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articles de sa lettre, tous graves, dit-il, tous vrais, prouvés inattaquables. Je viens de la relire. Hors le fait que j'ai relevé, cette lettre n'en contient pas un. Quant aux déclamations vagues et aux insinuations perfides, je respecte assez le public pour n'y pas répondre. Mais pourquoi, de son côté, l'anonyme n'a-t-il rien dit de tant d'autres circonstances relevées dans mes lettres, des contradictions de Ménil, de l'impossibilité physique que Regnault eût commis le crime, vu le temps, l'heure, le genre des armes, la résistance; enfin, sur le procès en calomnie, dont cependant la Quotidienne ne peut avoir perdu le souvenir ? Je voudrais bien voir un petit article sur ce procès en calomnie dans la Quotidienne.

L'anonyme se justifie enfin de ne pas se nommer. Il me demande si son nom m'importe. Non, certes, bien qu'il soit très-libre de me l'apprendre. Ce qui m'importe, c'est que Regnault soit sauvé, ensuite j'oublierai sans peine l'existence de l'anonyme, comme j'oublierais son nom, si je le savais. Je signe quelquefois B. C., dit-il; mais cette signature me désigne assez. Je n'ai d'ailleurs rien écrit, jamais, qui fût de nature à compromettre la vie d'un homme, qui n'a plus d'espoir que dans le recours en grâce; et si j'étais assez malheureux pour être réduit à cette nécessité effroyable, je signerais mon nom tout entier.

Pardon, Monsieur, de cette importunité nouvelle. Ce n'est pas moi qui cherche ces occasions de revenir si souvent sur une affaire déplorable; mais j'ai toujours à craindre que mon silence ne nuise à un infortuné, et cette idée me poursuit

sans cesse.

Agréez, etc.

BENJAMIN CONSTANT.

Article du Moniteur, du 5 avril.

Le Roi vient de prononcer sur le recours en grâce de Wilfrid Regnault, et la peine de mort à laquelle il avait été condamné, est commuée en celle de vingt années d'emprisonnement. Nous avons cherché à nous rendre compte des motifs et de l'étendue de la clémence royale dans une affaire qui a si vivement occupé l'attention publique, heureux d'avoir encore, en cette occasion, à chérir sa bonté souveraine, en même temps que nous admirons sa sagesse.

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Wilfrid Regnault a été condamné par des jurés. De nombreuses réclamations se sont élevées depuis en sa faveur ; des circonstances extraordinaires ont marqué l'époque de sa condamnation. Elle a été suivie d'une procédure en faux témoignage contre le seul témoin qui ait été entendu contre lui. Bien que cette procédure ait été sans résultat, des doutes se sont élevés dans beaucoup d'esprits. On n'a que trop d'exemples, hélas! des erreurs dans lesquelles peuvent tomber en matière criminelle, les cœurs les plus droits, les esprits les plus sages et les plus éclairés; on n'a vu que trop souvent l'innocence succomber sous les égaremens d'une indignation vertueuse, alors que les esprits ont été trop vivement préoccupés par les premiers indices d'une criminalité qui dès-lors leur a paru certaine. Mais enfin, les jurés avaient prononcé sur le sort de Wilfrid; et quelque conséquence qu'on ait pu et voulu tirer de la procédure écrite, on doit avant tout reconnaître qu'il n'appartient à personne de réviser, ni encore moins de condamner un jugement rendu sur des débat qu'il est impossible de reproduire, et dans lesquels la conviction a pu arriver aux jurés par une foule d'indices souvent aussi fugitifs que l'instant qui les a vu produire. La foi qui est due aux arrêts rendus dans cette forme si précieuse ne peut être renversée que par une évidence contraire, et cette évidence ne peut guère résulter que d'une découverte postérieure qui saisirait le véritable coupable, et le mettrait enfin sous la main de la justice. Ce cas est prévu par l'article 443 du Code d'instruction criminelle.

Aujourd'hui nous croyons pouvoir assurer que quiconque aura suivi attentivement la marche de l'affaire de Wilfrid Regnault, et se sera bien pénétré de ses circonstances, demeurera, comme nous, convaincu que la décision Royale concilie tout-à-la-fois le respect et la confiance qui sont dus à l'insti→ tution du Jury, avec ce que commande l'humanité, du moment où des doutes qui ne sont pas sans quelqu'apparence de fondement, viennent réclamer en sa faveur. Cette décision a cela de remarquable, qu'elle pourvoit à la sûreté de la société, qui serait compromise si un grand coupable était rendu à la liberté, et qu'elle ne laisse rien d'irréparable dans l'avenir, si des circonstances nouvelles et imprévues venaient à démontrer l'innocence d'un infortuné. ( Moniteur du 5 avril. )

DE L'APPEL EN CALOMNIE

DE M. LE MARQUIS

DE BLOSSEVILLE,

CONTRE

WILFRID REGNAULT.

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J'TAIS retenu dans mon lit depuis trois semaines, hors d'état

de lire, et sur-tout d'écrire, lorsque j'ai appris qu'un avocat de M. le marquis de Blosseville avait trouvé bon de m'attaquer dans un discours destiné à prouver que, lorsqu'un homme est condamné pour un délit, lui en attribuer d'autres dont il est innocent n'est pas une calomnie, et que flétrir d'une suite d'imputations complètement fausses un malheureux qui gémit sous le poids d'une sentence sans aucun rapport avec ces imputations, est un passe-temps honorable et légitime. Certes, je ne pense nullement à me défendre contre les reproches que cet avocat m'adresse. Je passe condamnation, au contraire, sur la plupart de ces reproches. Il est très-vrai que je n'avais point de mission expresse pour déclarer ma conviction de l'innocence de Regnault. Il est très-vrai que c'est spontanément, sans intérêt qui m'y autorisat, sans relation quelconque avec l'accusé, les accusateurs, les témoins, les jurés ou les juges, que je me suis déterminé à relever ce qui m'avait frappé dans la poursuite de ce procès. Ce que j'ai fait dans cette occasion, je le ferais cent fois, s'il se présentait cent fois une occasion pareille. Je ne croirai jamais avoir besoin de mission pour réclamer en faveur, je ne dirai pas seulement d'un innocent condamné, mais d'un condamné dont la culpabilité ne me sera pas évidemment démontrée. Je reconnais le respect qui est dû à la chose jugée; je crois que ce respect est nécessaire, et qu'il doit être sans bornes dans les causes qui intéressent la pro

