.
Mais la fresque est pressante, et veut, sans complai-
Qu'un peintre s'accommode à son impatience, [sance,
La traite à sa manière, et d'un travail soudain,
Saisisse le moment qu'elle donne à sa main.
La sévère rigueur de ce moment qui passe
Aux erreurs d'un pinceau ne fait aucune grâce;
Avec elle il n'est point de retour à tenter,
Et tout au premier coup se doit exécuter.
Elle veut un esprit où se rencontre unie
La pleine connaissance avec le grand génie,
Secouru d'une main propre à le seconder,
Et maîtresse de l'art jusqu'à le gourmander,
Une main prompte à suivre un beau feu qui la guide,
Et dont comme un éclair la justesse rapide
Répande dans ses fonds, à grands traits non tâtés,
De ses expressions les touchantes beautés.
C'est par là que la fresque, éclatante de gloire,
Sur les honneurs de l'autre emporte la victoire,
Et que tous les savants, en juges délicats,
Donnent la préférence à ses mâles appas.
Cent doctes mains chez elle ont cherché la louange;
Et Jules, Annibal, Raphaël, Michel-Ange,
Les Mignards de leur siècle, en illustres rivaux,
Ont voulu par la fresque ennoblir leurs travaux.

Nous la voyons ici doctement revêtue

De tous les grands attraits qui surprennent la vue.
Jamais rien de pareil n'a paru dans ces lieux;
Et la belle inconnue a frappé tous les
yeux.
Elle a non-seulement, par ses grâces fertiles,
Charme du grand Paris les connaisseurs habiles,
Et touché de la cour le beau monde savant;

Ses miracles encore ont passé plus avant,
Et de nos courtisans les plus légers d'étude
Elle a pour quelque temps fixé l'inquiétude,
Arrêté leur esprit, attaché leurs regards,
Et fait descendre en eux quelque goût des beaux-arts.
Mais ce qui plus que tout élève son mérite,
C'est de l'auguste roi l'éclatante visite :
Ce monarque, dont l'âme aux grandes qualités
Joint un goût délicat des savantes beautés,
Qui, séparant le bon d'avec son apparence,
Décide sans erreur, et loue avec prudence;
LOUIS, le grand LOUIS, dont l'esprit souverain
Ne dit rien au hasard, et voit tout d'un œil sain,
A versé de sa bouche, à ces grâces brillantes,
De deux précieux mots les douceurs chatouillantes;
Et l'on sait qu'en deux mots ce roi judicieux
Fait des plus beaux travaux l'éloge glorieux.
Colbert, dont le bon goût suit celui de son maître,
A senti même charme, et nous le fait paraître.
Ce vigoureux génie au travail si constant,
Dont la vaste prudence à tous emplois s'étend,
Qui du choix souverain tient, par son haut mérite,
Du commerce et des arts la suprême conduite,
A d'une noble idée enfanté le dessein
Qu'il confie aux talents de cette docte main,
Et dont il veut par elle attacher la richesse
Aux sacrés murs du temple où son cœur s'intéresse1
La voilà, cette main qui se met en chaleur.
Elle prend les pinceaux, trace, étend la couleur,
Empâte adoucit, touche, et ne fait nulle pause:
Voilà qu'elle a fini; l'ouvrage aux yeux s'expose;
Et nous y découvrons, aux yeux des grands experts,
Trois miracles de l'art en trois tableaux divers.
Mais parmi cent objets d'une beauté touchante,
Le Dieu porte au respect, et n'a rien qui n'enchante
Rien en grâce, en douceur, en vive majesté,
Qui ne présente à l'œil une divinité;

Elle est toute en ces traits si brillants de noblesse :
La grandeur y paraît, l'équité, la sagesse,
La bonté, la puissance; enfin ces traits font voir
Ce que l'esprit de l'homme a peine à concevoir.
Poursuis, ô grand Colbert, à vouloir dans la France
Des arts que tu régis établir l'excellence,
Et donne à ce projet, et si grand et si beau,
Tous les riches moments d'un si docte pinceau,
Attache à des travaux dont l'éclat te renomme
Les restes précieux des jours de ce grand homme.
Teis hommes rarement se peuvent présenter,
Et quand le ciel les donne, il faut en profiter.
De ces mains dont les temps ne sont guère prodigues,
Tu dois à l'univers les savantes fatigues;

Saint-Eustache. (Note de Molière.)

Colbert était de la paroisse Saint-Eustache, et il fut inhumé dans l'église.

C'est à ton ministère à les aller saisir,

Pour les mettre aux emplois que tu peux leur choisir;
Et, pour ta propre gloire, il ne faut point attendre
Qu'elles viennent t'offrir ce que ton choix doit prendre.
Les grands hommes, Colbert, sont mauvais courti-
Peu faits à s'acquitter des devoirs complaisants; [sans,
A leurs réflexions tout entiers ils se donnent;
Et ce n'est que par là qu'ils se perfectionnent.
L'étude et la visite ont leurs talents à part.
Qui se donne à la cour se dérobe à son art.
Un esprit partagé rarement s'y consomme,
Et les emplois de feu demandent tout un homme.
Ils ne sauraient quitter les soins de leur métier
Pour aller chaque jour fatiguer ton portier;
Ni partout, près de toi, par d'assidus hommages

Mendier des prôneurs les éclatants suffrages.
Cet amour du travail, qui toujours règne en eux,
Rend à tous autres soins leur esprit paresseux;
Et tu dois consentir à cette négligence
Qui de leurs beaux talents te nourrit l'excellence.
Souffre que, dans leur art s'avançant chaque jour,
Par leurs ouvrages seuls ils te fassent leur cour.
Leur mérite à tes yeux y peut assez paraître;
Consultes-en ton goût, il s'y connaît en maître,
Et te dira toujours, pour l'honneur de ton choix,
Sur qui tu dois verser l'éclat des grands emplois.
C'est ainsi que des arts la renaissante gloire
De tes illustres soins ornera la mémoire;
Et que ton nom, porté dans cent travaux pompeux.
Passera triomphant à nos derniers neveux.

VIN DES ŒUVRES DE MOlière.

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