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On remarquait aussi dans ses rangs plusieurs autres noms célèbres ': le fameux Chandos, appelé dans la suite à une si grande gloire militaire, Robert Bembro, James Hudelée, et le fils du premier comte de Montfort 2, qui, à peine âgé de seize ou dix-huit ans, faisait ses premières armes sous ces maîtres habiles.

Les ennemis de la France ne se proposaient rien moins que de ceindre le front de ce jeune prince de la couronne ducale de Bretagne, dès que la ville aurait ouvert ses portes. C'eût été, dans leur pensée, asseoir leur domination dans notre province sur une base inébranlable. Mais ils avaient compté sans le courage et le patriotisme des habitants de Rennes. L'antique cité des Redones sut, en effet, montrer un dévouement à la hauteur du danger, et prouver qu'elle était digne de marcher à la tête du peuple breton.

Le siége mémorable qu'elle soutint pendant neuf mois, au milieu des horreurs de la famine, le cède peu en illustration aux plus célèbres de l'antiquité et des temps modernes : capitaines renommés, hauts faits d'armes, patience invincible des assiégés, épisodes pleins d'intérêt, intervention miraculeuse du ciel, rien n'y manque pour lui mériter l'attention de l'histoire.

Aussi a-t-il été raconté, en prose et en vers 3, par plus d'une plume, et il fut, dès l'époque même, l'objet de chants populaires*, qui ne sont malheureusement pas arrivés jusqu'à nous. La résistance de Rennes, aussi courageuse, aussi opiniâtre que celle de Calais, dix ans auparavant, n'eut pas le malheur de se terminer de même par la défaite et l'acceptation d'un joug étranger. Tant d'hé

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2 Preuves de Bret., t. 1, fol. 1512. Acte public du 5 janvier 1357, donné par le comte en personne sous les murs de Rennes.

3 Cf. Chronica Knyghtoni, ann. 1356. de Bret.

2029.

Id. Chroniques annaux, apud Preuves Cuvelier, Chronique en vers de Duguesclin: Le siége de Rennes, v. 1053

4 Cuvelier, loco citat., v. 1194 et alibi. On trouva les mineurs, come dit la chançon.

roïques efforts furent, au contraire, couronnés de succès. Rennes demeura français et breton, et préserva ainsi notre patrie armoricaine du plus grand des malheurs, celui de courber la tête sous la domination de l'Angleterre; car il n'est pas douteux que si, en 1357, la capitale de la Bretagne avait accepté les lois d'un orgueilleux vainqueur, la clause du traité de Brétigny', qui nous concernait, n'eût été conçue en des termes tout différents *.

- Edouard III, aussi apre à la curée que les Prussiens de 1871, se fût bien gardé de lâcher une province ardemment convoitée, alors qu'il réclamait si impérieusement la souveraineté de l'Aquitaine, du Limousin, du Ponthieu, et, en un mot, de tout ce qu'il avait conquis sur la France par la force de ses armes.

J'ai pensé que les lecteurs de la Revue de Bretagne seraient heureux d'étudier dans le détail, et d'après les documents originaux el contemporains, cette page glorieuse de notre histoire nationale. De là le travail qui leur est offert. Je profiterai de cette occasion pour mettre spécialement en lumière un événement des plus merveilleux qui signala ce siége, et en fut même l'épisode principal. Mais comme l'authenticité de ce miracle, après avoir été admise (1357-1700) pendant plus de trois siècles sans difficulté, est devenue depuis l'objet de doutes et d'une certaine suspicion, il sera nécessaire d'entrer dans quelques éclaircissements sur ce point intéressant. Nous espérons dissiper les ténèbres qui l'obscurcissent et rétablir les droits de la vérité. Mais faisons d'abord l'historique du siége de Rennes et des principaux événements qui s'y rattachent.

II

L'ancienne cité des Redones, devenue capitale de toute la Bretagne depuis le x siècle (987), déjà étendue et populeuse trois

1 Cf. Texte du traité de Brétigny, apud Martène, Thesaurus Anecdolorum; Tillet, Rymer et Rapin Thoyras, Hist. d'Angleterre, t. u.

