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pas que ce sang soit versé, lorsque le crime ne sera pas évident; qui, sans troubler l'ordre public, releveront les erreurs des juges, et qui réclameront auprès du trône pour la justice, la clémence et la pitié. Cette coterie ne diminuera pas aujourd'hui, surtout, que la liberté se consolide. Les peuples, en devenant libres, deviennent toujours plus huinains. Déjà nous en voyons la preuve: ce que faisaient jadis quelques avocats, ornemens du barreau, le barreau presque tout entier le fait maintenant. Parmi les jeunes orateurs qui se pressent dans son enceinte, combien ont déjà défendu des opprimés! combien, au nombre de leurs travaux et de leurs succès, comptent déjà la conservation des jours de quelque infortuné qu'ils ont arraché à l'échafaud! Pauvre, isolé, flétri, Wilfrid Regnault obtient trois défenseurs. L'un fait triompher sa plainte en calomnie. La mort le frappe. Il trouve aujourd'hui un successeur (1), connu par sa raison comme par son courage, par la sagesse de ses principes comme par l'éclat de son talent: et quant au troisième défenseur de Wilfrid, que M. Roussiale comprend dans ses honorables invectives (2), ce n'est pas Regnault seul qu'il a garanti du coup fatal. Je tourne mes regards vers nos provinces les plus agitées. Je le vois disputant d'autres malheureux à des peines excessives; invoquant tour-à-tour, tantôt la loi contre des formes perverties, tantôt l'équité contre la loi trop inexorable, tantôt la miséricorde royale, quand l'équité rigoureuse serait encore trop sévère.

Ah! que cette coterie persévère ! La reconnaissance nationale l'environne, parce qu'elle sert le Roi, en élevant jusqu'à lui sa voix respectueuse; la patrie, en lui conservant d'utiles citoyens; le gouvernement, en l'entourant de lumières. Que dis-je ? elle sert ceux-là mêmes qui la déchirent et la calomnient; car, en s'opposant à leur délire, elle les empêche d'achever leur propre perte, et d'accumuler sur leurs têtes des haines qui ne s'éteindraient jamais.

Cette coterie n'est pas dangereuse. Ce n'est pas elle qui conspire, et qui, démasquée sans cesse, renouvelle infatigablement des complots coupables. Ce n'est pas elle qui se prévaut d'une longanimité sans bornes pour renouer les fils de ses trames brisées. Ce n'est pas elle qui, chassée de poste

(1) M. Mauguin.

(2) M. Odillon-Barrot.

TH

HEC

en poste, emploie l'autorité qui lui reste, à ressaisir l'autorité dont elle espère abuser. Jugée souvent avec défiance, traitée quelquefois avec défaveur, ni la défiance ne l'irrite, ni la défaveur ne la décourage. Liberté pour le peuple, pouvoir constitutionnel pour le Roi, respect des formes, maintien des garanties, justice pour tous, protection pour l'innocence, voilà ses principes: et quant aux individus, si jamais elle dresse des listes, ces listes ne se composeront pas de ceux qu'elle aura voulu proscrire, mais de ceux qu'elle aura défendus ou qu'elle aura sauvés.

BENJAMIN CONSTANT.

LETTRE

A M. ODILLON-BARROT,

SUR LE PROCÈS DE LAINÉ,

Entraîné au Crime de Fausse Monnaie par un agent de la Gendarmerie, et condamné à mort.

AVERTISSEMENT.

La réclamation dont j'ai eu le bonheur d'être l'organe n'a pas été inutile. La clémence royale s'est étendue sur le malheureux Lainé; sa peine a été commuée, et au lieu de la mort qui l'attendait, il subit une détention de dix ans qui peut-être sera abrégée.

LETTRE

A M. ODILLON-BARROT,

SUR LE PROCÈS DE LAINÉ,

Entraîné au Crime de Fausse Monnaie par un agent de la Gendarmerie, et condamné à mort.

MONSIEUR,

Lorsque j'entrepris, il y a quelques mois, la défense de l'infortuné Wilfrid Regnault, vous m'aviez devancé dans cette tâche honorable. Je ne faisais que marcher sur vos traces et vous seconder dans vos généreux efforts. Aujourd'hui le hasard m'oblige à vous devancer à mon tour. Les pièces du procès d'un malheureux, victime de la plus horrible perfidie, m'ont été adressées et m'ont imposé le devoir de m'intéresser à son sort. J'ai imploré votre assistance; j'étais sûr de ne trouver en vous ni indifférence ni fatigue. Vous avez répondu sans hésiter à l'appel que j'ai fait à votre humanité et à votre zèle. Heureuse réciprocité dont je m'honore, et qui établit entre nous, je l'espère, un lien qui ne finira qu'avec notre vie !

Malheureusement ce n'est point un homme complètement innocent que nous avons à défendre. Nous luttons pour arracher au glaive des lois une tête coupable, mais devenue coupable par l'effet d'un crime bien plus grand que celui pour lequel elle est prête à tomber sur l'échafaud. Nous réclamons d'ailleurs plutôt pour les principes que pour un individu ; nous réclamons pour un principe plus important, si quelque chose peut l'être, que la vie d'un homme. Nous réclamons pour la morale publique, contre un système de corruption, de provocation au crime, qui doit être en horreur au gouvernement comme aux citoyens : car il ferait, s'il était admis, rejaillir sur le gouvernement la honte qui doit accabler des agens qu'il désavoue, et ce système menace à toute heure

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