priété, l'Etat, les droits des citoyens : mais, pour ce qui tient à la vie des hommes, je pense qu'aussi long-temps que, dans l'esprit d'un individu, il reste un doute sur la justice d'un .arrêt de mort, c'est pour lui un devoir de soumettre ce doute à l'autorité suprême, qui tient entre ses mains le droit de grâce, la plus belle prérogative des monarques constitutionnels. Il faut observer que ces réclamations individuelles n'arrêtent point le cours de la justice, qu'elles n'ont de poids qu'en raison des vraisemblances qui les appuient, et qu'en conséquence leurs inconvéniens n'existent que dans l'imagination de ceux pour qui l'examen est une gêne et la clémence un scandale.

Je laisse donc de côté tout ce qui m'est personnel dans le discours de M. Roussiale; mais je crois utile de relever quelques assertions qui ne me concernent pas, et qui se trouvent énoncées et développées dans ce discours.

M. Roussiale a prétendu, en premier lieu, que ceux qui ont écrit et parlé en faveur de Wilfrid-Regnault, forment une coterie ennemie, non-seulement de M. le marquis de Blosseville, mais des douze jurés, que l'on avait dit tous nobles, quoique quelques-uns d'entre eux ne le fussent pas,

2o. Que Regnault n'était point recevable dans sa plainte en calomnie, parce que la calomnie étant l'imputation de faits qui exposent l'individu calomnié à des poursuites ou au mépris, un condamné à mort n'a rien à craindre sous le rapport des poursuites, et rien à perdre sous le rapport du mépris.

3'. Que Regnault avait, en quelque sorte, fait l'aveu légal de son crime, en acceptant la commutation de peine.

Je ne dirai rien de sa quatrième prétention tendant à présenter Regnault comme mort civilement, et à lui enlever le droit de se défendre, au moment même où on l'attaquait. M. l'avocat-général a fait justice de cette doctrine étrange.

Je me bornerai donc à l'examen des trois premières assertions que j'ai rapportées.

Aux yeux, je ne dirai pas de tout homme délicat et scrupuleux, mais de tout homme qui n'est pas dépourvu des notions morales les plus simples et heureusement les plus communes, l'une des questions que je veux traiter semble résolue, par cela même qu'elle est posée. La sentence d'un tribunal qui a prononcé sur un fait, ne saurait donner à un autre fait, qui est faux, le caractère de la vérité. Or, nul ne peut être autorisé à affirmer ce qui n'est pas vrai. Lors même

donc que les preuves de la culpabilité de Wilfrid-Regnault, relativement à l'assassinat pour lequel le jury d'Evreux l'avait condamné, auraient été revêtues de l'évidence qui leur manquait (et la grâce accordée à cet infortuné démontre assurément que les preuves du crime qu'on lui attribuait étaient loin d'être évidentes), sa condamnation pour ce délit ne motivait, n'excusait, ne justifiait en rien des imputations sans aucun rapport avec ce délit, et dont la fausseté était dévoilée au moment où l'on prenait soin de les faire insérer dans les journaux. La lettre par laquelle M. le ministre d'Etat, préfet de police, détruisait toutes ces imputations, est du 7 avril 1817; et c'est au mois d'août ou de septembre que l'article qui a motivé la condamnation en calomnie a paru dans le Journal des Débats.

Bizarre réclamation de M. Roussiale ! Il ne revendique point le droit de dire la vérité; il revendique, si j'ose le dire, la prérogative du mensonge. Il la revendique contre un malheureux accablé déjà sous le poids d'un arrêt de mort. C'est la première fois que l'on croit atténuer le mal qu'on a fait, en disant que la victime était sans défense; c'est la première fois que, pour se justifier d'avoir poignardé un homme, on répond que cet homme était désarmé. J'ignore si les lois d'un peuple quelconque admettent cette logique ; mais, dans ce cas, je me tiens pour assuré que ni l'honneur ni la morale ne sont d'accord avec ces lois.

Les raisonnemens de M. Roussiale en faveur de son inconcevable système sont aussi étranges que le système dont il voudrait les appuyer. Si on l'en croit, l'on ne nuisait point à Regnault par des assertions mensongères; Regnault, déjà condamné, déjà flétri, ne pouvait recevoir d'aucune imposture, d'aucune calomnie, aucun dommage ultérieur. Son sort était décidé, il était mort civilement; il était enseveli sous la sentence qui l'avait frappé. Chacune de ces assertions est fausse. Le sort de Regnault n'était point décidé, car la Cour de cassation n'avait point prononcé sur son pourvoi. Son sort n'était point décidé, car il lui restait le recours en grâce, recours heureux qui n'a point trompé ses justes espérances. Qui ne voit que des calomnies accumulées sur lui devaient le priver de cette dernière ressource, si précieuse à l'innocence, victime de l'inflexibilité des formes ou de l'erreur des jugemens? Quoi!l'on ne nuisait point à Regnault, en le présentant comme un spoliateur, comme un assassin du 2 septembre, à l'opinion, à la France, au Roi qui tenait en Tome III, 5o. Partie.

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