2 Il y est dit que la suzeraineté de la Bretagne restera au roi de France, quelle que soit l'issue de la lutte entre Charles de Blois et le comte de Montfort.

3 On verra, dans un prochain article, comment le témoignage irrécusable des titres originaux (allant de 1388 à 1720) et des écrivains les plus autorisés, Alain Bouchard (édit. de 1532), Hay du Chastelet (1666), nous sont de sûrs garants de la foi constante du peuple rennais à la vérité du miracle.

siècles plus tard, ne ressemblait guère cependant à la cité rennaise d'aujourd'hui, industrieuse et commerçante, riche en monuments de plus d'un genre; mais, au demeurant, privée de fortifications, ouverte de tous côtés aux invasions de l'étranger. Rennes, en 1356, comme toutes les villes féodales du moyen âge, avait ses remparts crénelés, son donjon flanqué de grosses tours, ses fossés profonds, ses portes murées. Ainsi, bien que la nature lui eût refusé la protection d'une ceinture de collines et de rochers, l'art y avait suppléé en pourvoyant à sa défense d'une autre manière. Elle était donc à l'abri d'un coup de main; et, pour s'en emparer, il fallait lui faire subir un siége en règle, nécessairement long et difficile.

Quand donc, au mois d'octobre 1356, le duc de Lancastre, qui de la Normandie se dirigeait vers Poitiers à marches forcées, pour rejoindre l'armée du prince de Galles, fit tout à coup volte-face, en apprenant le grand triomphe remporté par sa nation dans la journée du 19 septembre, et vint s'abattre sur la capitale de la Bretagne, il trouva que la ville de Rennes était sur la défensive, prête à résister avec toute l'énergie du courage et du patriotisme.

Le plan de l'habile capitaine anglais était de renouveler ce qui s'était fait en 1347 à Calais. Car si la prise de cette ville avait porté un coup plus fatal aux armes françaises que la défaite même de Crécy, la reddition de Rennes, capitale d'un vaste duché, devait, au jugement éclairé du duc de Lancastre, avoir encore une plus haute portée, et contribuer plus puissamment à asseoir sur le continent français le règne de la domination anglaise. Aussi fut-il résolu, dans les conseils de l'armée qui venait camper sous nos murs, qu'il fallait vaincre à tout prix et ne se laisser rebuter par aucun obstacle. C'est pourquoi, après plusieurs assauts inutiles, on prit le parti d'établir un blocus rigoureux autour de la ville, et de la réduire ainsi par la plus impérieuse des nécessités, celle de la faim, à subir la loi d'une dure et humiliante capitulation. Tel avait été le plan d'Edouard III, dix ans auparavant ainsi avait-il réussi à triompher de l'héroïque résistance des habitants de Calais.

On le voit, les Prussiens du XIXe siècle n'ont rien inventé; ils ne

1 La date du 3 octobre 1356, pour le commencement du siége de Rennes, est déterminée par les Chroniques annaux. Apud Preuves de Bret., t. 1, c. 113.

sont que de serviles imitateurs. Ce ne sont pas eux qui ont, les premiers, mis en usage le système, si commode pour des barbares sans cœur, de faire périr de faim une multitude de femmes, d'enfants et de vieillards, afin de vaincre la résistance de soldats intrépides, fidèles au devoir jusqu'à la mort.

La nombreuse armée des assiégeants en vint donc, probablement dès les premières semaines d'octobre, à investir la ville de Rennes de tous les côtés, afin de n'y laisser pénétrer ni vivres, ni renforts; mais la garnison bretonne ne fut nullement effrayée d'un blocus aussi rigoureux, et résolut de tenir ferme jusqu'à la dernière extrémité.

Elle avait à sa tête le sire de Penhoët, grand homme de guerre, cœur intrépide, esprit fécond en ressources et en expédients, surnommé, pour ses exploits en ce genre, le Tors-Boiteux. Il était dignement secondé par le vicomte de Rohan, Bertrand de SaintPern et plusieurs autres personnages illustres. Bertrand Duguesclin, jusque là simple chef de bande, pénétrera bientôt dans la ville, malgré le blocus anglais. Il y trouvera, peut-être pour la première fois, l'occasion de se produire sur un théâtre digne de sa valeur, et d'y acquérir cette gloire militaire qui, en peu d'années, lui méritera la haute dignité de connétable de France. Mais le moment n'est pas encore venu de raconter les hauts faits d'armes que notre héros breton doit accomplir sous les murs et dans l'intérieur de la ville assiégée.

La population rennaise, animée du plus généreux esprit de dé

1 Cuvel., v. 1076:

[Le duc] d'Englois et de Bretons of avec lui assez
La ville fu enclose environ de tous lez.

2 Penhoët, ou Chef du Bois, branche cadette des vicomtes de Léon connue dés le x siècle. (V. Mélanges d'histoire et d'archéologie bret., t. 11, p. 209.) Cuvelier (v. 1053 et seq.) l'appelle le Tors-Boiteux, ou Penhort. Le Dauphin de France, devenu roi sous le nom de Charles V, crut plus tard devoir récompenser les services éminents que ce brave capitaine avait rendus à la cause de la France, en lui accordant une pension de 200 liv. tournois. (Preuves de Bret., t. п, p. 78.)

3 Cuvelier (v. 1459 et seq.) Au plus fort du siége, quand Duguesclin fit son entrée à Rennes, vers le mois de mai,

Li bourjois soffisant,

Les bourjoises aussi et li petits enfants

A son hostel le vont liement conduisant, etc.

vouement et de fidélité, ne montrait pas moins d'ardeur et de courage que la garnison elle-même. D'ailleurs, on espérait que Charles de Blois et le Dauphin, qui gouvernait la France pendant la captivité du roi, parviendraient tôt ou tard à opérer une diversion heureuse pour la délivrance des assiégés.

Rien, en effet, ne fut négligé pour obtenir un résultat si désirable. Charles de Blois fit le voyage de Paris dès le commencement du blocus, et plaida la cause de sa capitale avec beaucoup d'éloquence. Le Dauphin Charles désirait aussi vivement que notre duc lui-même repousser les Anglais de la Bretagne, et arracher la ville de Rennes à leur insatiable avidité. Mais, hélas! les circonstances n'étaient guère favorables. La victoire de l'étranger, l'humiliation de la patrie avaient produit, en 1356, les mêmes effets que dans les tristes jours que nous traversons. Les malheurs publics, sous le poids desquels la France succombait, au lieu de réunir les citoyens et d'étouffer des germes funestes de division, n'avaient fait qu'exciter le feu de haines plus vivaces, et provoquer la guerre intestine.

Le désordre et l'anarchie étaient partout partout la guerre et l'extermination; guerre des paysans contre les nobles (jacquerie), guerre des soldats contre leurs chefs (grandes compagnies), guerre au sein même de la représentation nationale.

On connaît les menées anarchiques du prévôt Marcel et de Robert Lecoq, les chefs des communeux parisiens de 1356. Que pouvait le régent du royaume dans un tel état de choses? Ne manquait-il pas en même temps de ressources pécuniaires et de soldats dévoués? Comment aurait-il pu faire face à tous les dangers intérieurs et repousser encore l'ennemi extérieur du territoire de notre patrie? Aussi aucune des tentatives faites pour débloquer Rennes n'obtint de succès. Thibaud de Rochefort3, Foulques de Laval, Thomas de

1 Preuv. de Brel., t. 1, p. 1512. De son manoir ducal de la Petite Bretagne lès-Paris, Charles de Blois donne ordre de fournir 86 écus au chevalier Jean de Sérent, pour qu'il puisse lever des troupes (24 nov. 1356).

2 Preuves de Bret., t. 1, c. 1512 et 1513. Deux ordres, l'un du 6 décembre 1356, l'autre du 6 avril 1357, sont donnés pour réconforter la ville de Rennes, qui est assiégée des ennemis de Monsieur le Duc et des nostres. »

3 Preuves de Brel., t. 1, c. 1512, 1513 1514.

"Ibid., c. 1501.

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